Superluminal – Vonda N. McIntyre

Le mois dernier, les éditions Mnémos ont lancé Stellaire, une nouvelle collection consacrée aux récits d’aventures spatiales, avec la réédition du roman Superluminal de Vonda N. McIntyre sous la traduction originale de Daniel Lemoine révisée pour l’occasion par Olivier Bérenval. Vonda McIntyre (1948 – 2019) est une autrice américaine principalement connue du grand public pour ses romans et novellisations dans les univers de Star Wars et Star Trek. Mais c’est pour des textes indépendants qu’elle a obtenu une reconnaissance critique, notamment avec le roman Le Serpent de rêve (1978) qui a obtenu les prix Hugo et le prix Nebula.  Superluminal est un roman paru en 1983 et basé sur la nouvelle Aztecs publiée par l’autrice en 1977. Elle constitue les premiers chapitres du roman. Sa parution originale date de 1983, et il a été publié la première fois en France en 1986 dans la collection OPTA.

Sa lecture m’a plongé dans un océan de perplexité. Tout d’abord, j’ai douté jusqu’au premier quart du livre de trouver un intérêt à ce récit qui se présentait comme une simple romance dans l’espace. Puis à la moitié, je fus envahi d’un sentiment de déjà vu – ou déjà lu – renouvelé à chaque chapitre, le récit se déroulant pour moi sans la moindre surprise au point que je savais pas à pas où l’autrice voulait m’emmener. Ma lecture n’en a pas été gâchée pour autant, bien au contraire. J’ai beaucoup aimé ce roman. Mais de fait, j’étais incapable de déterminer si ce sentiment de familiarité avec le texte venait du fait de l’avoir déjà lu – peut-être, il y a longtemps – ou parce qu’il avait tant influencé d’autres auteurs que des idées, voire des scènes complètes, me semblent avoir été reprises à l’identique dans différentes œuvres de SF postérieures. Le premier exemple qui m’est venu à l’esprit est Neverness de David Zindell, publié 5 ans plus tard en 1988, qui m’apparait sur de nombreux points directement inspirés par le roman de Vonda N. McIntyre, quand bien même David Zindell a poussé les concepts plus loin en termes de hard-SF. Le second est Un Feu sur L’abîme de Vernor Vinge, publié en 1992 et qui reprend lui aussi certaines idées. La science-fiction s’est toujours construite verticalement, chacun empruntant à d’autres, et Superluminal s’inscrit dans le flux. Mais quel que soit l’angle sous lequel on l’aborde, c’est un roman étonnant. Tout d’abord, il est à rebours de ce qui se fait à l’époque. En 1983, on sort à peine de la période New Wave durant laquelle peu d’auteurs s’intéressaient véritablement à la science et encore moins au space opera. William Gibson n’a pas encore publié le Neuromancien et lancé le mouvement cyberpunk qui ne s’y intéressera pas beaucoup plus, et il faudra attendre le début des années 90 pour assister au renouveau de la hard-SF. En comparaison, Superluminal apparait de facture très classique, mais on réalise rapidement à la lecture qu’il est truffé d’idées qui seront incorporées dans les boites à outils des auteurs qui suivront. Il serait vain de tenter d’établir une liste des romans dont on pourrait le rapprocher tant ils sont nombreux. D’autre part, Vonda N. McIntyre donne à lire dans Superluminal une science-fiction positive, tant à travers ses personnages et leur rapport à l’altérité que dans le traitement des thématiques, et dont des auteurs actuels du « hopepunk », avec Becky Chambers en tête, me semble être les héritiers directs.

Elle n’avait pas hésité à renoncer à son cœur

Superluminal se déroule dans un futur indéterminé. (Une note de bas de page le situe en 2002, mais l’hypothèse me semble douteuse). Grâce au voyage supraluminique, l’humanité a conquis de nombreuses planètes et s’est répandue dans la galaxie. Ce n’est possible qu’en plongeant dans le Flux, ou dans l’hyperespace pour reprendre un terme plus courant en SF, c’est à dire les dimensions supérieures de la fabrique de l’univers. Si vous avez déjà lu de la SF, vous connaissez tout cela, c’est l’un des MacGuffin les plus utilisés en SF, y compris dans Star Wars, pour contourner l’impossibilité de se déplacer plus rapidement que la lumière. L’univers, c’est grand, etc. Mais cela ne se fait pas sans risque. L’humain ne peut survivre à une plongée dans le Flux à moins d’être placé en sommeil artificiel le temps du voyage. Les intelligences artificielles deviennent erratiques dans le Flux car le temps ne s’y comporte pas de manière linéaire, contrairement à l’espace commun, et il devient difficile, voire impossible, de le mesurer correctement. Les voyages automatisés sont donc dangereux. Pour naviguer à travers le Flux, il faut faire appel à des navigateurs de la Guide pilotes qui sont pour cela formés aux mathématiques avancées (tout comme les navigateurs de la Guilde, soit dit en passant) et qui, surtout, subissent une transformation assez radicale consistant à remplacer leur cœur biologique par un cœur artificiel qu’ils apprennent à contrôler afin d’accélérer ou ralentir leur débit sanguin au besoin. Ils sont les seuls à pouvoir survivre à une plongée dans le Flux. Devenus transhumains, leur condition les éloigne de leurs congénères avec lesquels ils abandonnent rapidement toute relation, vivant dans une sorte de club fermé. Leur sacrifice a pour récompense l’admiration que les humains de base leur portent, et la position sociale qui en découle, ainsi que l’expérience unique du Flux qu’ils sont les seuls à percevoir. C’est ce qui pousse Laena Trevelyan à accepter de renoncer à son cœur.

Superluminal raconte l’histoire croisée de trois personnages : Laena, Radu et Orca. À travers eux, Vonda N. McIntyre aborde ce qui constitue, à mon avis, le thème central du roman : les transformations auxquelles chacun consent pour changer le cours de son existence et les choix face à l’évolution individuelle (ou collective) sous une multitude d’aspects différents. Elle va ainsi convoquer des questions aussi diverses que celle des relations amoureuses et amicales qui vont se développer et se reformuler, jusqu’à celle des modifications génétiques volontaires d’une population complète qui désire quitter définitivement de l’humanité.  Le récit s’ouvre alors que Laena vient de subir l’intervention chirurgicale qui a remplacé son cœur, et qu’elle rencontre Radu avant d’effectuer son premier vol d’essai. Ils tombent amoureux. Rassurez-vous, si vous êtes allergiques aux romances, cela ne durera pas car la condition nouvelle de Laena (et celle de Radu) les rend incompatibles au point qu’ils ne peuvent rester l’un à côté de l’autre. Ils vont devoir redéfinir leur relation à l’aune de cet amour impossible. Radu est le survivant d’une épidémie virale qui a provoqué la disparition d’une partie de la population de sa planète d’origine et l’a transformé à un point que personne, pas même lui, ne soupçonne encore. Enfin, Orca appartient à une espèce humaine génétiquement modifiée pour se rapprocher des mammifères marins, et qui s’apprête à engager collectivement une transformation plus profonde encore. Sous des apparences trompeusement simples, Vonda N. McIntyre produit un roman riche tant les illustrations des thématiques qu’elle aborde sont nombreuses et abordées sous autant d’angles différents.

La science-fiction a ceci de totalement libre qu’elle peut se permettre de prendre au pied de la lettre une métaphore et la transformer en une réalité tangible. Au-delà de l’odyssée spatiale annoncée par son titre, qui évidemment fait référence à la possibilité du voyage plus rapide que la lumière, Superluminal est un roman sur le transhumanisme que résume son extraordinaire incipit (« Elle n’avait pas hésité à renoncer à son cœur »), c’est-à-dire à une évolution humaine plus rapide, car choisie, que l’évolution naturelle qui comme le rappelle l’un des personnages secondaires, n’a pas de direction. Vonda N. McIntyre est biologiste de formation, et Superluminal un roman que l’on peut qualifier de hard-SF, quand bien même l’autrice évite de s’appesantir sur des concepts scientifiques qui pourraient être ardus pour les lecteurs peu versés dans les arcanes de la science. Ainsi, contrairement à beaucoup d’autres auteurs un peu plus fainéants, elle ne fait pas l’économie d’un ancrage scientifique pour expliquer l’existence de l’hyperespace et revient à sa définition mathématique qui postule l’existence de plus de dimensions que les trois qu’on considère habituellement. Dans son roman, le Flux fait intervenir sept dimensions de l’espace, mais c’est avec un beaucoup d’humour qu’elle en approche la description :

 Lorsque le quatrième chemin apparut, perpendiculaire aux trois autres, il trouva cela presque drôle. Lorsqu’il était enfant, en étudiant les mathématiques, il avait conquis la géométrie dans l’espace de haute lutte. Les problèmes liés aux quatre dimensions l’avait contraint au match nul ; il était capable de manipuler les formules mais ne pouvait visualiser ce qu’elles représentaient. Les cinq dimensions l’avaient attaqué par surprise et tellement meurtri qu’il ne conservait pas le moindre espoir de vengeance.

Il en va de même sur les questions biologiques, mais si elle déploie tout un arsenal devenu classique en hard-SF – on y parle de génétique, de mathématiques, d’intelligences artificielles, de nanorobots, etc – le texte reste toujours très abordable, au risque même, peut-être, de frustrer ceux qui réclament des explications plus soutenues qui-là ne sont pas fournies. Mais comme je le disais en introduction, nous sommes là avant le grand renouveau de la hard-SF des années 90 qui propulsera le genre vers des sommets.

C’est une très bonne idée que les éditions Mnémos ont eu là de rééditer ce roman. C’est l’occasion de découvrir son autrice à travers un texte étonnant et ce fut un très bonne surprise en ce qui me concerne. Je l’ai lu d’un trait, en une matinée, sans jamais le reposer.


D’autres avis : le Chroniqueur,


  • Titre : Superluminal
  • Autrice : Vonda N. McIntyre
  • Edition : 17 juin 2022, Mnémos, coll. Stellaire
  • Traduction : Daniel Lemoine révisée par Olivier Bérenval
  • Nombre de pages : 372
  • Format : papier et bientôt en numérique

24 réflexions sur “Superluminal – Vonda N. McIntyre

  1. Tu veux dire Star Wars pour l’Hyperespace ? Parce que dans Star Trek, le moteur à Distorsion n’est rien d’autre qu’un propulseur d’Alcubierre, ce qui implique que le vaisseau reste dans l’espace-temps quadridimensionnel normal.

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      1. Et toutes mes excuses, j’ai dit des sottises : j’ai confondu avec le Becky Chambers (Apprendre, si par bonheur…) qui pointe ici. Toutes mes plus plates excuses.

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      1. Il n’était pas encore au Québec mais c’est fait. Je viens de le terminer quel plaisir de retrouver Vonda McIntyre. Je ne suis pas déçu. On retrouve effectivement beaucoup d’idées reprises dans ses confrères. On retrouve le flux entre autres dans L’interdépendance chez John Scalzie. Le monde marin d’Orca est fascinant et j’aurais aimé m’y plonger plus profondément. Par contre, je me demandais, comment se passe le processus d’édition pour une traduction car encore une fois j’ai trouvé de très grosses fautes de français dans le texte.

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  2. Y’a un petit côté fin 70 début 80 très suranné dans les descriptions physiques des personnages, dans leurs relations et même le style… c’est pas désagréable du tout ce petit retour dans mon adolescence.
    Contrairement à toi je ne sais pas où elle nous embarque mais j’y vais joyeusement. Je suis curieuse de le faire lire à l’amoureux pour voir si il aura le même ressenti du haut de ses 4 ans de plus que moi 🙃

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