
La publication d’Une île (et quart) sous la lune rouge, de l’auteur français de science-fiction et de fantasy Thomas Geha, est liée au projet de fin d’études du Master Métiers du livre et édition de l’Université de Rennes 2 présenté par Marielle Carosio. L’ouvrage de 85 pages est paru le 2 Septembre 2019 en tirage limité à 110 exemplaires dont 100 numérotés à la main, et est illustré par Anna Boulanger. Il s’agit ainsi d’un livre objet propre à titiller la fibre des collectionneurs. J’ai le numéro 87/100.
Tout est dans le titre ! Thomas Geha nous emmène sur une île, et quart, sous une lune rouge, dans un récit à la croisée des genres où se mêlent l’étrangeté de la fantasy et la tentation d’expliquer propre à la science-fiction, sans que l’un ne prenne véritablement le dessus sur l’autre. Il s’agit là par ailleurs d’un des moteurs du récit, j’y reviendrai. La narration repose sur plusieurs trames, séparées dans le temps, mais reliées par le lieu. L’île. Par les descriptions et l’atmosphère générale que l’auteur impose, cette île on l’imagine bretonne (jusqu’à ce qu’un détail page 34 vienne contredire cette intuition « Quand la journée de travail s’achève, Benjamin les conduit au seul bistrot de l’île. » Quoi, un seul bistrot ? Non, ce n’est clairement pas en Bretagne !). Le texte étant court, je n’en dévoilerai pas plus de l’histoire si ce n’est que la trame principale suit à notre époque Mathieu et Benjamin. Ils sont tous deux biologistes, et étudient les mousses endémiques de l’île, des bryophytes, des organismes végétaux dépourvus de racines, de vaisseaux conducteurs ou mêmes d’organes différenciés. C’est l’une des expressions les plus simples de la vie végétale en comparaison avec des organismes complexes, comme les animaux, qui eux peuvent être le support de la conscience et de l’intelligence.
Le récit de Thomas Geha fonctionne à l’aide de concepts clés qui s’opposent et agissent en miroir. Il y a tout d’abord l’île qui, en tant qu’espace géographique spécifique et ambigu, est propice à l’émergence des mythes et des fantasmes. La littérature en témoigne. A la fois objet tellurique et maritime, une île est le lieu d’une rencontre improbable, constituant par là même les limites de l’écoumène, mais aussi entre ce qui est au-dessous, sous le niveau de la mer, mystérieux et souvent menaçant (R’lyeh!) et ce qui le surplombe, qui se trouve sous le ciel. En raison de cette situation singulière, une île se trouve donc à l’interstice des mondes, par sa côte qui en provoque la rencontre et forme une dichotomie, un antagonisme, et ouvre un espace des possibles.
L’île est alors le lieu de tous les fantasmes : ceux qui se traduisent par la création d’un folklore local, la naissance des récits populaires et d’une tradition orale teintée de superstition; mais aussi ceux des scientifiques. Pour le géographe, une île constitue un territoire dont il est possible de dresser une carte finie, mais qui pose la question de sa définition même. Qu’est-ce qu’une île ? A partir du moment où l’île repose sur un socle continental, peut-on dire qu’elle s’en trouve isolée ou n’est-elle qu’un satellite du continent ? Ou peut-elle être une ouverture vers autre chose ? Pour le biologiste, une île est un Graal mais aussi un mystère qui renvoie aux origines. La question de l’insularité est aussi celle de l’espèce et de son émergence. C’est son séjour sur les îles Galápagos qui a en grande partie amené Darwin à penser les mécanismes de la sélection naturelle pour expliquer l’évolution des espèces, « a little world within itself« . Mais l’insularité elle-même s’oppose à la tendance naturelle de toute espèce vivante dont le but est de se reproduire et de s’étendre.
Ce sont ces questions qu’on lit dans Une île (et quart) sous la lune rouge et l’île devient un objet intellectuel dans lequel s’opposent, et se rejoignent, la méthode scientifique et le fantasme d’une réalité subjective qui dépasse le monde visible et connu. L’île incarne une altérité tangible et déploie des horizons.
Ceux qui n’auront pas eu la chance d’avoir ce tirage entre les mains pourront se rattraper courant 2020 lorsque le texte sortira (à ce qu’on m’a dit) chez un autre éditeur.
D’autres avis : Au pays des cave Trolls, Lorhkan
Désolée, mais là, tu ne m’inspire pas.
Le lien avec Darwin m’intéresse, pourtant, je ne suis pas totalement convaincue.
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