La Nef des fous – Richard Paul Russo

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Richard Paul Russo n’écrit pas de livre. Enfin, si, il en a écrit mais il n’en écrit plus. Entre 1988 et 2005, l’auteur américain a produit une trilogie, quatre romans, et un recueil de nouvelles. Depuis plus rien. Son roman le plus célèbre est Ship of fouls qui a reçu le prix Philip -K. Dick en 2001, et qui fut traduit en français par Patrick Dusoulier et publié sous le titre La Nef des fous chez Le Bélial’ en 2006. Il fut un temps question d’une suite à ce roman, mais finalement non.

L’Argonos parcourt les espaces interstellaires depuis plus longtemps que les hommes ne s’en souviennent. L’Argonos est un vaisseau générationnel, immense, et personne ne sait plus où ni quand il a été lancé. Certains disent qu’il a toujours été. De fait, pour les générations d’hommes et de femmes à son bord, c’est un monde. (Trope #1) Personne ne sait non plus quelle a pu être sa mission. Il saute d’étoile en étoile, à la recherche d’une planète habitable, ou d’une colonie humaine. Il en a trouvé, mais ne s’est jamais arrêté bien longtemps, n’y trouvant pas la résolution de sa quête. Il y a des années de cela, il a croisé la Terre, mais n’y a vu que désolation. (Trope #2). Alors, il vogue.

A son bord, la vie est hiérarchisée et réglementée par les tâches qui incombent à chacun. Comme bien souvent dans toute société confinée, les métiers indispensables au bon fonctionnement du vaisseau sont assurés par les plus pauvres, les soutiers, ceux des profondeurs qui n’ont pas eu la chance de naître dans les niveaux supérieurs. (Trope #3). Les tensions entre classes sociales font que parfois les vents de la révolte soufflent dans les coursives du navire, sur les avenues du monde. Une révolution éphémère a ainsi mené à la perte de la mémoire du vaisseau, il y a près de 250 ans. Son histoire et ses cartes de navigation furent perdues. (Trope #4). Alors, il erre.

L’Argonos capte une émission électromagnétique, un signal en provenance d’une planète inconnue. (Trope #5). Son exploration révèle qu’une colonie humaine s’est un jour installée là. Tout ce qu’il en reste est un charnier, le témoignage d’un massacre dont l’horreur défie l’imagination. (Trope #6). L’Argonos repart, fuit loin de la planète maudite et en chemin tombe sur un vaisseau extra-terrestre, pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité, plus immense encore que l’Argonos. Un Big Dumb Object qui semble totalement abandonné. (Trope #7). À son bord, (Trope #8), (Trope #9), (Trope #10)…

La Nef des fous est un space-opera à tendance horrifique qui aligne les tropes du genre comme on enfile les perles le long d’un chapelet d’évêque. Non-Stop de Brian Aldiss, Rendez-vous avec Rama d’Arthur C. Clarke, Alien de Ridley Scott,… à la cuillère pas au shaker. Son originalité est ailleurs.

Le pouvoir politique, et donc décisionnaire, sur l’Argonos est dans les faits partagé entre le capitaine de vaisseau Nikos et l’évêque Soldano. L’ennui, le manque de perspective, les inégalités et l’absence de but menacent l’autorité du capitaine. L’ambition ronge l’évêque. Chaque événement est l’occasion de passes d’armes entre les deux hommes. Le narrateur du récit est Bartolomeo, ami d’enfance de Nikos. Il est né affecté d’une malformation handicapante qui l’oblige à vivre en permanence avec un exosquelette soutenant sa colonne vertébrale, et avec deux bras artificiels. Sa relation privilégiée avec le capitaine et plus encore son intelligence remarquable ont fait de lui le conseiller de ce dernier. À la demande de Nikos, il va être de toutes les aventures, de l’exploration de la planète à celle du vaisseau extra-terrestre. Il aura la compagnie de Père Véronica, une femme prêtre profondément religieuse qui possède une foi bien plus ancrée et personnelle que celle de l’évêque. Une sincère amitié, teintée de sentiments amoureux du côté de Bartolomeo, va se développer entre les deux protagonistes de l’histoire. C’est dans la relation entre ces deux personnages que se joue le roman. Elle sera le prétexte pour Richard Paul Russo d’aborder, face à des événements bouleversants et dont les implications philosophiques sont fortes, la question du sentiment religieux et du libre arbitre. Je vous rassure, il ne s’agit pas d’un manuel de conversion. Bartolomeo est autant athée que Véronica est croyante. Cela donne au livre tout au plus un ton agnostique. D’autant que la juxtaposition des images, horrifiques d’un côté, avec l’exposition des corps humains suspendus à des crochets à viande, et extatiques, avec celle du Christ en croix, induit un frottement qui souligne autant la dichotomie des perceptions relatives que leurs liens.

Une fois le livre terminé, reste tout de même un sentiment d’inachevé. En multipliant les tropes du genre, Richard Paul Russo charge la nef jusqu’à sa ligne de flottaison, voire un poil au-delà. Le récit est dynamique et propose à la plus grande joie du lecteur tensions, moments oppressants, retournements de situation, twists et entourloupes, fausses pistes (parfois un tantinet convenues) mais aussi ouvre des portes qu’il ne referme pas, et des artifices qu’il pose mais n’utilise pas pleinement. De nombreuses questions ne trouveront pas réponse, donnant l’impression que l’auteur s’en est désintéressé en cours de voyage. C’est vrai qu’une suite aurait été la bienvenue.

La Nef des fous ne révolutionne pas le space-opera horrifique, frustre par un côté incomplet, mais y ajoute une contribution qui trouve son originalité dans un questionnement sur la nature du sentiment religieux ou de son abandon lorsque l’humanité se trouve isolée au fin fond de l’univers face à plus effrayant qu’elle-même.


D’autres avis : Lorkhan, Apophis


Titre : La Nef des fous
Auteur : Richard Paul Russo
Publication : 17 mars 2006 chez Le Bélial’
Traduction : Patrick Dusoulier
Nombre de pages : 420
Format : Relié, poche, ebook


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