
« Celui qui, poussé par son imprudence, écoutera la voix des Sirènes, ne verra plus son épouse ni ses enfants chéris qui seraient cependant charmés de son retour. » (Odyssée, Homère)
La science-fiction est homérique. Plus que de toute autre tradition littéraire, la science-fiction et la fantasy héritent directement de l’épopée. Oh, bien sûr, il y a eu la tentation de rapprocher la SF du roman psychologique dans les années 60 et 70, mais toujours en abandonnant une part de son identité et de son charme, à mon avis. Notamment parce qu’ils ont inventé des métaphores puissantes, les grands mythes classiques irriguent encore l’imaginaire d’aujourd’hui et s’il est un poète grec qui a influencé le genre, du Dune de Frank Herbert à Terra Ignota d’Ada Palmer, c’est Homère. Je pense qu’Émilie Querbalec ne me contredira pas sur ce point. L’autrice française voit publié le 31 août 2022 son deuxième roman, Les Chants de Nüying, chez Albin Michel Imaginaire, après le très remarqué Quitter les Monts d’Automne paru en septembre 2020.
Si j’ouvrais cette chronique sur une citation tirée de l’Odyssée, c’est que Les Chants de Nüying est une variation polymorphe et futuriste du chant des sirènes contre lequel Circé mettait en garde Ulysse.
Le roman se déroule au XXVIe siècle mais certains éléments de l’histoire indiquent qu’elle s’inscrit dans un univers uchronique au nôtre. Le point central étant que la conquête spatiale a connu une prédominance chinoise et non américaine, ce qui ouvre un univers un peu plus original que ce qu’on lit habituellement. Envoyée pour explorer le système solaire Shun situé à vingt-quatre années-lumière de la Terre, une sonde Mariner a enregistré sous les glaces de la planète Nüying des « chants » dont nul ne saurait dire s’ils sont d’origine naturelle ou artificielle, auquel cas ils seraient la preuve de l’existence d’une vie extraterrestre. Leur nature mystérieuse et leur beauté enflamment les imaginations et l’humanité cède au chant des sirènes de Nüying. Après 30 années de construction, le cargo-monde Yùtù est à quelques mois d’embarquer quelque 500 passagers, dont la majeure partie sera placée en stase, pour un voyage de vingt-sept années en direction de Nüying. Cette mission d’exploration scientifique, baptisée Shun, est financée par le milliardaire sino-américain Jonathan Wei.
Les Chants de Nüying est un roman touffu, riche et ambitieux, couvrant de nombreuses thématiques. Émilie Querbalec fait appel à plusieurs tropes de la science-fiction : l’exploration spatiale, les vaisseaux mondes, le premier contact, la numérisation des consciences, qui sont autant de thématiques à explorer et discuter sous l’ombre tutélaire d’Homère et de ses sirènes.
Le récit se divise en trois parties. La première concerne la préparation de la mission Shun. Elle se déroule dans la cité lunaire chinoise de Taihe-Concordia et permet de faire la rencontre des principaux personnages du roman, de divers origines et horizons, que l’autrice prend grand soin de développer. Il y a Brume, bioacousticienne qui poursuit ici son rêve d’enfant de découvrir l’origine des chants de Nüying. C’est un autre rêve que fait Jonathan Wei. Déjà âgé au moment du départ, il souhaite au cours du voyage bénéficier d’une technologie expérimentale de réincarnation numérique assistée (RNA). Ce n’est rien de moins que l’immortalité qu’il vise. Il y a encore William, Dana,… Quant au personnel sélène du Yùtù, ceux qui sont nés sur la Lune et n’ont jamais connu la Terre, c’est de tout autre chose qu’ils rêvent… La deuxième partie du roman raconte le voyage et la troisième est l’arrivée à Nüying. Dans sa partie centrale, celle du voyage, l’autrice revisite des questions déjà abordées dans de nombreux romans (j’en parlais ici ou là) sur les arches générationnelles, à savoir celles de l’évolution culturelle d’une population à bord d’un vaisseau dont la destination n’est qu’un but lointain et intangible. De ce point de vue, Les Chants de Nüying évoque la nouvelle Paradis perdu d’Ursula Le Guin. Émilie Querbalec imagine, en mêlant fiction et histoire réelle, le développement d’une culture et d’un culte dérivé du bouddhisme et les conséquences qu’un mysticisme dévoyé peut avoir sur ceux qui cède à son chant au fin fond de l’espace. S’y mêle le chant des sirènes de la technologie et de l’inaccessible immortalité à laquelle aspire Jonathan Wei. Dans sa partie finale, une fois Nüying atteinte, le roman évoque alors plutôt Apprendre si par bonheur de Becky Chambers et l’on voit Brume répondre au chant des sirènes de la découverte d’un nouveau monde. Chacun des personnages principaux ou secondaires du roman répondra à sa manière à un appel. Mais loin d’être une mise en garde circéenne à ne pas céder en s’attachant au mât du navire, Les Chants de Nüying appelle à entendre les sirènes et suivre l’onde au risque de s’y perdre. Ou de s’y trouver.
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage », écrivait Du Bellay.
D’autres avis : Les lectures du Maki, Vive la SFFF, Le Nocher des livres, Anudar, Le Chroniqueur,
- Titre : Les Chants de Nüying
- Autrice : Émilie Querbalec
- Publication : 31 août 2022 chez Albin Michel Imaginaire
- Nombre de pages : 464
- Support : papier et numérique
Ah ben oui mais si tu me le vends avec « apprendre si par bonheur »… 🥰🥰🥰
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J’ai beaucoup aimé le voyage, une véritable épopée poétique et scientifique.
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j’ai hâte qu’il arrive chez nous le 10 0ctobre. J’avais beaucoup aimé Quitter les monts d’Automne et son côté japonisant. En effet, le fait de sortir du schéma nord américain est toujours intéressant. C’était le cas du cycle du problème à trois corps de Liu Cixin, avoir une approche SF avec le mode de pensée d’une autre culture est très intéressant.
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Acquis ce midi, plongée immédiate dans les jardins du Palais Royal… hyper dur de le lâcher pour retourner bosser 😔
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Je suis très curieux d’avoir ton retour une fois terminé !
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Promis
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Un roman qui me tente beaucoup encore une fois, je ne m’étais pas laissée tenter par son premier roman, mais celui-ci par contre…. je vais tenter.
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Les chants de Nüying est un roman absolument fascinant. J’ai eu beaucoup de mal à ressortir de cet univers et démarrer une autre lecture. Je ne suis pas étonné de voir qu’il atteint les meilleurs chiffres de vente de la collection ABI. Je le recommande à tout le monde autour de moi.
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