Révolte sur la Lune – Robert A. Heinlein

[Une première version de cette chronique a été publiée dans le Bifrost 95 de juillet 2019]

Le 20 juillet 1969, la mission Apollo XI se posait sur la Lune. Afin d’en marquer le cinquantenaire, la revue Bifrost publiait le 11 juillet 2019 un numéro spécial, le 95, consacré à la SF lunaire. A l’invitation de son altesse sérénissime Olivier Girard, Grand Timonier des éditions Le Bélial’ et Joyau Eternel illuminant notre Galaxie (oui, je suis sous contrat), la fine équipe des chroniqueurs explorait l’histoire de la science-fiction et relisait l’œil torve les péripéties séléniques et imaginaires de l’humanité à la surface du caillou aussi dégarni que le crâne de… enfin, vous voyez. Pour cette occasion, votre serviteur (moi) s’enquillait une série de romans relevant du thème. Notre servage accord nous autorise à user du fruit de notre labeur dès lors que les traces physiques et psychologiques laissées par le fouet d’Erwann Perchoc ont disparu, soit un an exactement après publication dans la revue. Je vais donc vous proposer, dans les jours à venir, une série de recensions lunaires tirées de cet excellent numéro de Bifrost, à commencer par celle de Révolte sur la Lune de Robert A. Heinlein, roman qui a obtenu le prix Hugo en 1967.


Voilà, c’est fait ! L’humanité s’était donné pour objectif la Lune et l’a conquise. Très bien, et maintenant on fait quoi ? Dans Révolte sur la Lune, Robert A. Heinlein imagine pour futur à notre satellite celui d’une colonie pénitentiaire sous le joug de la Terre. Il faut dire que Luna se prête à l’allégorie politique : créée à partir de l’agrégation de débris provenant de la planète mère (selon l’hypothèse la plus récente), soumise à un verrouillage gravitationnel qui impose la synchronicité de sa révolution, et des effets de marée qui l’éloignent lentement mais irrémédiablement de nous. Chez Heinlein, Luna est une prison sans matons ni barreaux : le vide s’occupe de tout. Prisonniers de droits communs mais aussi dissidents politiques, les débris de l’humanité ont été agrégés là pour servir une sentence éternelle puisque les conséquences d’une vie prolongée sous une gravité six fois moindre que sur Terre rendent physiologiquement le retour impossible.

En 2074, au début du roman, la population de trois millions d’âmes est majoritairement constituée de lunatiques de deuxième génération. Contrairement aux premiers déportés, ils sont nés libres, notion à peu près vide de sens quand on habite sur Luna.  Les lunatiques vivent sous la surface, dans des terriers pressurisés qui les protègent à la fois du vide et des radiations. Les sorties sont limitées à l’essentiel des besoins de maintenance des équipements de surface. La présence politique de l’Autorité Lunaire est réduite à un Gardien et une dizaine de policiers armés. Ils assurent que la colonie ne cesse de fournir à la Terre surpeuplée le blé produit dans ses fermes hydroponiques.  Creusées dans de longs tunnels, elles sont  alimentées en eau par la récolte des glaces rocheuses du sous-sol et en lumière par des générateurs solaires. Les lunatiques sont fermiers ou mineurs de glace. S’ils sont rémunérés pour leur travail, ils n’en sont pas moins esclaves de la Terre qui verrouille l’économie et impose son agenda. Sur Luna, tout se paye, y compris l’air qu’on respire.

Manuel Garcia O’Kelly est un fils de Luna, citoyen libre à ce titre, et informaticien indépendant suffisamment talentueux pour s’être rendu indispensable auprès de l’Autorité. Elle l’emploie à la maintenance de l’ordinateur central qui gère la colonie. Manuel est seul à comprendre que celui-ci a atteint le seuil de conscience, devenant une intelligence artificielle qu’il nomme Mycroft « Mike » Holmes. À l’appel de Mike, Manuel va rencontrer le professeur Bernardo de la Paz, exilé politique, et Wyoming Knott, agitatrice. Il va alors se trouver malgré lui embarqué dans une révolution pour l’indépendance politique et la liberté des habitants de Luna.

Révolte sur la Lune est le quatrième roman de Robert A. Heinlein à avoir obtenu le prix Hugo en 1967. C’est aussi un texte profondément heinleinien dans lequel hard-SF et politique se côtoient. Dès 1966, Heinlein parle d’intelligence artificielle et s’y montre visionnaire. Mike né ainsi dix ans seulement après la première apparition de Multivac dans l’œuvre d’Asimov, l’année où Frank Herbert publie Destination vide. Une partie essentielle du texte est consacrée aux discussions entre Manuel et Mike et à l’évolution de ce dernier. Mike est le personnage principal du roman, celui qui dirige la révolution lunaire en créant de toute pièce la personnalité du chef de l’insurrection Adam Selene. D’autres technologies adaptées aux conditions lunaires sont évoquées dans le roman, avec tout autant de clairvoyance.

La dimension politique – il est difficile d’y échapper quand il s’agit d’Heinlein, et plus encore dans ce roman – est à rapprocher de En terre étrangère (1961). À travers la description de la société lunaire et ses aspirations révolutionnaires, il expose une vision libertarienne, inspirée de la révolution américaine, fustigeant impôts, lois et gouvernement, et dans laquelle la liberté individuelle constitue le sacré et les équilibres se construisent sur des rapports de force. Heinlein fait directement référence à la Boston Tea Party. Le roman constitue le parfait manuel du révolutionnaire tant l’auteur détaille l’organisation à déployer pour soulever un peuple contre son oppresseur. Par ailleurs, il emprunte des voies peu conventionnelles à l’époque en faisant l’éloge de la liberté sexuelle, de la polyandrie et d’une certaine forme de matriarcat, ainsi que du métissage racial et culturel. La pensée politique d’Heinlein n’est jamais aussi catégoriquement classable qu’on veut bien le croire.

Si Révolte sur la Lune n’échappe pas au passage du temps, des archaïsmes habitent le texte, notamment sur les rapports entre homme et femme, ou dans la peinture des personnages féminins (on n’hésitera pas à parler de sexisme), il n’en reste pas moins un texte majeur de l’œuvre heinleinienne et un jalon incontournable de la SF lunaire.


  • Titre : Révolte sur la Lune
  • Titre original : The Moon is a Harsh Mistress (1966)
  • Auteur : Robert A. Heinlein
  • Traduction : Jacques de Tersac (1971), révisé par Nadia Fischer (2008)
  • Dernière édition : Le Livre de poche (15 juin 2016)
  • Nombre de page : 640
  • Format : papier et ebook

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