
Pour accompagner la sortie le 30 mars 2022 du roman L’Architecte de la vengeance (Riot Baby en VO) de l’auteur américain Tochi Onyebuchi, Albin Michel Imaginaire propose dès aujourd’hui en téléchargement gratuit la nouvelle Dommages et intérêts (Hurt Pattern en VO), traduite comme le roman par Anne-Sylvie Homassel. J’avais lu la nouvelle il y a deux ans, lors de la sortie de l’anthologie Made to Order dirigée par Jonathan Strahan. Si je ne l’avais pas chroniquée à l’époque, c’est quelle se trouvait quelque peu écrasée au sein du recueil par d’autres contributions de poids lourds du genre tels Peter Watts, Ken Liu, ou encore Daryl Gregory. Sa sortie en français fut donc pour moi l’occasion de la relire, à l’aune d’autres textes lus de l’auteur, et de lui rendre le mérite qui lui revient.
Avant de parler de ce texte, il me faut parler de son auteur. Tochi Onyebuchi est d’origine nigériane. Il est afro-américain. Après des études brillantes à Yale, à la Columbia Law School et à Sciences Po en France, il a exercé dans le domaine des droits civiques au bureau du procureur général de l’état de New York. Cette expérience l’a laissé épuisé et il s’est tourné vers le domaine de la high-tech. Ces éléments biographiques ont leur importance pour comprendre d’où vient Dommages et intérêts.

Le futur est proche, à portée de doigts. Comme beaucoup d’américains de son âge, Kenny est lourdement endetté par les frais de scolarité versés pour ses études de droit. (Tochi Onyebuchi s’appuie ici sur une réalité américaine contemporaine où les étudiants peuvent désormais s’endetter à vie pour payer leurs études.) Afin d’alléger la sentence, il accepte de recevoir des implants, des augmentations, et de travailler pour une société de haute technologie développant des algorithmes utilisés dans le domaine de la surveillance. Son travail consiste à exercer une veille de tous les événements qui relèvent de la sécurité, dans différentes zones du monde. Cela va de la simple dégradation de biens publics au massacre de masse, avec décapitations au menu. Ce genre d’activités consistant à être le témoin direct du pire de l’humanité a un coût psychologique et Kenny demande à son employeur de pouvoir faire une pause dans l’horreur en travaillant quelques temps sur la zone nord-américaine. (L’auteur s’appuie ici aussi bien sur l’épuisement moral qu’il a ressenti lui-même alors qu’il travaillait dans le domaine des droits civiques que sur la réalité sordide racontée il y a peu dans le journal The New York Times des traumatismes psychologiques parfois subits par les personnes en charge de filtrer les vidéos sur les réseaux sociaux et qui se trouvent parfois être les témoins de crimes.) C’est ainsi, en s’intéressant au meurtre d’un jeune afro-américain par un robot de la police, qu’il va découvrir les liens qui existent entre le marché de la sécurité, la police, les municipalités et les banques sur fond d’automatisation algorithmique des interventions policières et de meurtres racistes. (Encore une fois, la réalité contemporaine en fond sonore.)
Tochi Onyebuchi utilise la forme du thriller technologique cyberpunk pour dénoncer, sous le chapiteau d’une conspiration politico-économique dans un monde dystopique de surveillance généralisée, les mécanismes économiques qui convergent pour devenir processus global d’oppression, de la dette contractée lorsque débute la vie jusqu’aux dommages et intérêts lorsqu’elle se finit. Sa cible n’est autre que le capitalisme lorsque celui-ci met en jeu la vie humaine face aux profits. C’est un texte percutant, qui est à mon avis très représentatif de la plume de l’auteur.
D’autres avis : Gromovar (sur l’anthologie), Le Nocher des livres, les lectures du Maki,
Désolé, à nouveau la même précision… L’auteur est d’origine nigériane.
J’en profite pour te féliciter de la qualité de tes critiques et du site en général.
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Rhaaa mais c’est fou ça ! Je ne cesse de faire encore et toujours la même faute. Merci !
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