Suite à une discussion sur Le culte d’Apophis concernant la faible notoriété de Charles Stross en France, je me suis dit qu’il serait juste et bon (mais oui, parfaitement) de proposer sur l’épaule d’Orion un article dédié à cet auteur emblématique de la hard-SF, mais pas que.
Charles Stross est un auteur anglais, résident d’Edimbourg en Ecosse, né en 1964 à Leeds dans le comté du Yorkshire dans le Nord de l’Angleterre. (Techniquement, cela fait de lui un Hobbit.) Il a d’abord étudié pour devenir pharmacien, ce qu’il a accompli en 1987, mais dès 1989 il entame un diplôme de troisième cycle en informatique. Il sera codeur et auteur d’articles techniques pendant les dix années suivantes. Notez, à ce sujet, qu’il ne faut pas venir lui donner des conseils sur tel ou tel système d’exploitation sur Twitter, il désapprouve. Ce n’est qu’en 2000 qu’il se consacre entièrement à l’écriture, d’abord sur des publications techniques en informatique, puis comme auteur de science fiction.
En parallèle à cela, il a été très actif dans le milieu des jeux de rôle en publiant dans les années 80 des articles sur AD&D dans le magazine White Dwarf. Il est notamment le créateur de différents monstres qui ont ensuite été incorporés dans le Fiend Folio, second volume du Guide des Monstres d’AD&D, comme les Githyanki (représentés en couverture de la première édition du FF), les Githzerai, ou encore le Death Knight que l’on retrouve sous l’identité de Lord Soth dans la célèbre campagne Dragonlance. La raison pour laquelle je rapporte ces quelques éléments biographiques est qu’ils se retrouvent sous une forme ou une autre dans les écrits de Stross.
Sa production littéraire est marquée par une volonté revendiquée d’explorer les différents sous genres de la science-fiction et de la fantasy. Que ce soit en hard-SF, en horreur humoristique et cosmique, en space opera post-singularité ou encore dans de la fantasy d’univers parallèles, Charles Stross a produit un nombre important de romans et de nouvelles, couronnés par de nombreux prix, même si cette production est assez inégale en qualité. Il a reçu le Hugo de la meilleure novella pour The Concrete Jungle en 2005, le Locus pour le roman Accelerando en 2006, le Locus en 2007 pour la novella Missile Gap, un autre Hugo pour Palimpsest en 2010 et pour Equoid en 2014, un autre Locus pour The Apocalypse Codex en 2013, ainsi que de nombreux autres prix et nominations. On est dès lors en droit de penser qu’il serait vraiment dommage de passer à côté de cet auteur.
Une des raisons du désamour du lectorat français pour Charles Stross vient sans doute de sa forte culture geek. Son humour, omniprésent dans ses romans et nouvelles, est un humour de geek. Ses préoccupations : informatique, jeux de rôle, horreurs lovecraftiennes, gadgets high-tech et singularité technologique, sont des préoccupations de geek. Son style est chaotique et son vocabulaire, foisonnant de néologismes techno-orientés (à ce point que le roman Accelerando a nécessité l’addition d’un glossaire), est un vocabulaire de geek. La France, terre des belles lettres et des opinions raffinées, n’aime pas les geeks. Ainsi, la critique qu’on lit le plus souvent sur le web français au sujet de ses écrits se résume à « c’est nul, j’ai rien compris »*. A l’inverse, la culture geek est fortement ancrée dans le monde anglo-saxon où Stross fait bonne figure.
Je vous propose ci-dessous une sélection bibliographique des principaux textes de l’auteur, qui représente, assez bien je pense, la pluralité des genres abordés.
*il s’agit là d’un vrai commentaire copié-collé depuis Amazon.
Accelerando (2005) (Accelerando, 2015, Piranha) – Prix Locus du meilleur roman 2006
Accelerando est le chef-d’œuvre de Charles Stross, en ce qui me concerne. Ce roman vertigineux est une exploration strossienne de la singularité technologique de Vernor Vinge. Comme souvent, Charles Stross se saisit d’une idée de SF, et l’explore bien plus loin que les autres auteurs. Cette idée, il la développe sur trois générations, à travers le vingt et unième siècle. C’est un roman complexe, parfois difficile à lire, mais très gratifiant pour les amateurs de hard-SF. Voir la critique.
Glasshouse (2006). Prix Prometheus du meilleur roman 2007.
Glasshouse est censé se dérouler dans un univers post-Accelerando. L’histoire du roman est celle d’une simulation des « années sombres » (pré-accélération) dans laquelle quelques personnes au passé trouble se trouvent plongées.
There are fractured shards of my memory all over the lobby of my Cartesian theater, waiting for me to slip and cut myself on them.
Glasshouse est certainement le roman le plus simple à lire de Charles Stross, mais il est assez décevant d’un point de vue scénaristique, car justement trop simple. Voir la critique.
Palimpsest (2009) (Palimpseste, 2011, J’ai lu) – Prix Hugo de la meilleure novella 2010
Palimpsest est un des autres grands romans de Charles Stross. Il raconte la vie de Pierce, un agent de la Stase qui est une organisation de voyageurs dans le temps chargée de préserver l’espèce humaine à travers les siècles.
L’humanité finit toujours par disparaître, ne l’oublie pas.
Ici encore, Stross fait les choses en plus grand que ses collègues et plutôt que d’imaginer des voyages dans le temps de quelques dizaines ou centaines d’années, Palimpsest couvre 1000 milliards d’années. Voir la critique.
The Laundry Files series. (La laverie)
Une série emblématique au sein de l’oeuvre de Charles Stross est celle des Laundry Files. Débutée en 2004, la série est composée à ce jour de 8 romans et de 5 nouvelles venant s’insérer dans la chronologie. Un neuvième roman doit paraître en 2018. A ma connaissance, seuls les deux premiers romans sont disponibles en français. Dans les Laundry files, Stross revisite et modernise avec beaucoup d’humour le Mythe de Cthulhu, sous la forme de nouvelles qui relèvent, au moins au début de la série, de l’Histoire Cachée. Si la structure du récit est basée sur la mécanique rodée des romans d’espionnage, le tueur à gages qui vous attend derrière la porte a beaucoup trop de tentacules pour appartenir à cette dimension et la magie est une branche des mathématiques appliquées. On y suit ainsi les enquêtes de la branche ésotérique des services secrets anglais, la Laundry, celle qui s’occupe de raccompagner vers la sortie les créatures d’autres plans d’existence qui s’aventureraient dans notre univers. Elles sont nombreuses, et mal intentionnées.
Dans le cas du grand circuit d’Al-Hazred, la terminaison était une chèvre noire sacrifiée à minuit avec un couteau d’argent uniquement touché par des vierges, mais de nos jours on utilise simplement une capacité de 50 microfarads.
La magie existe mais est une branche des mathématiques appliquées. Appliquez le bon théorème, résolvez la mauvaise équation, et une horreur cosmique est susceptible de venir visiter notre monde. Si le caractère humoristique de la série est très marqué, on trouve aussi certains éléments qui relèvent de l’horreur. L’ordre de lecture habituellement reconnu est :
1 – The Atrocity Archives (2004) (Le Bureau des atrocités, 2004, Robert Laffont)
1.5 – The Congrete Jungle (2004) (Jennifer Morgue, 2006, Le Cherche Midi) – Hugo 2005
2 – The Jennifer Morgue (2006)
2.1 Pimpf (2006)
2.5 – Down on the Farm (2008)
2.9 – Equoid (2013) – Hugo 2014 – Voir la critique
3 – The Fuller Memorandum (2010)
3.5 – Overtime (2009)
4 – The Apocalypse Codex (2012) – Locus 2013
5 – The Rhesus Chart (2014)
6 – The Annihilation Score (2015)
7 – The Nightmare Stacks (2016)
8 – The Delirium Brief (2017)
9 – The Labyrinth Index (2018)
Merchant Princes series (Les Princes Marchands)
La série des Princes Marchants est une série de science-fantasy et d’histoire alternative. Elle met en jeu un certain nombre d’univers parallèles au nôtre, où la géographie est identique à celle de la Terre que nous connaissons, mais où les sociétés en sont à différents stades de développement. La série suit les aventures de Miriam Beckstein, journaliste d’investigation, qui découvre qu’elle est réellement née dans un des univers parallèles et qu’elle appartient à une lignée familiale qui a le pouvoir de voyager entre les mondes. A partir de là, toute la série explore les implications de tels voyages entre des mondes à tendance uchronique, et les trafics en tout genre que les grandes familles font entre les mondes. La série comporte à ce jour 7 volumes, et deux de plus sont à paraître en 2018 et 2019. Seuls les 4 premiers tomes ont été traduits.
1 – The Family Trade (2004) (Une affaire de famille, 2006, Robert Laffond) – voir la critique d’Apophis.
2 – The Hidden Family (2005) (Un secret de famille, 2006, Robert Laffond) – voir la critique d’Apophis.
3 – The Clan Corporate (2006) (Famille et Cie, 2007, Robert Laffond)
4 – The Merchants’ War (2007) (La Guerre des familles, 2011, Robert Laffond)
5 – The Revolution Business (2009)
6 – The Trade of Queens (2010)
7 – Empire Games (2017)
8 – Dark State (2018)
9 – Invisible Sun (2019)
The Eschaton Series (L’eschaton)
Le tout premier roman de Charles Stross, oeuvre de jeunesse comme il la qualifie lui-même, est Singularity Sky. Son intention était d’écrire un space opera dans lequel l’humanité se serait répandue dans la galaxie. Mais l’univers, c’est grand. Le premier problème à résoudre est donc celui des transports entre colonies afin qu’une telle expansion soit possible. Le seul moyen de résoudre cela est d’imaginer la possibilité du voyage plus rapide que la lumière, mais cette possibilité se confronte à la violation du principe de causalité sans lequel l’univers ne peut exister de manière cohérente. Si on ajoute au problème l’inévitable singularité technologique, Stross imagine alors une intelligence artificielle, venant du futur, qui interdit à l’humanité de développer les technologies qui l’amènerait à violer la causalité et mettre en danger son cône de lumière. Ainsi est né l’Eschaton.
Je suis l’Eschaton ; Je ne suis pas votre dieu. Je descends de vous, et j’existe dans votre futur. Vous ne violerez pas la causalité dans mon cône de lumière historique. Sinon…
1 – Singularity Sky (2003) (Crépuscule d’Acier, 2006, Mnémos) – voir la critique
2 – Iron Sunrise (2004) (Aube d’acier, 2006, Mnémos) – voir la critique
Quand bien même l’idée de départ était excellente, et le personnage de l’Eschaton très intéressant, Charles Stross a annoncé en 2010 sur son blog son intention de ne pas poursuivre la série. Il estime en effet avoir commis une erreur irréparable dans son approche du voyage dans le temps, et considère que le monde de l’Eschaton est cassé. Le roman Palimpsest est d’ailleurs une réponse à cette erreur.
Saturn’s Children series
La série Saturn’s children est constituée de deux romans et d’une nouvelle qui s’insère chronologiquement entre les deux. Il s’agit d’un space opera dans laquelle une société d’androïdes et de robots obsolètes tente de se trouver une raison de vivre dans un monde où l’humanité a disparu.
His general intelligence has just crashed to something between a dishwasher and a microwave oven.
Si d’un point de vue scénaristique la série n’est pas entièrement convaincante, elle contient tout de même de très belles réflexions sur la notion d’individualité et sur le voyage spatial. La série n’a pas été traduite.
1 – Saturn’s Children (2008) – voir la critique
1.5 – Bit rot (2010) – publié dans le recueil Engineering Infinity
2 – Neptune’s Brood (2013)
Halting State series
La série Halting State se déroule 15 minutes dans le futur à Edimbourg. Elle est basée sur une extrapolation des possibilités et des dangers d’internet, des jeux en ligne, des hackers, et de la surveillance généralisée. La série est assez sympathique, mais sans atteindre le niveau d’autres écrits de Stross.
1 – Halting State (2007) – voir la critique
2 – Rule 34 (2011).
Très bonne idée que de proposer ce genre d’articles pour découvrir des auteurs méconnus ! Stross fait partie de mes plus grandes attentes
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Ah ben merci ! Ravi que cela plaise !
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Je plussoie, voilà une excellente initiative, pouvant enfin sortir certains auteurs d’un quasi-anonymat dans lequel ils n’auraient jamais dû se trouver, alors que pléthore de médiocres sont en pleine lumière. Je te remercie pour les liens !
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You’re welcome, sir. L’épaule d’Orion n’existerait pas sans le Culte.
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Intéressant, merci et content de découvrir le géniteur des gythianki:)
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Et même des githyanki !
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Pour l’anecdote : je suis particulièrement sensible au fait que Stross soit le créateur des Githyanki, car pendant mes années de JdR, j’ai patiemment monté un personnage, un guerrier-assassin, qui lors d’une campagne qui a marqué un tournant dans sa carrière, s’est retrouvé propulsé bien malgré lui dans le plan astral, face à une bande de Githyanki. Au grand dam du DM, ce personnage a survécu en emportant avec lui deux épées sharpness récupérées sur les cadavres des Githyanki. Etant ambidextre, il est alors devenu une sorte de hachoir à viande, ce qui lui permis de mettre la main un peu plus tard sur une relique. C’est ainsi qu’il est entré dans la catégorie des Gros Bill quasi-invulnérables qui font chier les DM dans les campagnes. A ce jour, ce personnage est toujours officiellement vivant. Il portait le doux nom de….FeydRautha. Voilà par ailleurs l’explication de mon pseudo en ligne, indirectement lié à Charles Stross.
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Hum, oserais-je avouer que lors d’une campagne grosbillesque j’ai joué un githyanki dont la monture était un dragon rouge ? Non, je n’ose pas, on a tous nos petits secrets de rôlistes 😉
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Il existe un projet tipee ayant abouti à l’édition FR (numérique) de plusieurs titre de la laverie. J’y ai même participé alors que je ne suis pas lecteur du cycle. Je conseille à tous de suivre les news d’un site comme actu SF pour ne rater à côté d’initiative d’une telle portée…Les titres en question sont:
– A colder War
– Overtime (nouvelle)
– Down on the Farm (nouvelle)
– Equoid (roman court, prix Hugo 2014)
– Le Mémorandum Fuller (roman)
https://www.tipeee.com/exoglyphes
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Merci de l’info !
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Merci à toi Chéradénine, c’est ce que je recherchais : le lien pour participer (c’est Charlie qui m’a indiqué que c’était en cours), et j’ai finalement trouvé le lien pour commander !
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Pardonnez-moi pour l’absence de relecture…
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Je suis entièrement d’accord avec toi. Un bon auteur sous-estimé ici. Mais, il n’est pas le seul. hélas!
j’avias lu la série d’acier. Il y a – ouf – un bon moment. J’en ai plusieurs qui sont dans ma wish, quand je trouverai le temps de lire encore davanatge!
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Accelerando, Accelerando, Accelerando !!!
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Ok, ok!
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En même temps, si tu n’as jamais lu Stross, le mieux c’est peut-être de commencer par Palimpseste. Accelerando est hard !
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J’aime beaucoup le concept de ce genre d’articles! Encore, encore, encore!
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Merci ! Je vais essayer d’en proposer d’autres. Je ne sais pas encore qui sera le prochain auteur, mais j’y réfléchi.
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