
The Nearest est une nouvelle inédite du pape de la hard-SF, le maître de Perth, Greg Egan, publiée le 19 Juillet 2018 sur tor.com. Greg Egan est connu pour écrire des romans difficiles d’accès, abordant des notions scientifiques et mathématiques très poussées, à l’instar de son roman Schild’s Ladder qui, dans le genre, représente un extrême à ne pas mettre entre toutes les mains. Mais il s’est aussi illustré dans des nouvelles qui, même si elles restent de la hard-SF, c’est-à-dire scientifiquement précises, sont moins exigeantes pour le lecteur. Le recueil Axiomatique, par exemple, illustre parfaitement cet aspect de son travail. Plus récemment encore, Egan a produit des nouvelles qui sont très accessibles pour tout public, et pour lesquelles aucune connaissance ou appétence scientifique particulière n’est requise, comme Cérès et Vesta ou The Discrete Charm of the Turing Machine. La nouvelle The Nearest s’inscrit dans cette démarche d’ouverture et doit être, je pense, la nouvelle la plus directement accessible que j’ai lue de l’auteur. Greg Egan y revient aux préoccupations qui étaient les siennes dans certaines nouvelles à l’époque d’Axiomatique, Radieux et Océanique, c’est-à-dire un futur très proche, dans une heure au plus, mais sans la complexité conceptuelle que ces dernières pouvaient avoir.
The Nearest est une enquête policière, en Australie, demain. Katherine « Kate » Shahripour est sergent-détective dans la police de Brisbane. Elle enquête sur un meurtre particulièrement sordide. Une jeune mère de famille, Natalie, semble avoir tué à l’arme blanche son mari et ses deux très jeunes enfants dans leur sommeil avant de prendre la fuite. Kate est parmi les premiers officiers de police sur place et inspecte la maison à la recherche des premiers indices. Elle va tenter de comprendre ce qui a pu se passer dans ce couple apparemment sans histoire et pousser cette jeune femme à commettre ce crime. Quelques jours plus tard, Kate se réveille dans sa chambre aux côtés d’un étranger. Pensant tout d’abord à une effraction, voire une tentative de viol ou d’enlèvement, elle réalise que son mari, mais aussi son fils Michael, ont été remplacés par des personnes qu’elle ne connait pas mais qui leur ressemblent. Horrifiée, elle fuit, tente d’entrer en contact avec d’autres personnes de son entourage. Elle comprend qu’elle ne peut se fier à personne. Revenant sur les déclarations de certains témoins, elle va faire le lien avec quelques disparitions survenues ces derniers jours, ainsi qu’avec le crime de Natalie. Entrant en contact avec ces personnes, elle découvre que tous ont une histoire semblable à raconter. Des membres de leur famille ont montré des changements d’attitude, jusqu’à sembler être de parfaits étrangers avec lesquels ils n’ont plus aucun contact émotionnel. Kate soupçonne la propagation d’un virus qui vide les gens de leur personnalité, jusqu’à en faire des étrangers. Le problème étant que seules les personnes les plus proches des victimes sont à même de percevoir ce changement. Une question fondamentale lui vient alors : comment savoir, lorsque votre perception de l’autre change, si c’est vous, ou l’autre, qui est affecté par la maladie ?
La conclusion est prévisible mais laisse tout de même un sentiment d’incertitude, un jeu de pile ou face. La nouvelle d’Egan repose sur cette peur intime dans la relation à autrui qui relève du doute sur la connaissance de l’autre et du ressenti affectif. Ce ressenti peut-il être affecté au point de faire de l’autre un étranger ? C’est la question qui est ici abordée. Greg Egan produit avec The Nearest une nouvelle simple, directe, bien construite et très accessible, peut-être un peu trop, car il y manque pour moi l’émerveillement ressenti face aux grandes idées, au vertige conceptuel que je trouve dans ses nouvelles ou romans plus ambitieux. Par contre, elle est certainement une porte d’entrée douce dans l’univers d’un auteur qui parfois peut être intimidant.
Cette nouvelle est à lire gratuitement en VO sur le site tor.com
Voir aussi l’avis de Gromovar.
Je suis très partagé à propos de cette récente orientation « grand public » de Greg Egan. D’un côté, cela permet à un public moins expérimenté en SF ou ayant moins d’affinité pour la science de découvrir l’auteur. D’un autre côté, je n’ai pas le sentiment que, par ce biais, ces nouveaux venus découvrent le « vrai » Egan. Et en tout cas, ces textes, s’ils sont bons, n’arrivent pas, pour moi, à la cheville de ceux d’ultra-hard-science dont était jadis coutumier l’australien.
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Tu te doutes bien que je suis d’accord avec toi. Toutefois je n’ai pas l’impression qu’il abandonne son côté ultra, en tout cas pas dans ses romans. Pour ce qui est des nouvelles, on va dire qu’il diversifie.
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ça dépend de quels romans on parle. Si c’est de Dichronauts, clairement pas. Zendegi, en revanche, est très light niveau science.
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C’est pas faux. Mais j’ai l’impression que Perihelion Summer va nous ramener à du pur Egan.
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Je suis assez partagée également pas forcément pour des raisons totalement identique à Apophis. C’est vrai que cet ouverture vers un public plus large – une tendance actuelle si j’ai bien compris – m’interpelle justement sur les motivations de l’auteur. Sans doute préférerais-je quelque chose d’un peu plus digeste que les recueils que tu cites (je me souviendrais longtemps de la partie de football quantique qui ne me parlait pas du tout lors de la lecture). Mais sans devenir un auteur de hard-sf edulcoré…
Etant gratuite, je ne vais toutefois pas me priver…
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Lu : moui, c’est effectivement du Egan dans son versant le plus accessible (voire édulcoré). On retrouve quelques motifs abordées ailleurs (l’Iran, les réfugiés en Australie). Mais bon, 90 000 signes pour une histoire dont on voit très vite venir le bout… mais il faut attendre une éternité pour la protagoniste ce qu’on a saisi depuis longtemps.
M’en vais lire “Dichronauts” et relire “Phoresis” en attendant “Perihelion Summer” 😉
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Dichronauts, je n’ai pas aimé. Du tout. (Tu trouveras ma chronique dans l’index si ça t’intéresse.). Mais, je vais attaquer Phoresis sous peu.
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Mes attentes sont basses pour “Dichronauts” : ta chronique et celle de Gromovar ne sont pas enchantées, pour dire le moins. Mais mon côté complétiste me taraudera jusqu’à ce que je lise ce roman (raison pour laquelle je me suis aussi fadé son tout premier roman, “An Unusual Angle”).
“Phoresis”, je suis curieux d’avoir ton avis : je l’ai lu dans de mauvaises conditions (fatigue) et ça m’a laissé assez froid sur le coup.
(Du côté des textes récents, “The Discrete Charm of the Turing Machine” m’a aussi beaucoup plu. Comme avec “La Vallée de l’étrange”, Egan se montre pertinent et intéressant sur la société et les implications des technologies, bien plus qu’avec “The Nearest” — ça passerait mieux si ce dernier texte était trois fois plus court en fait.)
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