Presque vue – Tochi Onyebuchi

Je vais vous faire une confidence : je ne suis pas tout seul dans ma tête. Riez tant que vous voulez, vous non plus. Et puis tant que ça reste en nombre limité, ce n’est pas trop grave. (Dans le pire des cas, on se retrouve embarqué à bord du Theseus pour aller à la rencontre de Rorschach.) L’autre, c’est cette petite voix venue dont ne sait où, qui parfois vous glisse à l’oreille des conseils, vous dit de ne pas faire ceci ou cela, semble toujours comprendre les choses plus rapidement que vous, qui vous souffle la solution à un problème dont vous avez à peine parcouru l’énoncé, qui prend le relais quand il faut diagonaliser un hamiltonien un peu velu, qui répond à votre place à une question dont vous vous avez encore du mal à saisir le sens des années plus tard. Vous ne savez jamais trop ce qu’elle vous veut cette petite voix mais elle vous accompagne dans votre vie. Enfin, parfois. Car, c’est aussi elle qui se fait silencieuse dans les moments où, justement, ce serait bien qu’elle donne son avis sur la décision importante que vous devez prendre. Mais elle semble ne vouloir se manifester que pour les choses les plus futiles.

Cette petite voix, Tochi Onyebuchi en parle dans la nouvelle Presque vue publiée dans le numéro 41 de la revue anglo-saxonne Uncanny. Vous pouvez la lire en ligne, et en anglais, ici. C’est un texte très court mais que j’ai trouvé particulièrement bien tourné. Je vous avais déjà parlé de Tochi Onyebuchi à l’occasion de la publication du roman Riot Baby. Ce roman sortira en français sous le titre L’architecte de la vengeance début avril chez Albin Michel Imaginaire. Entre temps, l’auteur a publié un nouveau roman, Goliath, dont nous reparlerons bientôt. Mais en attendant, Presque vue.

Sam a toujours entendu cette petite voix qui ressemblait vaguement à celle de sa mère lorsqu’elle était enfant puis à la sienne lorsqu’elle est devenue femme.  Son père lui disait que c’était sa conscience, sa mère, que c’était son instinct. Mais ces réponses ne la satisfaisaient pas. Pas plus que les explications des psys auxquels elle en a parlé. C’était autre chose, un indéfinissable.

À l’école, Sam était douée. La voix lui fournissait les réponses à des problèmes de trigonométrie qu’elle résolvait bien trop vite. Elle a même poussé jusqu’à la thèse. Mais la voix est restée curieusement silencieuse lors de son premier baiser échangé, ou lors de son mariage avec un homme qu’elle quittera plus tard. Pour toutes les grandes décisions qu’elle a dû prendre, la voix fut silencieuse. Sam s’interrogera toute sa vie sur la nature de cette voix, alors que celle-ci se fait de plus en plus discrète. Tochi Onyebuchi suggère une réponse science-fictive à cette interrogation dans les dernières lignes de la nouvelle et l’emmène ainsi dans une direction totalement inattendue. C’est joli !

Cette nouvelle fait partie des textes parus en 2021 et dont la lecture est recommandée par le magazine locus.


5 réflexions sur “Presque vue – Tochi Onyebuchi

  1. Cher Feyd-Rautha,

    Dont j’admire la productivité et que je lis toujours avec intérêt, j’ai été surpris par ta dernière chronique et cette histoire de voix intérieure. C’est en effet quelque chose que j’éprouve depuis des années, en fait aussi depuis aussi longtemps que je me souvienne. Spécialement la nuit, juste avant le sommeil ou en état de somnolence, en état hypnagogique qui peut durer très longtemps, une voix, en fait la mienne, me dicte des réponses à des problèmes que je me pose (pas du tout futiles) ou encore le texte de lettres à écrire, etc. Je m’en souvenais très bien le lendemain et mon travail était en somme tout préparé voire fait. Ça ne marche plus très bien depuis environ deux ans parce que ma mémoire a beaucoup décliné. C’était ma voix intérieure mais en même temps, j’avais l’impression qu’elle venait d’ailleurs. Je n’étais pas tout seul dans ma tête pour reprendre ton expression. Et l’autre était beaucoup plus doué, rapide, etc. Difficile à expliquer. Je pensais que c’était une expérience courante, pas du tout liée à un thème disons fantastique. Alors, je voulais savoir si c’est ce que tu ressens aussi comme le donne à penser ton premier paragraphe. Malheureusement, cette voix n’avais pas d’intérêt pour les mathématiques ce que je déplore d’autant plus que mon ignorance dans ce domaine me fait honte. Je comprends assez bien la philosophie des maths mais résoudre ou même lire une équation un peu compliquée, ça reste du chinois pour moi, et mon chinois est très limité. Dis-moi ce que tu en penses.

    Amitiés et à te lire.

    Gérard

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    1. Bonjour Gérard,
      il en est de même pour moi, à la différence que ma petite voix intérieure a toujours eu un intérêt prononcé pour les sciences et les mathématiques. Sans elle, je suis persuadé que je n’aurais pu faire les études que j’ai faites. Elle m’a été essentielle et l’est encore aujourd’hui dans mon travail quotidien. Cette capacité de travail « sans moi » et « mieux que moi » n’est évidement pas étrangère à ma « productivité » sur le blog. Quant à la dernière phrase de cette chronique, non, je ne prête bien sûr à cette voix aucune origine fantastique. La notion de subconscient, voire même de simple capacité de travail du cerveau lorsqu’il n’est pas distrait par des stimuli extérieurs me satisfait pleinement.
      Amitiés,

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