
Lorsqu’un auteur de la renommée de Frank Herbert trépasse, il arrive qu’on fasse les fonds de tiroirs pour offrir aux fans éplorés des textes inédits. Ainsi, entre 2012 et 2014, quatre romans de Frank Herbert furent publiés à titre posthume, dont High-Opp. Il s’agit de l’un de ses premiers romans, dont on ne sait pas précisément quand il a été écrit, a priori entre The dragon in the sea (1956) et Dune (1963). Il n’avait pas trouvé éditeur à l’époque. Soixante ans plus tard, on peut donc légitimement se demander si le livre mérite d’être lu autrement que par curiosité pour l’auteur. Ou en d’autres termes : il a un quelconque intérêt ce roman ou bien ?
Ma réponse est… oui. On ne parle pas du roman du siècle, mais High-Opp offre une lecture intéressante à différents points de vue. Ma curiosité pour ce livre a été éveillée par la lecture de l’essai Station Metropolis direction Coruscant d’Alain Musset publié en octobre dans la collection Parallaxe chez Le Bélial’ (et dont ma critique paraitra dans le numéro 97 de Bifrost). Étude sociologique des villes du futur dans la science-fiction, l’ouvrage cite en effet le roman de Frank Herbert comme exemple marquant d’une vision dystopique de la ville reproduisant dans sa structure une hiérarchie sociale inscrite dans une « dialectique du haut et du bas », pour reprendre les termes du sociologue.
High-Opp est un roman d’anticipation relevant de la dystopie politique. La société décrite distingue essentiellement deux classes sociales. Il y a les high-opps, citoyens privilégiés travaillant pour le gouvernement, habitant les grands appartements dans les hautes tours de la ville. Il y a les low-opps de la classe ouvrière, habitant les Terriers, ces regroupements d’appartements minuscules au rez-de-chaussée des quartiers éloignés du centre. Et dessous encore, il y a les tunnels. Le gouvernement est mondial et centralisé. Le coordinateur suprême a autorité sur des bureaux, équivalents de ministères. En apparence, le système est démocratique et fait reposer la légitimité de son action sur une opinion publique qui s’exprime par sondages. Evidemment tout cela est pipé, et le système est dictatorial. Statistiques opaques et sémantique sont à l’œuvre. Lorsqu’un livre de SF de la seconde moitié du XXe siècle parle de sémantique, c’est en général en référence à la Sémantique Générale de Korzybski. Celle-ci était au cœur de Monde des à de A.E. van Vogt. Mais quand van Vogt en faisait un outil de développement des capacités mentales de son héros Gilbert Gosseyn, Herbert en fait un outil de manipulation des masses. La sémantique d’Herbert enseigne que les mots peuvent inciter l’individu à réfléchir d’une certaine manière, et le manipuler. Les esprits les plus aiguisés parmi vous se souviendront des résultats des différents référendums organisés ici ou chez nos voisins et de l’importance de la tournure de la question posée. Dans High-Opp, le comm-Burs, le comité des chefs de bureaux, s’assure par la sémantique des résultats des sondages.
C’est aussi le gouvernement qui attribue les emplois et décide de qui sera high-oppé et qui sera low-oppé. Il est évidement plus facile de perdre ses privilèges que d’y accéder. C’est ce qui arrive à Daniel Movius, high-opp et Liaitor, en charge des relations entre les bureaux. Il est viré sur un sondage « Pour des raison d’économies fiscales, seriez-vous en faveur de l’élimination du département surnuméraire du Liaitor ? » Puisse la Majorité toujours diriger ! Morvius est low-oppé mais il va profiter des luttes intestines entre bureaux et les manigances des uns et des autres pour s’assurer toujours un peu plus de pouvoir. Le Bur-Psy va s’intéresser à lui, et il deviendra le leader de la révolution qui couve.
High-Opp a des défauts, nombreux. Daniel Morvius est calqué sur le héros vancien. Il est intelligent, doué, cynique, il s’adapte parfaitement à toutes les situations et, de fait, il est peu crédible. Les autres personnages sont au mieux caricaturaux. Le roman toutefois propose dans sa deuxième partie une réflexion sur l’état, le pouvoir, la manipulation et la révolution qui en fait le sel. En outre, High-Opp annonce les écrits postérieurs de Frank Herbert en montrant déjà les idées maitresses de l’auteur : le héros mu par des motivations personnelles et qui devient le leader d’un mouvement qui le dépasse largement, porté par ceux qui le suivent (thème que l’on retrouvera évidemment dans Dune), la critique des systèmes de pouvoir, l’hyper-bureaucratisation (on retrouve dans Dosadi l’idée des bureaux), la lutte contre les tyrannies, etc.
Il ne s’agit pas d’une lecture indispensable, mais le roman se lit rapidement et est loin d’être déplaisant.
Un autre avis ? Chez Anudar, chez Gromovar.
Titre : High-Opp
Auteur : Frank Herbert
Publication en VO : 2012
Publication en VF : 2014 (traduction : Patrick Dusoulier)
Nombre de pages : 288 (en poche)
Support : papier et ebook
Ça a l’air pas mal de ton point de vue…
Je compte me relire L’étoile et le fouet un de ces quatre
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Tiens moi aussi. Je viens de le racheter. Ca fait tellement longtemps que je l’ai lu que je n’en ai aucun souvenir.
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Mon avis était plus positif que le tien : pour moi, « High-Opp » s’adresse presque plus à nous qu’aux lecteurs contemporains de son écriture, ce qui relèverait – il faut le reconnaître – d’une belle performance.
Il n’en reste pas moins que ce n’est en effet pas le plus indispensable au sein de l’oeuvre herbertienne : c’est avant tout un objet intéressant pour le vieux lecteur de Frank puisque ce roman, comme tu le montres bien, correspond d’une certaine façon à une étape méconnue sur le chemin vers « Dune »…
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Je suis tout à fait d’accord. Assez bizarrement, il s’adresse plus a notre époque qu’à la sienne. C’est assez étonnant.
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Et herbertien, au fond, puisque Herbert avait un certain talent pour écrire de l’intemporel 😉
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