Blindsight (Vision aveugle) – Peter Watts *****

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Blindsight, ou Vision Aveugle en version française, est un roman de hard SF spatiale écrit par Peter Watts en 2006 et nommé pour les Hugo. Il s’adresse essentiellement à des lecteurs férus de science, et certainement habitués à lire de la SF.    Que ce soit au niveau des technologies, du transhumanisme (thème cher à la hard-SF), de la conception des formes de vies possibles, etc… C’est un roman extrêmement imaginatif. Il repose sur un scénario en apparence simple mais rythmé, des séquences d’action souvent explosives et des retournements de situation qui emmènent inévitablement l’équipage du Theseus de Charybde en Scylla. C’est un roman sombre.
Mais sous les apparences d’un roman de science-fiction, se cache en fait un essai sur la conscience. Ce questionnement constitue le cœur du livre.

Un essai sur la conscience

Le philosophe américain Thomas Nagel a écrit en 1974 un article resté célèbre, intitulé « What is it like to be a bat » (Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris ?). Brièvement, l’article propose une expérience de pensée pour arguer que l’expérience de la conscience ne peut se faire que par l’expérience subjective du monde.

Dans Blindsight, Peter Watts propose une autre expérience de pensée, sous la forme d’un roman de science-fiction, pour explorer la sentience, la conscience, l’intelligence et questionner leurs développements conjoints. Pour ce faire, il convoque à un premier contact avec une existence extra-terrestre tout un « freak show ».

Tout commence en 2082, lorsque quelques milliers d’objets artificiels d’origine inconnue quadrillent l’atmosphère terrestre et s’y brûle aussi rapidement qu’ils sont apparus en émettant un signal sur une large portion du spectre électromagnétique. Quelques années plus tard le vaisseau habité Theseus est envoyé pour poursuivre une mystérieuse émission radio émise depuis une comète vers une destination inconnue. Là, le Theseus va rencontrer une entité extraterrestre, Rorschach. L’équipage du Theseus est composé d’un panel de transhumains artificiellement modifiés.

– Le narrateur est Siri Keeton. Suite à une opération chirurgicale subie dans l’enfance, Keeton est amputé de la partie du cerveau permettant l’empathie et toute forme d’expériences de vécu émotionnel. Avec quelques apports cybernétiques, cela fait de lui un « synthesist », ou une personne capable d’analyser objectivement les comportements de l’équipage et les situations rencontrées, et d’en faire le rapport vers la Terre. À travers Keeton, Peter Watts explore donc l’opinion des réductionnistes dans le débat sur la conscience : celle qui avance qu’on peut réduire l’expérience consciente à une succession de processus physiques et biologiques.

– Le Gang est la réunion schizophrénique de plusieurs personnalités distinctes dans le corps et l’esprit de Susan James, appelée par le gang « Mom ». Il y a Susan, Michelle, Sasha et Cruncher. Le gang est en charge de l’aspect linguistique de la mission du Theseus. Le gang permet à Watts de compliquer l’expérience de pensée en questionnant l’expérience subjective du monde lorsqu’elle est vécue simultanément par plusieurs consciences.

Isaac Szpindel est le biologiste du groupe. Personnage amoureusement impliqué avec l’un des membres du gang, il représente le côté émotionnel des expériences vécues lors de la rencontre avec Rorschach, l’entité extraterrestre pourchassée par le Theseus. Son backup, Robert Cunnigham possède un profil très différent. Modifié pour pouvoir voir les choses en dehors de son corps, il représente en quelque sorte la conscience désincarnée. C’est lui qui va remettre en cause le niveau d’intelligence et de conscience de Rorschach, et tout ce qu’on entend habituellement par là. Il va aussi questionner la conscience de Keeton.

Amanda Bates est la composante militaire de l’équipage. Elle contrôle (ou plutôt tient en laisse) tout une armée de robots guerriers. Bates est une personnalité qui pense en dehors des clous, et n’est jamais dans la position où on pourrait l’attendre de la part d’une militaire. Elle est la seule à faire des choix moraux.

Jukka Sarasti, commandant du Theseus. Un livre complet pourrait être écrit sur Sarasti. Il s’agit d’un vampire, génétiquement ressuscité et restreint dans ses pulsions (afin qu’il ne dévore pas tout l’équipage). Sarasti est le prédateur ultime. L’évolution de son espèce l’a doté d’une forme d’intelligence et d’un mode de pensée inaccessibles à l’humain. Il est l’exact opposé de Keeton. Sous ses dehors froids, il perçoit, ressent, et ne conçoit la conscience que par l’expérience radicalement subjective des choses, jusque dans la chair. Il est chez Watts l’équivalent de la chauve-souris dans l’article de Thomas Nigel, celle dont on ne peut saisir l’expérience de conscience.

– Un dernier personnage intervient dans l’histoire : Rorschach, l’entité extraterrestre, que Peter Watts utilise pour faire une distinction radicale entre intelligence et conscience. Apprécions au passage la subtilité du nom qui implique que chacun y perçoit ce qu’il veut.

D’autres personnages secondaires (la mère de Keeton, sa petite amie, son père) interviendront pour étayer les démonstrations de Watts à travers le roman. C’est à travers ce panel artificiel de personnages fabriqués comme des monstres, amputés, modifiés, trafiqués, que Peter Watts propose son expérience de pensée. Chaque personnage est le paradigme d’une position philosophique dans le débat, ce qui rend le discours de Watts très inventif et très riche.

Et il y a tant d’autres choses encore dans ce livre, notamment sur la notion de « vision aveugle », ou sur les différents syndromes qui peuvent affecter la conscience de soi ou du monde, qu’il faudrait un livre pour en parler.

Conclusion lapidaire

Blindsight est un livre brillant !

PS : Vision aveugle va être réédité en 2021 chez Le Bélial’ !


D’autres avis de lecteurs : un curieux, l’Albédo, le chroniqueur, Apophis,


Livre : Blindsight
Série : Blindsight (Book 1)
Auteur : Peter Watts
Publication : 2006
Langue : Anglais
Traduction : Vision Aveugle
Nombres de pages : 384
Format : papier et ebook


20 réflexions sur “Blindsight (Vision aveugle) – Peter Watts *****

  1. J’ai trouvé ce récit passionnant, et je le fais figurer au rang des chefs-d’oeuvre de la Hard SF. J’ai commencé la partie culturelle de mon blog par lui (ce que je regrette un peu : j’aurais pu en faire une critique plus longue, plus complète : il y a tant à dire, à découvrir, à commenter !).

    Moins jargonnant qu’un Charles Stross, je trouve notre ami Peter Watts plus profond. Un jour, je relirai cet ouvrage : je sens que j’y découvrirai de nouvelles profondeurs !

    J’ai l’impression que tu as aimé aussi, je me trompe?

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  2. J’ai adoré. Je suis à deux doigts de le classer parmi mes chefs-d’oeuvre mais j’ai encore une petite hésitation qui vient de…je ne sais pas trop. Mais il est fort probable qu’il y fasse son entrée. Quant au fait que Watts soit plus profond que Stross, oui je suis tout à fait d’accord !

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  3. Je viens de finir la lecture de « vision aveugle » rééditée chez le Bélial que je n’avais jamais lu. Effectivement, c’est une oeuvre majeure de la SF. La philosophie (Que sont conscience, intelligence..?) en est le fondement, mais les sciences sont également très solides (en particulier la biologie). L’extraterrestre est selon moi parfaitement crédible et il rejoint les très rares cas d’êtres complètement différents dans la SF. Chacun tirera ensuite ses conclusions. J’ai beaucoup apprécié les références qui ont servi à la construction du roman ainsi que les explications de l’auteur. Il y a tellement à assimiler dans ce chef-d’oeuvre que je le relirai dans quelques mois.

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