Braking Day – Adam Oyebanji

J’aime les arches interstellaires. On attend de la science-fiction, entre autres, qu’elle invente des modèles de société et expérimente avec, tout en nous distrayant. L’arche, ou la nef, interstellaire est outil simple pour isoler un bout d’humanité et lui faire subir de vilaines choses. C’est un microcosme, un monde en bouteille, placé sous une loupe binoculaire. Dès le XVIe siècle, les philosophes humanistes imaginaient des îles. En SF, on construit des vaisseaux spatiaux géants et on y enferme des gens. Si l’idée des arches interstellaires est souvent attribuée au physicien américain Robert H. Goddard, pionnier de l’astronautique, pour avoir proposé d’envoyer des hommes dans l’espace pour des voyages longs dès 1918 – il s’agissait alors de maintenir l’équipage en animation suspendue – c’est au physicien russe Konstantin Tsiolkovsky, que l’on doit l’idée de faire vivre plusieurs générations d’humains à bord d’un vaisseau spatial. Et depuis les auteurs de science-fiction en ont fait un trope et produit de très nombreux romans – la liste est trop longue pour être reproduite ici, mais depuis la nouvelle Universe de Robert A. Heinlein (Astounding Science Fiction, mai 1941, reprise dans le roman Orphans of the Sky en 1963), de nombreuses générations d’humain ont souffert dans les quartiers exigus des vaisseaux partis vers la promesse d’un ailleurs. (Rien que sur ce blog, on trouve Lungfish de John Bruner (1957), Paradis Perdu d’Ursula K. Le Guin (2002), La Nef des fous de Richard Paul Russo (2011), Aurora de Kim Stanley Robinson (2015), L’Incivilité des fantômes de Rivers Solomon (2017), Les Etoiles sont légion de Kameron Hurley (2017), Acadie de Dave Hutchinson (2017), Noumenon de Marina J. Lostetter (2017)…). Autre paradigme intéressant des vaisseaux générationnels : le voyage a un début et une fin. Et donc un but.

Ce trope est celui auquel s’attaque l’auteur américain Adam Oyebanji dans on premier roman Braking Day. L’exercice est délicat, dans un premier roman. Soit on a trop lu et on reproduit, soit on n’a rien lu et inévitablement on redit, souvent en moins bien. On est rarement innovant, en somme.

Adam Oyebanji nous emporte dans l’espace, dans un futur lointain. Trois nefs générationnelles ont quitté la Terre pour échapper aux IA qui ont pris le pouvoir. Après 132 ans de voyages, les vaisseaux approchent enfin de leur destination : Tau Ceti. À l’instar des très nombreux romans se déroulant à bord d’une nef générationnelle, l’auteur décrit minutieusement dans la première moitié de son roman un univers clos depuis des générations, où une société humaine s’est organisée pour un voyage au long cours. Bien que peu originale en regard de ce qui a été écrit avant (on pensera notamment à Lunfish de John Brunner et Paradis perdu d’Ursula K. Le Guin), cette première partie du roman est intéressante et plutôt bien écrite. L’auteur prend le temps de construire cet univers et de le faire découvrir au lecteur sans avoir recours à un infodump pesant. Tout est dit à travers les yeux du personnage principal, dans sa vie quotidienne à bord de l’Archimède – l’un des trois vaisseaux composant la flotte, les deux autres étant le Bohr et le Chandrasekar, ce qui rend la lecture assez plaisante. Les IA sont totalement interdites à bord de la flotte depuis la fuite de la Terre, mais tout individu est muni dès l’enfance d’implants cérébraux qui lui permettent de communiquer avec le vaisseau, avec ses congénères, et avec la Hive qui est le réseau local. Après des générations, la vie sociale est marquée par une forme de ségrégation basée sur l’origine familiale de chacun. Le personnage principal, Ravi, a ainsi les plus grandes difficultés à se faire accepter comme élève ingénieur et subit régulièrement les moqueries de ses camarades et de ses professeurs officiers, étant issu du clan MacLeod, négativement connu pour ses petits truands qui ont été prématurément « recyclés ». Sa cousine « Boz » est une paria, mais aussi un génie de l’informatique. On apprend rapidement l’existence d’une faction qui émet des doutes sur le bienfondé de la mission originale, à savoir l’établissement de la population humaine sur une nouvelle planète (oui, comme dans Lungfish, Paradis perdu et tant d’autres…). Le worldbuilding est assez prenant, l’auteur invente une culture locale, avec quelques inventions de langage et des expressions bien trouvées, qui découlent de la vie dans l’espace profond, loin de la Terre des origines.

Toutefois, à la moitié du roman, une importante révélation sur l’histoire de la flotte est faite.  Le roman prend alors une tournure de page turner à rebondissements, envoyant Ravi et Boz dans une série d’aventures rocambolesques tout d’abord à bord de l’Archimède, puis dans l’espace, puis vers les autres vaisseaux, … tout au long d’un scénario cousu de gros fils blancs, jusqu’à un inévitable happy end empli de bons sentiments.

Passant à côté de l’exploration sociologique qui habituellement fait tout l’intérêt des arches générationnelles, l’auteur oriente son roman vers un récit d’action dans lequel la psychologie des personnages et leurs motivations demandent une trop grande suspension d’incrédulité pour être passionnants. Les multiples rebondissements se résolvent grâce à d’improbables concours de circonstances. On entre dans le domaine de l’entertainment hollywoodien, et une fois la première moitié passée – qui était pourtant porteuse d’espoir – le cerveau se débranche et plus aucun neurone n’est sollicité. Avec Braking Day, Adam Oyebanji n’apporte rien de nouveau ni au space opera, ni au trope des nefs générationnelles. C’est un roman d’aventure qui s’adresse essentiellement à un public jeune – il reprend d’ailleurs nombres des codes du YA, ou à qui n’a pas envie de trop réfléchir en parcourant ses pages. Je lui ai trouvé personnellement trop peu d’intérêt pour en recommander la lecture.


  • Titre : Braking Day
  • Auteur : Adam Oyebanji
  • Publication : 5 avril 2022 chez Daw Books
  • Nombre de pages : 368
  • Format : papier et numérique

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