On a Red Station, Drifting – Aliette de Bodard

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On a Red Station, Drifting est un court roman d’Aliette de Bodard, s’inscrivant dans l’univers uchronique et futuriste d’inspiration sino-vietnanienne de Xuya développé à travers divers romans et nouvelles par l’auteure. C’est, après la novella The Tea Master and the Detective et la nouvelle Immersion, le troisième texte appartenant à cet univers que je lis. On a Red Station, Drifting ne fait que confirmer l’avis extrêmement positif que j’ai sur cet univers de science-fiction. Il s’agit de space opera dans un cadre très original, charmant, élégant et riche. Il n’est jamais ici question de stations ou de vaisseaux spatiaux aux murs dépouillés, pas de corridor d’aluminium brossé et d’architectures strictement utilitaristes, mais il est question de poésie, de peintures, de décors riches et chargés, de vaisseaux comme de grands dragons décorés lancés à travers l’espace. Je suis totalement conquis par l’univers de l’auteure.

La guerre lancée par les seigneurs rebelles contre les stations et les planètes aux confins de l’empire Dai Viet drainent les habitats familiaux forcés de participer à l’effort de guerre pour défendre l’empire. L’empereur est jeune, inexpérimenté, mal conseillé, il recule et laisse les territoires de l’empire tomber les uns après les autres aux mains ennemies en concentrant ses forces au centre de l’empire. Dans le même temps, des milliers de réfugiés affluent sur les stations encore protégées mais dont les ressources s’amenuisent et permettent difficilement d’absorber ces nouveaux arrivants.

Dans l’univers de Xuja, les intelligences artificielles qui gèrent les stations, comme les vaisseaux mindship, sont d’origine organique, développées et portées jusqu’à la naissance dans l’utérus d’une mère porteuse. Ils sont génétiquement liés à une famille dirigeante. Dotées d’une espérance de vie très largement supérieure à celle des humains, elles s’inscrivent pleinement dans les lignées des ancêtres familiaux. Ainsi, depuis des générations, la petite station de Prosper a été guidée par la bienveillante Pham Lê Thi Mot, appelée Honoured Ancestress, l’ancêtre honorée, qui est l’intelligence artificielle de la station. Elle veille au bon fonctionnement de Prosper, connait tous ses enfants et conseille les dirigeants successifs de la station. Le mari de Quyen dirigeait Prosper avant d’être appelé à la guerre, comme beaucoup d’autres hommes et femmes importants de la famille. Quyen n’a pas reçu d’éducation, elle était le parti faible de son union maritale, selon les codes sociaux de l’empire Dai Viet. Elle comble son manque d’autorité naturelle par une tendance à vouloir tout contrôler au sein de la station. Depuis peu, Honoured Ancestress montre des signes inquiétants de vieillissement qui se traduisent par des absences, quelques dysfonctionnements des systèmes secondaires, des glitch dans les réalités virtuelles.

Lê Thi Linh, elle, a passé les examens impériaux qui lui ont permis de devenir magistrate. (Les examens impériaux sont un système de recrutement des fonctionnaires d’état mis en place dans la Chine médiévale et qui a fonctionné pendant 1300 ans). Linh a ainsi dirigé la vingt troisième planète de l’empire pendant des années, avant de devoir précipitamment la quitter pour avoir critiqué la politique de l’Empereur vis-à-vis du conflit avec les seigneurs rebelles et son manque d’implication dans la guerre. La 23e planète est tombée peu après. Ce crime de lèse-majesté la condamne et, profitant de l’exode des réfugiés, elle arrive sur Prosper espérant bénéficier de l’hospitalité due aux membres même éloignés de la famille.

Honoured Ancestress accorde à Linh cette hospitalité, mais Quyen voit d’un mauvais œil l’arrivée de cette femme qui est son opposée : brillante, éduquée, possédant une autorité qu’elle n’a pas, sûre d’elle et hautaine. La rivalité entre les deux femmes va constituer le cœur du roman. Dans On a Red Station, Drifting , Aliette de Bodard utilise un élément fort de la culture chinoise et vietnamienne qui est le culte des ancêtres. Et, comme il s’agit de science-fiction, ce culte prend une forme très avancée dans l’univers de Xuya puisque les membres importants des familles sont porteurs d’implants contenant la mémoire de leurs ancêtres, qui leur permettent d’interagir avec celle-ci. Linh est ainsi porteuse de la mémoire de cinq ancêtres de la famille. A l’inverse Quyen, malgré son rôle de dirigeante de la station, n’est pas suffisamment importante au sein de la famille et n’est porteuse d’aucun implant mémoriel. Seul Honoured Ancestress lui sert de guide via la contact privilégié qu’elle a avec elle. Un problème n’arrivant jamais seul, un des membres de la famille, le frère de son mari, vend illégalement les implants dont il est porteur. C’est évidemment un drame pour la famille, et Honoured Ancestress demande à Quyen de les retrouver.

L’enquête et la recherche des implants ne constituent pas la trame principale du roman. Le cas sera d’ailleurs assez simplement résolu à la fin du roman. Mais tout l’intérêt repose sur le rôle de ces implants. Ils représentent à la fois la mémoire de la famille, le culte rendu aux ancêtres, mais aussi un pouvoir politique fort et un pouvoir social. Aliette de Bodard va ainsi montrer que cette technologie des implants mémoriel est source d’hégémonie et d’inégalité sociale. Les porteurs des implants et les familles qui en portent possèdent aussi un accès à la connaissance acquise pendant des générations. Cela travestit complètement le principe même des examens impériaux censés permettre à tous d’accéder aux hautes fonctions dans la bureaucratie de l’Empire : dans la réalité, les enfants des familles pauvres n’ayant pas accès à ces implants n’ont aucune chance de pouvoir faire aussi bien aux examens que les enfants des familles riches. Ainsi se reproduisent les élites.

Le scénario du roman reste léger et relativement simple, mais c’est la plongée dans les arcanes familiales et sociales de la société sous l’empire Dai-Viet qui fait le charme du roman. C’est pour moi une très grande réussite. La transposition des structures sociales et politiques, ainsi que des comportements traditionnels de la Chine et du Vietnam du moyen-âge au vingt deuxième siècle, aidée par des technologies très avancées, fournit un cadre très séduisant pour le développement d’un space opera remarquable d’originalité et de splendeurs. Moi je dis bravo.

Pour poursuivre l’exploration de cet univers, je vous conseille la lecture de la chronique d’Apophis sur le roman The citadel of weeping pearls, roman qui sera aussi très certainement chroniqué sur ce blog dans un avenir proche.


Sur Amazon.fr : On a Red Station, Drifting (Xuya Universe) (English Edition)


Livre : On a Red Station, Drifting
Auteur : Aliette de Bodard
Publication : 13 Mai 2013
Langue : anglais
Nombre de pages : 154
Format : ebook et papier


9 réflexions sur “On a Red Station, Drifting – Aliette de Bodard

  1. (merci pour le lien)

    Très bonne critique ! Je suis comme toi, je suis fasciné par cet univers assez unique (dans son inspiration, ses technologies, son ambiance, ses « visuels ») et par l’habileté de l’auteure, aussi bien dans la construction du monde que dans l’émotion mise dans les personnages et les intrigues. Sinon, les implants ont aussi un rôle, même s’il est moins important, dans The citadel of weeping pearls, et le début de ton résumé (« Dans le même temps, des milliers de réfugiés affluent sur les stations encore protégées mais dont les ressources s’amenuisent et permettent difficilement d’absorber ces nouveaux arrivants. ») me rappelle Forteresse des étoiles de C.J. Cherryh.

    Aimé par 1 personne

    1. On lit tellement de space opera, bons ou pas, qui proposent des univers se ressemblant beaucoup les uns les autres, que là j’ai l’impression de revivre mes premières émotions de lecteurs de SF : je découvre un univers, je voyage, je m’émerveille, comme un gosse. La seule critique que je pourrais faire est que les intrigues restent simples, mais ça n’a pas l’air d’être le cas avec Citadelle d’après ta chronique. Je suis donc d’autant plus impatient de le lire.

      Aimé par 1 personne

      1. Voilà, exactement. Un peu comme A soldier of the city de David Moles, mais sur des dizaines de nouvelles et pas une seule (dis, au fait, toi qui contactes les auteurs sur Tweeter, tu ne veux pas faire le siège de Moles pour qu’il nous écrive un roman entier dans le même contexte ?).

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