Hopeland – Ian McDonald

Publié le 16 février 2023 chez Gollancz, Hopeland est le dernier roman en date de l’écrivain belfastois Ian McDonald, auteur notamment de la série Luna parue en France dans la collection Lunes d’encre chez Denoël et de la novella Le temps fut dans la collection Une heure-Lumière chez Le Bélial’. Hopeland se présente comme une volumineuse fresque familiale de plus de 650 pages en VO, ce qui, en français, l’amènerait à près de 800 pages. Un beau pavé en perspective, si jamais il est traduit. L’auteur a habitué ses lecteurs à ce genre de saga impliquant de très nombreux personnages. La genèse du roman remonte à 2004, avec la lecture d’un article sur une « constellation familiale ». Parti de l’idée initiale, Il lui aura fallu près de vingt ans pour arriver à compléter son ouvrage. Cette longue maturation marque la structure du roman qui mêle plusieurs récits se déroulant sur deux décennies, et laisse au lecteur une impression de patchwork distendu, dont les éléments s’emboitent avec plus ou moins de bonheur, traversant de multiples thématiques, s’égarant souvent en cours de route comme une boussole devenue folle, si bien qu’on en arrive à se demander si le livre qu’on referme est bien celui qu’on avait ouvert quelques jours plus tôt. Mais je vais tenter de vous expliquer pourquoi j’ai tout de même trouvé cela très bien.

Le récit démarre en 2011 à Londres et se termine en 2033 au Groenland après avoir fait un détour par les îles Tonga, mais enfonce ses racines au dix-neuvième siècle et étend ses branchages jusqu’au trentième siècle. Il y a plusieurs lignes narratives, de nombreux personnages. Il y a des éléments de fantastique victorien, d’ésotérisme géorgien, de réalisme contemporain et d’anticipation science-fictive et technologique. Le livre s’ouvre sur la rencontre d’Amon et de Raisa, tous deux alors âgés d’une vingtaine d’années. Ils deviennent amants mais se séparent car la famille d’Amon… Amon Brightbourne est issu d’une vieille famille de musiciens, qui s’inscrit dans le temps. La famille Brightbourne est frappée d’une malédiction qui hante ses générations. Amon possède la Grâce. Autrement dit, la chance l’accompagne où qu’il aille, mais il porte la poisse aux gens qui l’entoure. Raisa… c’est encore plus compliqué. Son nom complet est Raisa Peri Antares Hopeland. Et la famille Hopeland est vaste, c’est une constellation et elle s’inscrit dans l’espace. Entre eux, c’est l’espace et le temps qui se rencontre.

« It’s two hundred thousand-and-counting humans of all races and genders and neurologies and histories and ages across gods know how many hearths, because it’s always growing. You can voyage across it for a lifetime and never reach the end. Open door leads to open door. It’s a nation within all nations, a religion with no belief, a family with no marriage, no mother- or fatherhood, no siblings. Only, and always, kynnd. »

Il s’agit là d’une des thématiques principales du roman, qui n’est pas sans rappeler le système des ruches imaginé par Ada Palmer dans la série Terra Ignota. Les Hopeland forment une famille élective, sans nation ni frontière, dispersée à travers le monde, dans laquelle on entre par choix et non par naissance, et qui a tendance à agréger tous ceux qu’elle approche et à transformer tout ce qu’elle touche. Elle est dotée d’une mystique et de croyances. Elle dit avoir sa propre religion mais n’en a aucune. Elle s’inspire très librement du modèle familial de l’aiga chez les Tongas, mais en est très éloignée. Elle croit à la magie du monde mais utilise la science et la technologie pour le changer. Raisa est électromancienne, manipule les bobines de Tesla et parle à la foudre. Face au changement climatique, Raisa va se lancer dans le développement des énergies renouvelables et transformer le monde. L’auteur aborde là la question de l’avenir proche et des transformations qu’il va falloir apporter à nos modes de vie et de production pour faire face à toutes les conséquences qui déjà se font sentir à travers le monde. Ce qui n’est pas sans rappeler The Ministry for the Future de Kim Stanley Robinson. C’est l’autre grande thématique de ce roman, qui change plusieurs fois de direction. Car une fois les deux amants séparés – ils ne se retrouveront qu’une vingtaine d’années plus tard – le monde change et les premières catastrophes climatiques frappent les populations les plus fragiles. Amon ira aux iles Tonga. Raisa en Islande puis au Groenland. Ils se réuniront à la faveur de la première grande migration de population imposée par le changement climatique, récit qui forme l’essentiel de la seconde moitié du roman et où tout ce qui se déroule tourne plus ou moins autour de la famille Hopeland.

Vous l’aurez compris, Hopeland part dans tous les sens et échappe à la notion courante de cohérence. Le roman est un mélange improbable entre Le Prestige de Christopher Priest, Terra Ignota d’Ada Palmer et The Ministry for the Future de Kim Stanley Robinson, à la sauce McDonald. Cela pourrait être indigeste, et cela le sera peut-être pour certains lecteurs, mais Ian McDonald crée des personnages hauts en couleur, aborde avec intelligence de nombreuses thématiques qui incluent aussi bien la musique, le changement climatique, la famille, la nation, les questions de genre (particulièrement bien traitées), la géothermie, les cataclysmes, les politiques migratoires, que l’histoire et la géographie, et la navigation en eaux polaires. Ce faisant, il écrit un mythe contemporain inscrit dans la réalité brutale du monde présent et à venir. L’épilogue, au 30e siècle, est ravissant.

C’est un roman qui a de nombreux défauts, connait des longueurs, explore trop de directions différentes et manque de cohérence, et qui ne fonctionne que si le lecteur a envie qu’il fonctionne. J’avais envie qu’il fonctionne. J’ai beaucoup aimé.


  • Titre : Hopeland
  • Auteur : Ian McDonald
  • Publication : 16 février 2023 chez Gollancz
  • Nombre de pages : 658
  • Support : papier et numérique

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