La vie alien – Roland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer et Laurent Genefort

Dans science-fiction, il y a science. Parmi les milles et une définitions du terme science-fiction existantes, il est commun de dire qu’il s’agit d’un genre littéraire qui explore les conséquences sociales d’innovations technologiques et scientifiques. Pourtant, il y a cette idée très répandue chez les auteurs d’imaginaire que la véracité scientifique limite l’imagination. (Les racines du mal sont plus profondes, mais la question nous entrainerait loin hors du cadre de cet article.) C’est doublement faux. Tout d’abord, l’univers a fait preuve en 13,7 milliards d’années de bien plus d’imagination que tous les auteurs réunis, inventant aussi bien le trou noir, l’intrication quantique que l’ornithorynque, trois choses parmi d’autres qu’aucun humain n’aurait su imaginer.  D’autre part, comme le dit astucieusement Hal Clement (p. 204), « la racine carré de l’infini n’est pas tellement plus petite que l’infini ». Au sein de la science-fiction, nous introduisons souvent une distinction entre soft-SF et hard-SF. La première serait un genre qui s’intéresse plus à l’aspect social du récit qu’aux questions techniques et scientifiques. La seconde désigne une catégorie de romans dans lesquels les avancées scientifiques et techniques sont considérées comme compatibles avec l’état des connaissances. Par glissement, se construit l’idée que seule la hard-SF devrait se contraindre à respecter la science et que la soft-SF peut donc tout se permettre. Cette distinction me semble assez artificielle et mal venue. Non seulement la pluralité des œuvres fait qu’il existe un continuum entre les deux définitions, et non une frontière bien établie, mais de plus, il existe très peu d’œuvres qu’on pourrait véritablement qualifier de hard-SF à strictement parler. Par exemple, on voit souvent la trilogie du Problème à trois corps de Liu Cixin être qualifiée d’œuvre de hard-SF alors que l’auteur n’a aucun respect des lois physiques. À l’inverse, le roman Dune de Frank Herbert est souvent pris comme exemple de soft-SF alors qu’il regorge en fait de science et plutôt de la bonne.

Si personne ne saurait dire a priori à un auteur ce qu’il est en droit d’écrire ou pas, après tout la science-fiction est ce qu’elle a envie d’être, le lecteur lui est en droit de soupirer face à un roman qui dit n’importe quoi car, s’il n’y a pas de limite à l’imagination, il y en a une à la suspension consentie d’incrédulité.

L’un des thèmes majeurs de la science-fiction est l’altérité, et l’un de ses tropes est la vie extraterrestre. C’est à celui-ci que s’attaque le dernier essai paru dans la collection Parallaxe aux éditions le Bélial’. Cette collection, dirigée par Roland Lehoucq, astrophysicien et brillant vulgarisateur des sciences, s’intéresse à faire dialoguer science et science-fiction (et ainsi à rendre meilleure l’humanité mais là encore cela nous entrainerait hors du cadre de cet article). L’essai La Vie alien regroupe les textes de trois auteurs, Roland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer et Laurent Genefort, auxquels on se doit d’ajouter Wiley Ley et Hal Clement dont deux textes inédits et traduits pour l’occasion par Laurent Genefort viennent compléter l’ouvrage. Le sous-titre de l’ouvrage est particulièrement clair sur son contenu : Manuel pour construire un monde extraterrestre.

Avant de pouvoir disserter longuement de l’ennui ressenti par Emma B, habitante d’un lointain trou paumé de la galaxie, que nous appellerons par exemple Yonterre, faut-il encore que Yonterre existe. C’est à dire qu’il y ait possibilité d’existence d’une planète habitable par Emma B, orbitant une étoile.

Dans les deux premiers chapitres de l’essai, Roland Lehoucq distingue ce qu’il appelle la cosmosphère et la géosphère. En ce qui concerne la cosmosphère, l’astrophysicien décrit minutieusement les conditions physiques et chimiques de la formation des étoiles et des planètes. Il serait aisé de prendre pour acquis que toutes les étoiles ressemblent finalement plus ou moins à notre bon vieux Soleil et que les planètes qui les orbitent ressemblent aux planètes du système solaire avec des planètes telluriques et des géantes gazeuses. C’est évidemment un peu plus compliqué que ça et la grande diversité des astres observés nous montre que des conditions très particulières sont nécessaires pour rendre habitable Yonterre. Dans le deuxième chapitre consacré à la géosphère Roland Lehoucq décrit les conditions tout aussi particulières qui peuvent permettre l’émergence de la vie sur une planète. Le bon professeur joue pleinement le jeu et accompagne ses explications de riches comparaisons avec ce qui s’est fait, en bien ou en mal, dans le domaine de la science-fiction, citant par exemple des œuvres comme Dune de Frank Herbert, Helliconia de Brian Aldiss, ou encore Le problème à trois corps de Cixin Liu. Mais il va plus loin, et montre qu’il existe dans l’univers des systèmes bien plus exotiques que la science-fiction ne l’a imaginé, et il livre des pistes à explorer. C’est brillant, limpide, et passionnant.

Le paléontologue Jean-Sébatien Steyer prend ensuite le relai pour  nous parler de la biosphère. Une fois la possibilité de l’existence d’une planète habitable établie, comment peut s’y développer la vie ? Ou suivant les termes choisis pour notre chronique, quelle forme va prendre Emma B sur Yonterre et sera-t-elle à même d’éprouver le sentiment d’ennui ? Là encore, l’auteur de l’article décrit et explique ce qui est possible ou non du point de vue de la biologie mais surtout insiste sur la grande diversité des possibles et des formes prises par le vivant, bien au-delà de ce qu’a pu produire l’imagination humaine. Comme Roland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer est un excellent vulgarisateur. C’est brillant, limpide, et passionnant. 

Avant de prendre la parole. Laurent Genefort nous propose la traduction de deux articles inédits en français, l’un écrit par le physicien Willy Ley (qui tenait la rubrique scientifique dans le magazine Galaxy) datant de 1959 et l’autre de l’auteur de science-fiction Hal Clement, datant de 1974. Ces deux articles reprennent le flambeau là où J.S. Steyer s’arrête, c’est-à-dire à la conception d’extraterrestres par les auteurs de science-fiction, ou en d’autres termes au passage de la théorie à la pratique. Il conclut l’essai par un remarquable article qui prend le point de vue de l’écrivain de science-fiction et qui s’adresse à d’autres auteurs afin de proposer des conseils à qui voudrait se lancer dans la création de monde, rappelant au passage qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat en physique ou en biologie, mais que tout cela ne relève finalement que du bon sens. Pour en revenir à notre chère Emma B sur Yonterre, pour que le lecteur s’intéresse à son ennui, il lui faudra bien être en mesure d’accepter préalablement l’existence d’Emma B, et pour cela, un tout petit peu de réalisme ne fera pas de mal.

Dernier volume de la collection Parallaxe, qui en compte à ce jour huit, La Vie alien est un essai passionnant présenté comme un manuel à l’usage des créateurs d’univers imaginaires. Proposant un voyage dans l’espace et le temps depuis les vastes étendues cosmiques jusqu’à la vie microbienne au fond des océans, il dresse une cartographie des possibles et de ce qu’il reste encore à explorer. Les possibilités sont infinies, même en restant dans le camp des sciences. C’est un livre que tout auteur de science-fiction devrait avoir lu, mais aussi toute personne qui s’interroge sur la vie dans l’univers. C’est brillant, limpide, et passionnant.


  • Titre : La Vie alien
  • Auteurs : Roland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer, Laurent Genefort
  • Collection : Parallaxe
  • Illustrations : Cédric Bucaille
  • Publication : le 20 octobre 2022, éditions Le Bélial’
  • Nombre de pages : 255
  • Support : papier et numérique

Tous les titres de la collection Parallaxe :

  1. La science fait son cinéma de Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer ; Coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2018).
  2. Comment parler à un alien ? de Frédéric Landragin ; Coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2018).
  3. Station Metropolis direction Coruscant d’Alain Musset ; Coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2019).
  4. Comment parle un robot ? de Frédéric Landragin ; Coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2020).
  5. Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète univers, collectif ; Coll. Parallaxe, Le Bélial’(2020).
  6. Cyberpunk’s Not dead de Yannick Rumpala ; coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2021).
  7. Neuro-science-fiction de Laurent Vercueil : coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2022).
  8. La Vie alien deRoland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer et Laurent Genefort : Coll. Parallaxe, Le Bélial’ (2022).

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