Sturgeon 2018 : The discrete charm of the Turing machine – Greg Egan

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La liste des finalistes du prix Theodore Sturgeon a été annoncée il y a quelques jours  et parmi ceux-ci se trouve la novelette (12000 mots)  The discrete charm of the Turing machine par le pape de la hard-SF : l’auteur australien Greg Egan. Ce texte a été publié dans la revue Asimov’s en novembre 2017. Si vous êtes habitués à ce blog, vous savez que j’ai une grande admiration pour cet auteur qui, à travers ses nouvelles et ses romans indépendants, repousse depuis les années 90 les frontières du genre par la rigueur de son approche scientifique. Les thématiques qu’il aborde sont le posthumanisme, la nature de la conscience, l’intelligence artificielle, la génétique, les réalités virtuelles, etc. Depuis quelques années, il s’est particulièrement impliqué dans le sort des réfugiés, thème qu’on retrouve dans différents textes comme la novella Cérès et Vesta récemment publiée dans la collection Une Heure Lumière.

Avec The discrete charm of the Turing machine, Greg Egan revient aux préoccupations qui étaient les siennes dans les nouvelles à l’époque d’Axiomatique, Radieux et Océanique, fabuleux recueils publiés chez Le Bélial, dans lesquels il s’intéressait aux conséquences sociales et individuelles de l’émergence de nouvelles technologies. Ici, il examine les conséquences sur une jeune famille australienne de l’automatisation des tâches par des ordinateurs, des IA, ou des robots, remplaçant petit à petit les humains dans leur travail.

Dan est vendeur de produits financiers de recouvrement de dette pour la compagnie Thriftocracy (pouvoir de l’épargne). Après 4 ans de bons et loyaux services, il est brutalement remercié et remplacé par un logiciel clonant ses performances. A l’école, sa fille Carlie voit son institutrice remplacée par un avatar de son choix, en l’occurrence un lapin, sur un Ipad.

Ms. Snowball’s fun, and she’s always got time to help me.

Quelques mois plus tard, alors qu’il peine à retrouver un emploi, sa femme Janice qui est infirmière perd aussi le sien, remplacée par des robots accomplissant les tâches les plus simples sur les patients. Le couple doit vendre la maison, ne pouvant rembourser leur emprunt.  Autour d’eux, la situation se généralise et nombreuses sont les familles dont les deux membres du couple se retrouvent durablement sans emploi. Chacun réagit comme il peut. Callum, le frère de Janice, s’enfonce dans une paranoïa complotiste anti-technologie allant jusqu’à interdire les téléphones portables, ordinateurs, TV chez lui. Graham, le voisin, se met à écrire des romans porno pour un mystérieux commanditaire. La sœur de Dan opte pour la survie dans une communauté  d’agriculture alternative… it’s gonna be fantastic!

La nouvelle est à la fois très surprenante et très egannienne. Surprenante car, dans la forme, de nombreux éléments inhabituels chez Greg Egan se glissent dans le récit. Il y a notamment, malgré le sujet grave, beaucoup d’humour, ce à quoi Egan ne nous avait pas forcément habitués.

– We meet on Wednesday afternoons, for book club, fight club, carpentry, and scrapbooking, and once a month, we go out into the desert to interrogate our masculinity.
-Does that include water-boarding?

Il fait aussi de nombreuses références à la culture populaire, citant le film Donnie Darko, lorsque Dan compare l’institutrice virtuelle de sa fille Carlie au lapin géant Frank, ou encore Béatrix Potter, la nouvelle dystopique I Have No Mouth, And I Must Scream, Terminator… Même l’Eschaton de Charles Stross y fait une apparition humoristique.

Et dans le fond, et la conclusion, c’est du pur Egan. Greg Egan présente souvent un avenir sombre, où l’humain est confronté aux nouvelles technologies et leurs déviances, mais il ne sombre jamais dans la dystopie. C’est à l’opposé de sa philosophie. Il défend le rationalisme face à l’obscurantisme, et invite l’humain à prendre son avenir en main. L’option refuge dans les bois ou dans les mondes parallèles (à la Vittorio Catani) n’est pas envisageable chez lui. Le repli dans une communauté agricole revient à rendre les armes, alors qu’Egan écrit une science fiction militante, qui appelle à se tenir debout et aller de l’avant. De se bouger le cul, en d’autres termes. La conclusion du récit est rapide, comme à l’accoutumée chez lui, mais livre un message efficace. Je suis d’autant plus sensible à ce message que c’est exactement celui que j’essaye de faire passer aux enfants de ma famille depuis des années. L’avenir appartiendra à ceux qui maîtriseront les technologies, pas à ceux qui les fuiront. J’approuve et applaudis monsieur Egan !

Ce texte est était disponible gratuitement en ligne. Il ne l’est plus mais on peut désormais le trouver dans le recueil Instantiation publié en format électronique.


9 réflexions sur “Sturgeon 2018 : The discrete charm of the Turing machine – Greg Egan

  1. Intéressant. Je ne sais pas si tu as vu, mais il a également une novella prévue chez Tor l’année prochaine (sélectionnée par Strahan), une histoire de trou noir baladeur qui pénètre dans le Système Solaire.

    C’est clair que le texte d’Harlan Ellison, ou Demon Seed de Dean Koontz, sont pour moi le sommet de l’horreur dystopique associée aux IA.

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  2. Je mets un gros +1 à ce texte, et ce sans l’avoir lu. Les détails que tu me donnes me fait dire que c’est du bon Greg Egan : je ne peux résister à l’envie irrésistible de mettre la main sur ce texte.

    Il a été publié dans le Asimov de novembre/décembre 2017, c’est bien ça?

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      1. Je suis un boulet ! Je n’avais pas vu la dernière ligne (la fin du paragraphe précédent sonnait comme une (très bonne) conclusion)…

        Je mets ça dans mes favoris en prévision de mon prochain déplacement professionnel ! Merci beaucoup pour ces découvertes

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