Dictionnaire utopique de la science-fiction – Ugo Bellagamba

Qui voudrait lire un dictionnaire, franchement ? C’est un projet un peu particulier d’Ugo Bellagamba qui est entré dans la collection Parallaxe en ce mois d’octobre. Cette collection, dirigée par Roland Lehoucq, astrophysicien et brillant vulgarisateur des sciences, s’intéresse à faire dialoguer science et science-fiction. Soit une manière ludique de faire de la vulgarisation scientifique (de haut niveau), tout en rendant hommage à nos littératures préférées. Elle se compose à ce jour de neuf volumes : La Science fait son cinéma de Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer, Comment parler à un alien ? de Frédéric Landragin, Station Metropolis direction Coruscant d’Alain Musset, Comment parle un robot à nouveau de Frédéric Landragin, l’œuvre collective Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète univers, Cyberpunk’s not dead de Yannick Rumpala, Neuro-science-fiction de Laurent Vercueil, La vie alien de Roland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer et Laurent Genefort et enfin donc, ce Dictionnaire utopique de la science-fiction d’Ugo Bellagamba. C’est une collection que j’aime beaucoup car en plus d’élever la somme des connaissances, elle analyse et donne du sens à un corpus littéraire qui a un lien fort et originel avec la science, quand bien même il s’est parfois éloigné et dissolu derrière le terme d’Imaginaire pour atteindre les sommets du Grand n’Importe Quoi. Car voilà, la science-fiction est affectée d’une tare : elle manque d’une définition alors chacun y va de sa préférence, ou de son calcul politique, et nul auteur ou commentateur n’en a à ce jour produit une qui fasse consensus. Dans son essai récemment publié, Serge Lehman choisit de l’appeler L’Art du Vertige. La science-fiction produirait ainsi du vertige. Convaincu, j’ai pour ma part choisi de suivre l’auteur et d’adopter le terme. Je parlerai donc désormais de littérature du vertige. Mais dans les faits, que dit la science-fiction ? De quoi parle-t-elle ? Et comment en parle-t-elle ?

C’est sous le prisme de l’utopie – et de son jumeau maléfique la dystopie – qu’Ugo Bellagamba a choisi d’envisager une histoire critique du genre et il nous propose le fruit de ses réflexions sous la forme d’un dictionnaire thématique doté de trente-deux entrées : Âge d’or, Anthologies, Architectures, Artefacts, Bibliothèques, Codes, Contacts, Conventions, Cyberpunks, Dystopies, Femmes, Fins du monde, Formations, Gouvernements, Histoires du futur, Institutions, Intelligences, Jeux, Justices, Machines, Mars, Mégalopoles, Natures, origines, Planètes-prisons, Pouvoirs, Religions, Ruines du futur, Solarpunks, Uchronies, Vaisseaux-mondes, Violences. Vous noterez que chacune d’elle est exprimée avec un pluriel qui ouvre l’horizon des possibles.

« À force de volonté, de passion pour la liberté, tous parviennent à s’inventer d’autres destinées, futures ou parallèles ? N’est-ce pas là, en définitive, la plus belle définition de l’Imaginaire et de la science-fiction ? Elle est, depuis sa naissance, cette porte merveilleuse, sans verrou, qui, même depuis le plus sombre et le plus froid des cachots, s’ouvre sur la lumière des étoiles. »

En ouvrant l’ouvrage, je ne savais à quoi m’attendre. À peine entamé, je l’ai trouvé passionnant. Refermé, j’en veux encore. Je veux qu’Ugo Bellagamba produise une encyclopédie en 32 volumes de la science-fiction en 1024 entrées sur ce ton et cette forme. Je ne vais pas détailler chacune des entrées, cela n’aurait aucun sens. Il en existe d‘autres des dictionnaires de la science-fiction, écrits à différentes époques. Ce qui distingue celui-ci et fait son originalité est tout d’abord son approche thématique, qui explore le geste science-fictif, qui souligne la voix particulière du genre et son regard sur le monde. C’est aussi la prise de position de son auteur, qui ne cherche pas à disparaitre derrière l’exercice didactique du dictionnaire, mais affirme sa pensée propre. On notera à ce sujet qu’Ugo Bellagamba se révèle lehmanien et qu’il relève la dimension métaphysique d’un genre qui se focalise sur « les question premières et ultimes ». C’est aussi le choix fort appréciable de mettre en avant les contributions françaises – ce que les ouvrages anglosaxons ne font pas ou rarement – à travers les œuvres des auteurs mais aussi en soulignant le rôle des commentateurs et anthologistes contemporains (de Serge Lehman à Natacha Vas-Deyres en passant par Gérard Klein et les Quarante-Deux). Rien que pour ça, cet essai vaut d’être lu car il parle de ceux qui font la science-fiction ici et maintenant, par dessus l’ailleurs et l’hier.

Toutefois, on pourrait regretter que cette approche historique se focalise un peu trop sur les anciens textes – comme c’est souvent le cas dans ce genre d’ouvrages – et même si Ugo Bellagamba étend son panorama jusqu’à des œuvres récentes, comme le Terra Ignota d’Ada Palmer par exemple, qui est cité plusieurs fois, celles-ci restent minoritaires. Cela dit, cette critique ignore le fait que le temps qui filtre et distingue les textes importants n’a pas encore pu jouer son rôle pour les écrits modernes. Comme le disait un ami éditeur récemment, 90% des textes publiés aujourd’hui seront oubliés dans un mois. Nous donnerons donc raison à Ugo Bellagamba de se montrer prudent. (Prudence qui ne s’applique pas à Ada Palmer tant il est évident que son roman était déjà un classique du genre le jour de sa publication.) L’autre critique à faire est que c’est trop court. 32 entrées en 250 pages, non. Je veux mes 32 volumes !

Ouvrage unique par son approche, le Dictionnaire utopique de la science-fiction d’Ugo Bellagamba est un essai d’exploration du genre passionnant de la première à la dernière ligne. Mais méfiez-vous tout de même à la lecture : il peut provoquer des frénésies d’achats en librairie.

La collection Parallaxe au complet.

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  • Titre : Dictionnaire utopique de la science-fiction
  • Auteur : Ugo Bellagamba
  • Publication : 12 octobre 2023, Le Bélial’, coll. Parallaxe
  • Couverture et lettrine : Cédric Bucaille
  • Nombre de page : 256
  • Support : papier (19,90€) et numérique (9,99€)

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