
L’adaptation cinématographique par Denis Villeneuve du roman Dune de Frank Herbert, dont la sortie initialement prévue en décembre 2020 a été repoussée d’un an pour cause de pandémie mondiale, a provoqué un intérêt renouvelé pour le roman publié en 1965. Cette année a vu sa réédition sous la forme d’un Collector bénéficiant d’une tradition revue corrigée chez Robert Laffont à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa première publication en France, d’une nouvelle édition chez Pocket, ainsi que de la publication d’un ensemble d’essais dédiés à l’examen d’une œuvre considérée majeure dans le domaine de la science-fiction.
Dans le cadre d’une série d’articles intitulée « Autour de Dune », je me suis penché sur l’essai Les enseignements de Dune – Enjeux actuels dans l’œuvre phare de Frank Herbert, un ouvrage collectif rédigé sous la direction d’Isabelle Lacroix (Presses de l’Université du Québec, 5 février 2020), sur Dune, un chef-d’œuvre de la science-fiction de Nicolas Allard (Dunod, 7 octobre 2020), et sur Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers, dirigé par Roland Lehoucq (Le Bélial’, coll. Parallaxe, 22 octobre 2020). Cette chronique s’intéresse à un quatrième essai, Les Visions de Dune – Dans les creux et les sillons d’Arrakis de Vivien Lejeune, publié chez Third Editions, et qui envisage l’héritage de Frank Herbert sous l’angle des différentes visions qu’il a suscitées, à savoir à travers ses adaptations cinématographiques, en séries télévisées, en jeux vidéo, ainsi que dans les suites écrites par Brian Herbert et Kevin J. Anderson.
Vivien Lejeune est journaliste pour Les Années Laser et L’Ecran Fantastique. Il est coauteur de deux ouvrages : le Guide des compositeurs de musique de film (2017) et le Guide des séries de science-fiction (2018). Ayant une approche de la science-fiction clairement plus cinématographique que littéraire, Vivien Lejeune confesse volontiers dans l’avant-propos de son livre qu’il n’a jamais été particulièrement fan de Dune et qu’il est resté totalement hermétique aux questions soulevées par le roman. Ce n’est pas quelque chose que je lui reprocherai, et je trouve plutôt sain d’aborder l’œuvre sans le biais de l’émotion. Le problème est ailleurs.
Commençons par le bon et l’agréable. Dans le premier chapitre, d’une trentaine de pages, Vivien Lejeune dresse le portrait de Frank Herbert et revient sur l’écriture de Dune. C’est documenté, précis, et repose en grande partie sur les différents entretiens accordés par Frank Herbert et sur la biographie écrite par son fils Brian Herbert. Le cœur de l’ouvrage, retrace l’historique des tentatives d’adaptations cinématographiques, revenant longuement sur le désastre Jodorowsky et sur le film de David Lynch (1984), puis aux adaptations en série télévisuelle par John Harrison sur SciFi au début des années 2000. On sent là que l’auteur est dans son élément. Cette partie est documentée, elle est critique, et présente de nombreuses anecdotes. On pourra toutefois regretter que, pour un livre parle de « visions », il n’y ait aucun visuel pour accompagner le propos. Certes, l’utilisation d’images tirées de films ou de séries suppose de payer les droits qui vont bien. Mais lorsqu’on parle de cinéma, c’est un peu frustrant de n’avoir sous les yeux que des mots. Un long chapitre est aussi consacré à l’adaptation en jeu vidéo, ce qui moi ne me chatouille pas, mais pourra sans doute intéresser les afficionados. Un dernier chapitre, s’intéresse à la conception des musiques qui ont accompagné les différentes mise en images de l’œuvre.
Et maintenant les problèmes. Dans le deuxième chapitre de son essai, Le cycle de Dune, Vivien Lejeune s’intéresse à l’ensemble du cycle original, de Dune (1965) à La maison des mères (1985). Et là je dois admettre mon incompréhension. En six chapitres, sur une cinquantaine de pages, l’auteur fait le choix de résumer entièrement les six livres du cycle, en révélant tous les points importants, spoilant ainsi intégralement l’intrigue à tout lecteur qui ne l’a pas encore lu et qui éventuellement aurait pu trouver plaisir à le faire. Je ne vois aucune nécessité à cela dans la mesure où cet essai n’est pas une analyse littéraire qui aurait besoin de se reposer sur des éléments précis pour en décrypter les mérites ou les failles. De plus, les lecteurs connaissant déjà l’intégralité du cycle seront forcément décontenancés par les nombreuses erreurs que contiennent ces résumés. Je ne vais pas en produire ici la liste, mais elles se propagent à travers le reste de l’ouvrage, comme lorsque Piter de Vries est nommé comme le traitre de l’histoire ou quand les « pré-nés » sont confondus avec des « prématurés ». Ces erreurs sont moins importantes que celles rencontrées dans Les enseignements de Dune – Enjeux actuels dans l’œuvre phare de Frank Herbert, dans la mesure où Vivien Lejeune n’en tire pas des conclusions sur les enjeux du livre. Mais cela décrédibilise à mes yeux le travail effectué. D’autant qu’il n’est pas difficile de faire appel à des âmes charitables pour se faire relire, comme cela a été fait par d’autres.
Il récidive dans le septième chapitre 7 qui s’intéresse aux écrits de Brian Herbert et Kevin J. Anderson et la quinzaine de romans qu’ils ont produits dans l’univers de Dune. C’est là que Vivien Lejeune exprime sans doute ses opinions les moins consensuelles (c’est son droit le plus absolu) et ne cache pas l’admiration qu’il a pour ces deux auteurs dont il loue l’approche… cinématographique. Je ne partage pas son avis et ça me fait un peu mal aux dents de lire des choses comme « De leur griffe incisive et précise aux chapitres courts et dynamiques, Brian Herbert et Kevin J. Anderson ont indéniablement ressuscité Dune. Assurément amputé de ses longues élucubrations philosophiques et théologiques… ». Surtout si on le met en parallèle avec les critiques faites sur le cycle original. Mais bon, c’est une opinion. Le problème est, qu’à nouveau, en une quarantaine de pages, il résume les différents livres de cet après-cycle en révélant les points clefs. À ce stade, je n’ai plus qu’un seule question : pourquoi tant de haine envers les lecteurs ?
Comme je le rappelais en introduction, plusieurs essais ont été publiés cette année autour de Dune. En fonction de ses goûts propres, chacun se tournera vers l’un ou l’autre, suivant qu’on s’intéresse plutôt à l’aspect littéraire, scientifique, ou cinématographique. En ce qui me concerne, le choix fait par Vivien Lejeune de dévoiler intégralement l’intrigue des différents romans qui appartiennent au cycle, tout en y introduisant de nombreuses erreurs, est rédhibitoire. Je suis plus intéressé par les origines littéraires de cet univers et ne trouve donc pas mon compte dans ces Visions de Dune. À vous de décider, mais pour ma part, on peut s’en passer.
- Titre : Les Visions de Dune – Dans les creux et les sillons d’Arrakis
- Auteur : Vivien Lejeune
- Edition : Third éditions, 19 novembre 2020
- Nombre de pages : 256
- Format : papier et numérique
Je ne comprends pas la hantise contemporaine du « spoiler » !
Peu importe !
Les lecteurs de ce livre auront à 99% déjà lu l’ensemble de Dune…
Ah, au fait, c’est […] le meurtrier dans « Le meurtre de Roger Ackroyd », au cas où vous ne l’auriez pas lu…
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Que vous ne compreniez pas le plaisir que peut éprouver le lecteur à découvrir un univers, des personnages, et une intrigue est une chose, mais n’imposez pas votre incompréhension aux autres.
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