Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers – Collectif

Dune est une fresque romanesque autant que thématique, et se distingue au sein de la production science-fictive depuis 50 ans par la pluralité des sujets qu’il aborde. Ce qui en fait un roman complexe, mais aussi fécond en termes d’analyses possibles. A l’occasion de sa sortie le 7 octobre dernier chez Dunod, je vous parlais de l’essai Dune, un chef-d’œuvre de la science-fiction de Nicolas Allard, qui abordait le roman de Frank Herbert sous l’angle littéraire. Ce 22 octobre, c’est au tour des éditions Le Bélial’ de proposer une étude sur Dune pour laquelle elles ont invité 10 chercheurs, spécialistes d’astrophysique, de linguistique, de biologie ou encore d’histoire des religions. Tous sont évidemment lecteurs passionnés de Dune, et ils se sont prêtés au jeu d’une relecture du chef-d’œuvre de Frank Herbert à travers le prisme de leurs connaissances.

Avant de vous dire tout le bien que je pense de ce nouvel essai, je me dois de préciser que j’ai participé à son élaboration, de loin, en tant que relecteur avec Anudar et Stéphanie Chaptal, à l’invitation de l’éditeur, afin de vérifier que toutes les informations livrées dans cet essai étaient en bonne adéquation avec le contenu du roman. Le résultat est Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers, dirigé par Roland Lehoucq, et publié dans la collection Parallaxe dont je vous ai maintes fois déjà vanté l’excellence lorsqu’il s’agit de vulgariser les sciences en regard de la science-fiction.

L’approche est éclectique et rend hommage au foisonnement originel du roman, allant retourner les pierres dans les ergs, les creux et les sillons d’Arrakis.

Comme il se doit, c’est le directeur de la collection, Roland Lehoucq qui ouvre le bal. Il signe trois des quatorze articles qui constituent l’ouvrage. J’avais rapidement évoqué la question dans mon article Dune : science-fiction ou fantasy ?, Frank Herbert s’est montré relativement précis sur les mondes habités décrits dans Dune et la géographie de l’Impérium nous est connu.  Avec le talent de vulgarisateur qu’on lui connait, l’astrophysicien reprend les choses en détails dans Les Mondes de L’impérium (18 pages). Il évalue, analyse, chiffre et critique pour au final éclairer les conditions d’existence de ces mondes. Dans un deuxième article, Des plis dans l’espace-temps (13 pages), il se fait plus spéculatif et discute des possibilités du voyage spatial sur les distances impliquées par la taille de l’Impérium. Ou : comment replier l’espace pour en finir avec les limitations de la relativité générale ! Enfin, dans Le distille, ultime recycleur (13 pages), le physicien analyse la structure et le fonctionnement de l’invention technique la plus marquante de Frank Herbert. Daniel Suchet (physicien) aborde quant à lui la question de l’énergie dans Dune dans Une histoire de trilemme énergétique (29 pages). Combien ça coute de produire de l’épice, au fait ?

Parmi les « usual suspects », on retrouve Jean-Sébastien Steyer (paléontologue) et Frédéric Landragin (linguiste). Ils nous proposent respectivement Arrakis et les vers géants, un écosystème global (25 pages), de la vie dans le désert et sous le désert, et Exotisme et force linguistique (25 pages), qui fournit un regard d’expert sur le lexique de Dune et les influences de Frank Herbert pour la création des mots-fiction de son univers. Si vous avez lu les volumes de la collection Parallaxe, vous savez que le niveau est élevé et quel plaisir il peut y avoir, sur la forme comme sur le fond, à apprendre en compagnie de ces auteurs.

Un autre, nouvel arrivant dans le gang, se distingue particulièrement dans cet essai à mon sens. Il s’agit de Fabrice Chemla, professeur de chimie à Sorbonne Université. Lui aussi signe trois articles. De par son occupation professionnelle, on ne s’étonnera pas outre mesure de lire L’épice, un mélange bientôt disponible ? (17 pages), dans lequel il procède à une analyse de la production et des effets de l’épice gériatrique au centre du roman. Il les compare aux drogues connues, et montre une certaine connaissance des pratiques existantes dans le chamanisme amazonien et dans certaines religions africaines. Car, voilà, l’auteur ne s’y connait pas qu’en chimie mais aussi en croyances et religions, comme il le démontre dans les deux articles Dieu, l’Empereur, et le reste (31 pages) et La mémoire seconde : figures de la possession (13 pages). Depuis quelques années, j’ai lu un certain nombre d’essais sur Dune, en anglais ou en français. On y retrouve souvent abordées les mêmes questions, sur les planètes, les vers et l’épice, ou les technologies dans Dune. Si le traitement est différent, la thématique est la même. En comparaison, les deux derniers articles de Fabrice Chemla soulèvent des questions que je n’avais pas encore lues ailleurs. Une lecture qui fut donc des plus intéressantes.

Je le disais plus haut, Dune est un roman particulier dans le corpus science-fictif du XXe siècle. Une des raisons à cela tient en deux mots : Jihad Butlérien. Succinctement, il s’agit d’une révolution religieuse qui a balayé l’Impérium et interdit les machines pensantes. En conséquence, bien que Dune se déroule quelque 23000 ans dans notre futur, le niveau technologique ne semble pas particulièrement avancé voire même, sous certains aspects, plutôt rétrograde. Dune ne propose pas une science-fiction faite de gadgets technologiques. C’est un roman tourné vers les sociétés humaines et leur évolution. Vincent Bontems,  philosophe des sciences, aborde ainsi la question de l’innovation en dehors de la technologie dans Penser l’innovation sur Arrakis (17 pages). Carrie Lynn Evans (doctorante en littérature) s’intéresse à la question du genre et associe le Bene Gesserit à la figure du cyborg que Donna Haraway appelait comme modèle de la fin d’une société patriarcale et masculiniste. Si je voulais être critique, je dirais qu’elle pousse à mon avis l’interprétation bien au-delà des intentions de Frank Herbert.

Ce dernier se définissait lui-même comme un « animal politique » et Dune est un ouvrage allégorique. Dans Géopolitique fractale de l’Impérium (27 pages), le philosophe Sam Azulys (philosophe) étudie les enjeux politiques au sein du roman, et ses références au monde réel. Enfin, Christopher L. Robinson propose un article que je qualifierai de synthèse, rappelant sous l’angle de la littérature et de la culture les grands thèmes duniens, avec Dune : un mélange historique, politique et romanesque (28 pages), concluant superbement l’ouvrage.

Vous l’aurez compris, cet essai est passionnant de fond en comble. On n’en attendait pas moins de la collection Parallaxe. Je finirai en notant encore une fois la qualité du travail de conception. Le livre est très esthétique avec ses rabats et les illustrations de Cédric Bucaille en couverture et entre chaque chapitre.


D’autres avis : Touchez mon blog, Lorhkan,


  • Titre : Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers
  • Collection : Parallaxe
  • Auteur : collection (sous la direction de Roland Lehoucq)
  • Publication : 22 octobre 2020
  • Nombre de pages : 352
  • Format : papier et numérique

16 réflexions sur “Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers – Collectif

  1. Le seul problème de ce livre, c’est qu’il va interrompre ma lecture des Hérétiques de Dune, tout comme celui de Nicolas Allard a interrompu celle de l’Empereur Dieu ! J’ai hâte de le recevoir.

    Aimé par 1 personne

  2. Bon ..alors là c’est malin tiens!! J’ai commandé (et reçu..) celui-çi et Le Mook…et maintenant va falloir que je me mette à lire ou plutôt remette à lire les sequels …m’était arrêté à la maison des mères dans le cycle principal et j’avais lu quelques suites du style la Maison des Atreides, la Maison Harkonnen…enfin voilà quoi..faut que je bosse !! Mais merci de la review !!

    Aimé par 1 personne

    1. Je n’aime pas consacrer du temps à dire des choses négatives et j’espère que mon commentaire ne sera pas mal vu par FeydRautha mais il me semble que je pourrais être poursuivi pour non assistance à personne en danger si je ne prenais pas le temps d’exprimer mon avis sur ces « romans » écrits par Brian Herbert et Kevin Anderson : ils sont juste une honte, une exploitation à des fins purement mercantiles de l’œuvre d’un auteur dont on a hérité. Je ne suis même pas sûr qu’écrire quelque chose de qualité ait été tenté. Pour moi, ce sont des produits dérivés comme plein d’autres, ils ne sont pas plus une suite à la maison des mères qu’un t-shirt représentant le Baron Harkonnen en train de chevaucher un ver des sables. Je suppose qu’en étant vraiment très positif, on peut estimer que l’existence de ces livres ne fait de mal à personne mais il faut savoir dans quoi on se lance en les lisant. Ceci n’engage que moi mais personnellement, je préfère de loin considérer que Dune est une fresque inachevée mais de qualité. J’étais pourtant très enthousiaste à leur sortie mais ça a rapidement été la douche froide…

      Aimé par 1 personne

  3. Un très bel ouvrage pour qui veut approfondir la compréhension du cycle de Dune. Merci pour cette recommandation !
    J’ai trouvé les premiers chapitres moyennement intéressants mais certains du milieu et de la fin valent vraiment le coup d’être lu.
    En premier celui de Carrie Evans sur les femmes qui tranche radicalement avec la volonté générale récente de faire de Dune une oeuvre féministe. Et ça j’adore ! On a ici les arguments contraires. Oui c’est un peu poussé à l’extrême mais connaissant la psychanalyse Jungienne et concernant le tome 1 du Cycle je soutiendrais plutot les arguments de Mme Evans. Bien que ça évolue au fil du cycle.
    Les autres chapitres sur Dieu, la géopolitique sont passionnants tandis que le chapitre sur la prescience est hard à comprendre.
    Bien que moins homogène que l’ouvrage de Allard, je le préfère à ce dernier pour la grande qualité et la profondeur des analyses

    Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.