Les Fabricants d’Eden – Frank Herbert

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Vous le savez, 2020 est l’année Frank Herbert. Une nouvelle adaptation au cinéma du roman Dune par Denis Villeneuve est attendue en décembre. D’ici là, les éditions Mnémos publient en mai l’intégrale du Bureau des sabotages. Les éditions Le Bélial’ prévoient quant à elles une intégrale des nouvelles de l’auteur. De mon côté, je vous propose au cours de cette année un examen des romans hors-cycle de l’auteur dont vous retrouverez la liste et les liens vers les chroniques en fin d’article. Les quatre années qui séparent la publication de Dune (1965) et de Le Messie de Dune (1969) sont très prolifiques pour Frank Herbert, qui publie cinq romans dans ce laps de temps : Destination vide (1966), Le Cerveau vert (1966), Les Yeux d’Heisenberg (1966), La La Barrière Santaroga (1968) et enfin Les Fabricants d’Eden. Ce dernier, sorti sous le titre original The Heaven Makers en 1968, a tout d’abord été publié sous forme de série dans Amazing Stories en 1967. Il a été traduit par Monique Lebailly et publié en France en 1980 chez Jean-Claude Lattès. Il est désormais disponible en poche chez Pocket comme la plupart des œuvres de Frank Herbert.

Avant de devenir écrivain – il lui faudra attendre 1972 pour pouvoir en vivre – , Frank Herbert a exercé différentes activités dont celle de psychanalyste lacanien à partir de 1952. Il est donc peu étonnant de trouver dans ses romans des personnages principaux eux-mêmes psychologues. C’est le cas de John Ramsey, travaillant au sein du bureau psychologique dans le roman Le Dragon sous la mer (1956), de Gilbert Dasein, brillant psychologue à l’université de Berkeley dans La Barrière Santaroga (1968), ou encore d’Andrew Thurlow ici dans  Les Fabricants d’Eden. D’autre part, l’un des ressorts du scénario est emprunté directement au roman Les Yeux d’Heisenberg, publié deux ans plus tôt, à savoir : l’immortalité, l’ennui qu’elle provoque et les crises morales qu’elle engendre.

« Être immortel exige de fréquentes injections d’anesthésie morale. »

Les Clems sont des extra-terrestres d’une race ancienne, immortels et invulnérables, présents partout dans la Galaxie, et reliés comme un seul être à un réseau qui leur permet de partager les uns avec les autres leurs expériences. Leur ennemi est l’ennui. Pour le combattre, ils étudient les civilisations naissantes et éphémères qui apparaissent fréquemment dans l’univers. Cela n’a rien de scientifique, mais prend la forme d’un show multi-sensoriel digne des soap-operas télévisés dans lesquels ils vont ressentir des émotions oubliées au fil de l’éternité telles que la peur, la haine, la violence, etc. Fraffin est un Clem qui a décroché la timbale d’or : il a trouvé la Terre et l’humanité. À bord de son vaisseau historia-nef, il diffuse nos vies, nos peines, nos guerres. Ses productions sont très populaires parmi les Clems. Kelexel est un investigateur pour la Primatie, le pouvoir central clem. Le succès de Fraffin lui fait soupçonner que celui-ci s’engage avec les humains dans des activités qui dépassent les règles établies lorsqu’on s’amuse avec des espèces intelligentes. Il a raison, mais avant de découvrir que le secret qui lie Fraffin aux humains est bien plus profond qu’il ne le pensait, il tombera lui-même dans un piège.

Sur Terre, Andrew Thurlow est appelé en sa qualité de psychologue à la cour de justice lorsque le père de son ex petite amie, Ruth, assassine sauvagement sa femme. Quelque temps auparavant, il avait déjà évalué cet homme et avait prédit la possibilité d’un accès psychotique grave.  Il va renouer avec Ruth et enquêter sur ce qu’il s’est passé. Thurlow a une particularité. Victime d’un accident qui a failli lui coûter la vue, il doit porter en permanence des verres polarisants. Ces verres vont lui permettre de voir par-delà les mesures d’invisibilité prises par les Clems pour se dérober à la vue des hommes. Sans comprendre au départ de quoi il s’agit, Thurlow va petit à petit se rendre compte que quelqu’un ou quelque chose manipule leurs vies. Jusqu’à ce que Ruth soit enlevée par les Clems. (Je note ici au passage un aspect quelque peu énervant présent dans certains textes d’Herbert, mais heureusement pas tous, qui est le regard sexiste posé sur le rôle de la femme, condamnée à être un objet de désir et un outil de reproduction.)

Le roman se présente sous la forme d’une double enquête policière et met en parallèle l’étude psychologique menée par Thurslow et le piège tendu à Kelexel par Fraffin. Les deux arcs agissent ainsi en miroir. Cela fonctionne bien mais, de par la brièveté de la construction, on reste sur un sentiment de bonne idée sous-exploitée. De même, lorsqu’on découvre que Fraffin manipule l’histoire de l’humanité depuis la nuit des temps, on se dit qu’Herbert est passé à côté d’un roman qui aurait pu être autrement plus ambitieux.

Les Fabricants d’Eden n’est pas un grand roman. Comparé à des livres comme Dune, Destination vide, L’Etoile et le fouet, Dosadi, ou encore La Barrière Santaroga, il fait pâle figure. Mais on y trouve des thématiques habituelles chez l’auteur, et sa brièveté comme son rythme enlevé en font une lecture recommandable pour les amateurs de l’auteur. Par contre, ne commencez pas par ce roman mineur si vous souhaitez découvrir l’œuvre de Frank Herbert en dehors du cycle de Dune.


D’autres avis : Anudar, Olivier Dorveaux dans Bifrost,


Titre : Les Fabricants d’Eden
Auteur : Frank Herbert
Publication originale : The Heaven Makers, Avon (1968)
Edition française : Jean-Claude Lattès, coll. « Titres/SF » (1980) et Pocket (1999, 2006, 2014)
Traduction : Monique Lebailly
Nombre de pages : 246
Format : GdF, poche, ebook


12 réflexions sur “Les Fabricants d’Eden – Frank Herbert

  1. Je l’ai lu il y a des années, mais je n’en ai quasiment aucun souvenir. Il est bien moins marquant, je trouve, que Destination Vide ou que La ruche d’Hellstrom, qui reste un de mes livres préférés de l’auteur.

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    1. Celui-ci je ne l’avais pas encore lu. C’était une nouveauté pour moi. La Ruche je l’ai lu il y a longtemps, et il arrive bientôt dans cette série d’articles. Je vais donc me faire un plaisir de le relire dans les semaines à venir.

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  2. Pas lu celui-ci, mais il n’a pas l’air indispensable d’après ce que tu en dis.
    L’intégrale des nouvelles de Herbert chez le Bélial’ ? Whaou, ça c’est une bonne nouvelle.
    As-tu lu les romans continuateurs du cycle de Dune écrits par le fils ? Si oui, quel est ton avis dessus ? (je précise que je n’ai jamais osé me lancer)

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    1. Bonjour Calambredaine, non je n’ai pas lu les écrits du fils. L’univers décrit dans les romans du père me suffit et je n’ai pas envie d’y ajouter des éléments imaginés par un autre. De plus, les critiques que je lis sur ces livres ne me donnent pas du tout envie de m’y plonger.

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