
Le 19 Septembre est sortie une nouvelle adaptation d’un texte de H.P. Lovecraft par Gou Tanabe. Après avoir produit excellemment l’adaptation en deux tomes des Montagnes hallucinées (ici et là), le mangaka s’est cette fois attaqué au texte Dans l’abîme du temps qui fut un des derniers textes publiés par Lovecraft en 1936 dans Astounding Stories, peu avant sa mort en 1937, sous le titre original The Shadow Out of Time. C’est aussi, comme Les Montagnes hallucinées, un des meilleurs textes de l’auteur.
Dans l’Abîme du Temps est une nouvelle qui s’inscrit dans le corpus d’écrits que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « mythe de Cthulhu » (le terme lui-même ne vient pas de Lovecraft, mais d’August Derleth). Pour le lecteur qui souhaite s’initier aux écrits du maître de Providence, et en particulier au mythe de Cthulhu, il s’agit très certainement d’une des grandes nouvelles à lire en priorité. Il s’agit d’un texte typiquement lovecraftien aussi bien dans la structure que dans le style. On y retrouve cette passion exagérée pour les épithètes dont le nombre augmente dramatiquement au fur et à mesure que s’avance l’histoire vers « une indicible horreur » finale, véritable marque de fabrique de l’auteur. Le récit retrace trente années de la vie du professeur Nathaniel Wingate Peaslee, professeur d’économie à l’université Miskatonic d’Arkham. Rappelons le, car on ne le dit jamais assez, cette université porte la poisse. Grave. Pendant 5 années, entre 1908 et 1913, il souffre d’une longue amnésie, et de changements inquiétants de personnalité. Revenu à lui, il enquête sur son expérience, jusqu’à comprendre qu’il a été « possédé » par un membre de la Grace Race de Yith qui traverse le temps en habitant les corps d’autres êtres vivants. Il se lance alors dans une expédition en Australie à la recherche de preuves. Qu’il trouvera…
Le texte se divise en deux grandes parties. La première est une sorte de lente introduction qui pose le décor de la nouvelle, à travers les rêves et les recherches de Nathaniel Wingate Peaslee à la suite de ses années d’amnésie. La seconde partie concerne le voyage, et de manière presque inhabituelle chez Lovecraft, devient un récit d’action.
On retrouve dans ce récit les grands thèmes chers à Lovecraft : la science (notamment sa fascination pour les récentes découvertes d’Einstein sur la relativité et le temps), l’architecture (improbable) et la botanique (monstrueuse), mais aussi et surtout son questionnement obsessif de la place de l’homme dans l’univers. On y croise aussi de nombreuses références au mythe : des livres maudits (le Nécronomicon, le livre d’Eibon, l’Unassprechlichen Kulten), des lieux (L’université Miskatonic, la ville d’Arkham), et des créatures (La Grande Race de Yith, Nyarlathotep). Notons aussi qu’on y trouve de nombreux points communs avec Les Montagnes Hallucinées et on y croise le professeur Dyer, héros malheureux des Montagnes Hallucinées. Référence est aussi faite au texte les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe qui a inspiré à Lovecraft l’écriture des Montagnes Hallucinées en 1931.
L’ouvrage reprend le format des deux volumes précédents, à savoir l’aspect d’un carnet de voyage habillé de similicuir cette fois-ci gris. L’effet est toujours aussi réussi. D’un texte de 84 pages, Gou Tanabe produit un manga de 350 pages. Et à l’intérieur, tout n’est que pure folie jubilatoire. Tout en restant très proche du texte original, il extrapole par l’image. Dans mes deux articles sur les Montagnes Hallucinées, j’avais déjà exprimé mon admiration pour le travail de Gou Tanabe sur ce texte. Ici, mes petits Shoggoths, les mots me manquent. Mises à part quelques planches en couleur, le dessin est toujours en noir et blanc et Gou Tanabe joue sur des contrastes violents pour montrer l’indicible. Le dessin se fait encore plus précis et expressif. L’exploration des souvenirs de Nathaniel Wingate Peaslee est l’opportunité pour le dessinateur de laisser libre cours à son imagination et de montrer bien plus que la nouvelle. Les décors grandioses et les architectures non euclidiennes s’illustrent dans de grands dessins en double pages, et comme dans le second volume des Montagnes Hallucinées, Tanabe nous peint de la bestiole cosmique en large. Pour être honnête, la description donnée par H.P.L de la Grande Race de Yith est limite ridicule (ce corps conique…). Gou Tanabe réussi à les rendre non seulement esthétiques, mais aussi vivants. (En cherchant bien, vous y trouverez même une représentation de Cthulhu himself !)
C’est beau, c’est sombre, c’est cosmique, c’est lovecraftien, c’est sublime. Espérons que Gou Tanabe ne soit pas encore lassé de Lovecraft et qu’il continue ainsi sur sa lancée. Personnellement, j’en veux encore !

D’autre avis : Gromovar, Au pays des Cave Trolls, Les blablas de Tachan,
Titre : Dans l’abîme du temps
Série : Les chefs-d’oeuvre de Lovecraft
Auteur : Gou Tanabe
Publication : 19 Septembre 2019 chez Ki-oon
Langue : français
Nombre de pages : 346
Format : papier
Tout à fait d’accord avec toi. Je l’ai lu hier et il est différent des Montagnes hallucinées par beaucoup d’éléments mais très réussi.
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Ouah, le dessin de la bibliothèque est sublime!
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Oui, il l’est et ce n’est pas le seul ! Tout cet album est superbe.
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