Le cycle Luna – Ian McDonald

[Une première version de cette chronique a été publiée dans la bibliothèque lunaire idéale de Bifrost 95 en juillet 2019]

Dans la longue histoire des textes de science-fiction lunaire, le plus récent est certainement le cycle « Luna » de l’auteur britanique Ian McDonald. Il se compose à ce jour de trois romans, traduits en français par Gilles Goullet et publiés dans la collection Lunes d’Encre chez Denoël sous les titres Luna : Nouvelle Lune (2017), Luna : Lune du loup (2018) et Luna :  Lune montante (2019). Une novella se déroulant dans le même univers, Menace from Farside,  a été publiée en VO en 2019. Elle n’a pas encore été traduite, mais on peut tout à fait se passer de la lire. Enfin, deux nouvelles, qu’on qualifiera d’anecdotiques, viennent s’ajouter au cycle. « The fifth dragon » a été publiée dans le recueil Reach for infinity (2014). Elle est inclue sous une forme modifiée dans le premier tome du cycle. « The Fall », a été publiée dans le recueil Meeting Infinity (2015). Sa trame a été en partie reprise dans le second tome. Enfin, il me faut préciser qu’une option a été contractée pour un développement du cycle en série TV avant même que le premier tome ne soit publié. Ceci n’est pas anodin et marque fortement l’écriture des livres qui le composent à partir du deuxième tome, pour le meilleur ou pour le pire.

Dans Révolte sur la Lune, Robert A. Heinlein imaginait l’établissement sur la Lune d’une colonie pénitentiaire qui se révoltait pour établir une société libertarienne. Ce texte est très clairement l’une des principales inspirations de Ian McDonald pour la création de son cycle, à ce point qu’on pourrait facilement imaginer « Luna » comme la suite du roman d’Heinlein. L’auteur belfastois en reprend les principes libertariens pour poser les bases politico-économiques de la société sélène. Mais contrairement à son prédécesseur qui y voyait un idéal de liberté pour les Lunatiques, Ian McDonald peint les enfers. La Lune est privatisée et, sur le plan légal, la Terre contrôle son satellite à travers la Lunar Development Corporation (LDC). Dès que vous posez les pieds sur la Lune, vous êtes clients de la LDC, et non citoyen. En dehors de la LDC, il n’y a ni police ni gouvernement. Le contrat fait office de loi, tout se négocie, s’achète, se vend. Chacun se voit attribué des crédits pour les quatre fondamentaux que sont l’air, l’eau, le carbone et la bande passante. Votre pisse et vos os valent autant que votre vie, parfois plus, et la Lune connait mille manières de vous tuer.

Un tel cadre est propice au développement d’une ploutocratie mafieuse et familiale. Cinq « Dragons » se partagent le pouvoir économique. Les Corta, d’origine brésilienne, ont le monopole de l’extraction de l’hélium 3 incorporé au régolithe sur la surface lunaire. Les Mackenzie, d’origine australienne, ont en main l’exploitation des métaux rares. Les Chinois Sun se sont spécialisés dans les hautes technologies, informatiques et robotiques, les Ghanéens Asamoah dans les biotechnologies et les Russes Vorontsov possèdent le monopole des transports. Le tout forme un attendrissant panel de dangereux psychopathes. D’alliances maritales en assassinats politiques, ces dynasties vont se lier, se trahir et s’affronter pour la domination de la Lune. Ian MacDonald évoque volontiers Dallas et Game of Thrones, mais une autre inspiration évidente, jusque dans certains personnages du cycle, est Dune de Frank Herbert. Il est difficile de ne pas penser à l’opposition entre les maisons Atréides et Harkonnen en lisant celle entre les Corta et les Mackenzie, et leurs affrontements au couteau. Le lecteur un peu érudit trouvera ici et là nombre de références et clins d’œil à diverses œuvres de science-fiction.

Au-delà des inspirations, Ian McDonald peint une vaste fresque peuplée de personnages solides et animée d’une férocité peu commune. La société sélène est décrite dans ses moindres détails, des modes vestimentaires aux technologies employées pour survivre à un environnement qui veut votre eau. Nouvelle Lune excelle à plonger le lecteur dans un univers – impitoyaaaaable – qui lui est radicalement étranger, à lui faire comprendre et accepter les lois dictées par la Lune, son absence d’atmosphère et sa faible gravité qui modifie les corps et les condamne à l’exil éternel. Le premier tome est marqué par un rythme envolé et une brutalité viscérale. Ce rythme s’affaisse toutefois par la suite dans les second et troisième tomes. L’auteur délaye, multiplie les scènes et les descriptions d’une façon qu’on sent motivée par l’adaptation à venir sur le petit écran mais qui, après le premier tome, n’apporte plus grand-chose au lecteur : on se lasse de la composition des cocktails, de la hauteur des chapeaux ou des partitions de bossa nova. De la même manière, s’il élimine beaucoup de personnages – le death rate est élevé – il en introduit d’autres dans une surenchère de badasseries de moins en moins crédibles. Mais la partie finale de ce planet opera, exceptionnelle de machiavélisme, renoue avec le dynamisme du début. La société lunaire en ressort transformée à jamais.

En refermant la dernière page de ce cycle, on n’échappe pas au sentiment d’avoir lu là une grande œuvre de science-fiction, malgré ses longueurs et ses défauts. Ian McDonald signe avec « Luna » une fresque grandiose qui tire au mieux profit des particularismes de la Lune et propose un worldbuilding impeccable. Un must de la science-fiction lunaire.


  • Luna, tome 1 : Nouvelle Lune [Luna: New Moon], roman traduit de l’anglais pas Gilles Goullet ; dernière édition : Denoël, coll. « Lunes d’encre » (2017)
  • Luna, tome 2 : Lune du loup [Luna : Wolf Moon], roman traduit de l’anglais par Gilles Goullet ; dernière édition : Denoël, coll. « Lunes d’encre » (2018)
  • Luna, tome 3 : Lune montante [Luna : Rising Moon], roman traduit de l’anglais par Gilles Goullet ; dernière édition : Denoël, coll. « Lunes d’encre » (2019)

6 réflexions sur “Le cycle Luna – Ian McDonald

  1. Après avoir découvert Ian McDonald avec Desolation Road et États de rêves, avoir presque autant adoré La Maison des Derviches, j’ai trouvé Luna très très faiblard…. J’ai pas fini d’ailleurs…

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      1. Quelque part au milieu du second tome… mais c’est vraiment parce Desolation road a mis la barre très haut, quand je dis faiblard c’est vraiment en comparaison. Le temps fut m’a rassurée depuis.
        Et puis personne ne peut-être génial tout le temps !

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        1. Tout à fait. Et je dois dire que le second tome est en effet faiblard. C’est le pire de la trilogie. Il n’y a vraiment qu’à la fin du troisième que ça reprend du poil de la bête.

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