Voisins d’ailleurs – Clifford D. Simak

À quelques pas de l’immeuble d’habitation dans lequel je m’épanouissais lorsque j’étais tout jeune, se trouvait une bibliothèque municipale. Celle-ci était dotée d’un rayon de livres de science-fiction et de fantasy qui, sans être des plus audacieux, était toutefois honorablement fourni en classiques. Ne bénéficiant pas de la présence d’une personne à mes côtés pour me guider dans mes choix de lecture (on parle d’un monde ante-internet), j’ai lu tous les livres, suivant leur placement dans le rayonnage, d’Asimov à Zelazny. De cette époque lointaine et en grande partie oubliée, certains noms m’avaient marqué plus que d’autres – allez comprendre ce qu’il se passe dans la tête d’un gamin qui découvre la SF par ordre alphabétique – dont celui de Clifford D. Simak, pour la singularité de son œuvre. Simak, c’est un ton, une voix marquée par son humanisme et toujours résolument optimiste dans son rapport à l’altérité.

Nous voici ramenés au présent, à aujourd’hui à quelques kilosecondes près, et je vous parle régulièrement d’un nouvel auteur américain du nom de Ray Nayler, dont à l’occasion je compare volontiers l’humanisme à celui de Simak, notamment pour des textes à la saveur retrofuturiste comme Father, voire pastorale comme Fire in the Bone ou Yesterday’s Wolf. Il est si rare de croiser le monde rural dans un texte de science-fiction que le rapprochement avec celui dont on qualifie souvent l’œuvre de SF pastorale se fait naturellement. Il y a un an, je relisais Simak, à l’occasion d’une nouvelle traduction de Au Carrefour des étoiles par Pierre-Paul Durastanti sortie dans la collection Nouveaux Millénaires. Plus récemment encore, j’écrivais un article (à paraitre) sur les origines littéraires d’Alien. Et lorsqu’on parle d’extra-terrestres, on pense inévitablement à Simak, lui qui a tant imaginé de rencontres avec ces voisins venus d’ailleurs. Voilà les convergences (parmi d’autres) qui m’ont amené à m’intéresser à nouveau à cet auteur devenu classique.

Clifford D. Simak, né en 1904 et mort en 1988, est un auteur associé à l’âge d’or de la science-fiction américaine, mais dont la carrière s’étale sur plus de cinquante ans. S’il a écrit un grand nombre de romans, c’est avant tout un extraordinaire nouvelliste et son œuvre la plus connue, Demain les chiens, est de fait un fixup de nouvelles écrites dans les années 40. Si du temps de mon adolescence il était facile de dénicher ses recueils de nouvelles, ce n’est plus le cas aujourd’hui, le vieux Simak étant quelque peu passé de mode. Heureusement, il existe à Moret-Loing-et-Orvanne un campement de passionnés qui s’est entiché de vieilleries et s’est donné pour mission de faire retrouver une actualité éditoriale à quelques trésors enfouis de la littérature de science-fiction, dans un acte à fonction patrimoniale. Outre un numéro spécial de Bifrost consacré à l’auteur en 2001, les éditions Le Bélial’ ont publié deux recueils de nouvelles de Clifford D. Simak réunissant inédits et révisions de traduction sous la houlette de Pierre-Paul Durastanti : Voisins d’ailleurs en 2009, qui est l’objet de cette chronique, et Frères lointains en 2011, dont je vous parlerai une autre fois.

Voisins d’ailleurs regroupe neuf textes, dont quatre sont inédits en français, publiés entre 1953 et 1980. Ils sont présentés de manière chronologique

– La Maternelle (Kindergarten, 1953 – réédition)
– Le Bidule (Contraption, 1953 – inédit)
– Le Voisin (Neighbor, 1954 – inédit)
– Un Van Gogh de l’ère spatiale (The Spaceman’s Van Gogh, 1956 – réédition)
– La Fin des maux (Shotgun Cure, 1961 – réédition)
– Le Cylindre dans le bosquet de bouleaux (The Birch Clump Cylinder, 1974 – inédit)
– La Photographie de Marathon (The Marathon Photograph – inédit)
– La Grotte des cerfs qui dansent (Grotto of the Dancing Deer, 1980 – réédition)
– Le Puits siffleur (The Whistling Well, 1980 – réédition)

Les cinq premiers textes, écrits avant 1961, sont archétypiques de l’auteur, à l’image de La Maternelle où l’on retrouve un à un les éléments qui ont défini sa particularité. L’histoire se déroule dans la campagne sereine du Wisconsin où Simak lui-même a vécu une grande partie de sa vie. Un vieil homme voit la quiétude de son existence perturbée par la chute dans un champ voisin d’un objet d’origine extraterrestre. L’irruption de l’inconnu et de l’extraordinaire, dont la nature véritable et les motivations ne se découvrent que progressivement au long du récit, au beau milieu d’une vie réglée par ses rituels est le leitmotiv de ces premières nouvelles et de très nombreux écrits de Simak. L’auteur en profite pour poser un regard critique et néanmoins bienveillant sur un monde où se frottent la modernité représentée par le monde citadin et ses habitants et un mode de vie hors du temps et des préoccupations au cœur des campagnes. C’est l’œil du journaliste, profession de Clifford D. Simak, qui est à l’œuvre. Il observe et commente son époque sans parti pris. Nous sommes très loin des obsessions militaristes et guerrières qui ont occupé une bonne partie de l’âge d’or et la SF jusqu’à aujourd’hui. Les rencontres de Simak sont pacifiques et fécondes. Le voisin venu d’ailleurs provoque un questionnement sur la nature de l’homme et de son rapport à sa propre planète, jusque dans les sillons des champs labourés. Lorsqu’il transporte son récit sur une autre planète, comme dans Un Van Gogh de l’ère spatiale, c’est encore pour interroger l’humanité et ce qui la qualifie, pour retrouver le sens d’un lien primordial. En l’occurrence, c’est le lien entre l’art et la foi religieuse – avec laquelle Simak tient ses distances, pour y opposer la raison mais encore une fois dans le respect de l’autre avec ce magnifique « J’ai essayé » qui conclut le texte – qu’il questionne à travers ce texte.

Les quatre textes suivants ont été écrits après 1974. L’auteur a alors 70 ans. L’avancée en âge le fait s’intéresser à un autre ailleurs, où la distance qui nous sépare du voisin n’est plus la géographie cosmique mais la profondeur du temps. Il est encore question d’un objet tombé du ciel dans Le Cylindre dans le bosquet de bouleaux, mais celui-ci est un moteur temporel qui va ouvrir pour les protagonistes du récit les portes de cette dimension accolée à celles de l’espace. On voit aussi poindre dans ces textes tardifs un intérêt de plus en plus marqué pour les sciences, que ce soit la physique, l’histoire, l’archéologie ou la paléontologie. Le voyage dans le temps est au cœur de La Photographie de Marathon, et la rencontre est celle avec des hommes venus du futur, quand ce sont des résurgences d’un passé lointain qui occupent la scène dans La Grotte des cerfs qui dansent et Le Puits siffleur. Comme lors de la période précédente, Simak en profite pour glisser des commentaires sur son époque et aux détours d’une phrase pousse la réflexion sur les droits de l’homme ou le patriotisme, sur les mensonges inhérents à la constitution de notre culture occidentale.

Ce sont ces quatre textes qui sont à mon sens les plus surprenants et les intéressants du recueil car ils s’éloignent le plus de ce qu’on connait – ou croit connaitre – des écrits de Simak et renouvellent les thématiques abordées. Ce sont aussi les plus réussis du point de vue de l’écriture. La plume s’est affinée avec les années et si le style en apparence simple de Simak reste de rigueur, il est ici éclatant de justesse. Le lecteur français est chanceux, car ce style a trouvé en la personne de Pierre-Paul Durastanti le traducteur qui lui convient le mieux. Je l’avais déjà noté en d’autres occasions, mais P.-P. Durastanti est pour moi le traducteur simakien par excellence. L’auteur et son interprète ont le même souci d’économie et de précision du langage, des tournures de phrase ciselées au plus juste.

Ce fut pour moi une joie de retrouver les écrits de Clifford D. Simak dans les conditions de composition de ce recueil qui nous présente deux périodes distinctes de l’œuvre de l’auteur, et sous des traductions inédites ou révisées qui rendent justice aux textes. Parmi les anciens, Simak reste l’un de mes auteurs préférés.


  • Titre :Voisins d’ailleurs
  • Auteur : Clifford D. Simak
  • Publication : 25 mai 2009, Le Bélial’
  • Traduction et révisions : Pierre-Paul Durastanti
  • Nombre de pages : 320
  • Format : papier

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