Le Dragon sous la mer – Frank Herbert

dragon

Vous le savez, 2020 sera l’année Frank Herbert. Fébriles, nous attendons tous la sortie de la nouvelle adaptation au cinéma du roman Dune par Denis Villeneuve en décembre. D’ici là, les éditions Mnémos publieront en Mars l’intégrale du Bureau des sabotages. Les éditions Le Bélial’ prévoient quant à elles une intégrale des nouvelles de l’auteur. De mon côté et avec un sens aigu de l’opportunisme, je poursuis l’examen des œuvres d’Herbert à travers une série d’articles commencée avec Destination vide, High-Opp, et le cycle des saboteurs autour de L’étoile et le fouet et Dosadi. Aujourd’hui, nous partons pour un huis-clos au fond des océans. Avant de devenir écrivain – il lui faudra attendre 1972 pour pouvoir en vivre – , Frank Herbert a exercé différents métiers dont principalement le journalisme. Mais pour ce qui nous intéresse ici, il est à noter qu’il fut photographe pour la Navy durant la seconde guerre mondiale, puis psychanalyste à partir de 1952.  Ces deux activités marquent l’écriture de son premier roman, The Dragon in the sea.

The Dragon in the sea est à l’origine une série publiée entre 1955 et 1956 dans la revue Astounding Science-Fiction sous le titre Under pressure, remaniée pour être publiée en 1956 sous la forme d’un roman. Il a été traduit par Paul Chwat sous le titre Le Monstre sous la mer et publié chez Albin Michel en 1972, puis repris chez Pocket à partir de 1993 (dernière édition 2014) sous le titre actuel Le Dragon sous la mer.

« Le pétrole. La guerre exigeait que lui fût livrée la pure substance créée dans le sédiment d’un continent naissant. Le pétrole végétal ne conviendrait pas. La guerre n’était pas végétarienne. La guerre était carnivore. »

Le roman s’ancre dans un cadre dystopique au 21e siècle. L’Orient et l’Occident s’affrontent dans une guerre qui semble ne pas finir depuis seize ans. Des régions côtières entières sont contaminées par les retombées radioactives. Les ressources pétrolières se sont amenuisées et les puissances de l’Occident cherchent à s’en procurer par tous les moyens. Elles utilisent des sous-marins nucléaires (1) pour pomper des champs pétrolifères situés sur les planchers océaniques en territoire ennemi. Ces missions sont dangereuses et se transforment souvent en courses-poursuites en pleine mer. Un mal ronge les troupes : à courir ainsi sur le fil du rasoir, l’équilibre psychologique des marins est précaire, certains sombrent dans la dépression, voire la folie, d’autant que les forces orientales ont réussi manifestement à introduire des rats dans les coursives de la Navy et les vingt dernières missions furent des échecs conduisant à la perte des hommes et des navires.

L’enseigne John Ramsey, psychologue au sein du bureau psychologique, est infiltré en tant que remplaçant du chef électronicien qui s’est suicidé à bord du Fenian Ram (2). L’équipage est constitué du commandant Harvey Acton Sparrow, du lieutenant de vaisseau Leslie Bonnett, du premier maître machiniste José Garcia. Ramsey a pour mission  de démasquer le traitre s’il s’en trouve un à bord, et de faire une évaluation psychologique de l’équipage et du commandant Sparrow.

Le Dragon sous la mer a les atours d’un roman de science-fiction. Situé dans le futur, il imagine des technologies inexistantes au moment de sa rédaction, tout en s’appuyant sur ce qui est connu au moment de sa rédaction. Il a la particularité rare pour le genre de se dérouler sous les mers plutôt que dans l’espace mais, comme le fait remarquer le commandant Sparrow, un sous-marin est ce qu’il y a de plus proche d’un vaisseau spatial. Frank Herbert utilise de très nombreux termes techniques relatifs à la marine et aux sous-marins. Le récit repose sur une tension omniprésente – on pense inévitablement au roman Octobre rouge (1984) de Tom Clancy et à son adaptation cinématographie À la poursuite d’Octobre Rouge (1990) – et les scènes de combats sous-marins dans lesquels l’ennemi reste à jamais invisible sont admirablement rendues.  Mais c’est surtout un thriller psychologique que propose Frank Herbert. À la manière de son roman Destination vide (1966) ou de Vision aveugle (2006) de Peter Watts, les personnages de ce huis-clos à quatre sont des prototypes de profils psychologiques. L’enquête de Ramsey constitue la trame principale du récit et l’on suit le développement de ses analyses au fur et à mesure que la pression psychologique s’accroît sur l’équipage. Dans ce cauchemar confiné, il n’existe aucun échappatoire et chacun doit s’adapter, jusqu’à flirter avec la schizophrénie. Le Dragon sous la mer met ainsi en scène un monde où la santé mentale est une aptitude à la nage et la folie est assimilable à la noyade pour qui ne sait pas naviguer les courants. Il s’agit là d’une thématique dominante dans l’œuvre de l’auteur. On regrettera toutefois une conclusion un peu trop facile. On pourrait attendre mieux de l’auteur de Dune.

En conclusion

Le Dragon sous la mer est un huis-clos psychologique sous haute pression qui plonge dans les eaux sombres de la folie. Il n’a pas la complexité ni l’ambition des romans ultérieurs, mais on y trouve les prémices des grandes thématiques qui parcourront l’œuvre de Frank Herbert. Ce n’est peut-être pas un très grand roman, mais c’est tout de même une lecture très appréciable pour l’ambiance claustrophobique et paranoïaque qui se dégage de ces pages.


Notes :

(1) Le premier sous-marin nucléaire  USS Nautilus SSN-571 est entré en service en 1955.

(2) Le nom reprend celui d’un sous-marin construit en 1881 par la Fenian Brotherhood, organisation nationaliste irlandaise implantée aux Etats-Unis.


D’autres avis : Anudar


Titre : Le Dragon sous la mer (The dragon under the sea)
Auteur : Frank Herbert
Edition : Pocket (2014)
Traduction : Paul Chwat
Nombre de pages : 256
Format : papier et ebook


11 réflexions sur “Le Dragon sous la mer – Frank Herbert

  1. Très bon premier roman (donc on peut pas s’attendre à une conclusion parfaite). Une petite erreur dans ton commentaire F Herbert est né en 1920 donc ne peut avoir été photographe durant la première guerre mondiale, plutôt la seconde.
    Un roman de Herbert dont on parle peu mais qui pour moi est un essentiel La mort blanche.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci ! Je voulais bien évidemment parler de la seconde guerre mondiale. Mon clavier a fourché. En ce qui concerne la conclusion imparfaite, ce n’est pas de la conclusion romanesque dont je parle mais de la conclusion psychanalytique : l’association mer/liquide amniotique manque un peu de subtilité je trouve.

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