The Private Life of Elder Things – Adrian Tchaikovsky

Elder

Dans les Montagnes Hallucinées, H.P. Lovecraft prévenait : « Il est absolument indispensable, pour la paix de l’humanité, qu’on ne trouble pas certains recoins obscurs et morts, certaines profondeurs insondées de la Terre, de peur que les monstres endormis ne s’éveillent à une nouvelle vie ». Adrian Tchaikovsky, Adam Gauntlett et Keris McDonald ont cru pouvoir passer outre cet avertissement et, en onze textes réunis dans la collection The Private Life of Elder Things, invoquer ce que nul ne saurait concevoir en dehors de ses rêves les plus terrifiants sans tomber à 0-SAN. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre; quelques uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.

Les textes réunis ici ne s’inscrivent pas dans le mouvement actuel de réécriture des nouvelles de Lovecraft, telles que la Ballade de Black Tom de Victor Lavalle, La quête onirique de Vellit Joe de Kij Johnson ou encore Shoggoths in Bloom d’Elizabeth Bear. On se situe plutôt dans une veine de projection dans le monde moderne des horreurs lovecraftiennes comme dans Agents of Dreamland de Caitlin R. Kiernan, le côté hard-core en moins, ou les Laundry Files de Charles Stross, l’humour en moins.

Comme le nom du recueil l’indique, les trois auteurs ont mis en situation des créatures imaginées par le maître de Providence, ou plus précisément inscrites postérieurement dans le Mythe de Cthulhu par August W. Derleth, dans un cadre contemporain (à l’exception de la toute dernière nouvelle). C’est dans l’ensemble assez réussi, mais je pense que ce livre s’adresse particulièrement aux connaisseurs de l’œuvre de Lovecraft car pour ces derniers le recueil constitue une sorte de jeu de devinettes pour tester ses connaissances. Les créatures ne sont en effet jamais explicitement nommées. Seul l’amateur éclairé saura les reconnaître ainsi que les textes originaux de H.P.L. dont elles sont issues.  Pour les lecteurs ne connaissant pas ou peu les écrits de Lovecraft, il y a nettement moins d’intérêt car tout le talent déployé par les trois auteurs dans ces nouvelles repose sur la mise en relation des créatures invoquées avec le contexte de la nouvelle et donc les raisons « logiques » de leur présence. Toutes les nouvelles sont expliquées en quelques lignes à la fin de l’ouvrage par leurs auteurs. Mais cela perd de son charme, je pense, si on ne connait pas l’histoire propre et la nature de ces créatures. Versant quelque peu dans les arcanes lovecraftiennes, je me suis beaucoup amusé.

Si j’ai mis en avant le nom de Tchaikovsky dans le titre de cet article c’est parce que, en premier lieu, c’est sur son nom que j’ai lu ce recueil, mais aussi parce qu’il est le seul auteur connu et a composé 5 des 11 nouvelles présentes. En outre, chacune de ses nouvelles se distinguent du lot par un parti pris qu’on retrouve dans la plupart de ses romans : elles présentent les monstres sous un jour positif. Ce que les deux autres auteurs ne font pas. Je préviens aussi que Keris McDonald est des trois auteurs de ce recueil la plus hard-core, et qu’il s’agit là de littérature pour adulte consentant. Les trois textes qu’elle signe contiennent des éléments qui pourraient choquer les esprits les plus jeunes ou les plus frileux.

Je fais ci-dessous une courte présentation des nouvelles, en évitant de trop en dire, et notamment sans nommer les créatures qui les habitent.

-Donald d’Adrian Tchaikovsky

La nouvelle qui ouvre le recueil est la plus courte. Un professeur d’ichtyologie raconte son amitié avec un autre chercheur du domaine, un certain Donald Toomey, qui va devenir un activiste virulent de la protection des océans lorsque les gouvernements du monde vont faire planer une menace sur les lois de protection. La menace va rapidement changer de camp. La morale de la nouvelle est que nous devons nous faire à l’idée que nous partageons la planète avec d’autres formes de vie.

– Pitter Patter d’Adam Gauntlett

Trois agents de police mènent une surveillance à distance des activités de trafiquants. Pour cela ils se placent dans un bâtiment désaffecté de l’armée. Le seul habitant du bâtiment est quelque peu étrange et taciturne. La nouvelle présente peu d’intérêt d’autant que son inspiration est trop évidente.

– Special Needs Child de Keris McDonald

Estomacs légers, accrochez-vous car dès le troisième texte, Keris McDOnald nous plonge dans l’horreur morbide. Un couple de sauveteurs récupère un enfant dans les décombres d’une vaste inondation dans le sud des Etats-Unis et décide de l’élever comme le leur. En fin d’ouvrage, l’auteure précise avec malice :

They are so nearly human – mocking caricatures of ourselves – that as long as you can overlook the putrescence, the cannibalism and the necrophilia, they are good company.

Je ne partage évidemment pas cet avis. La seule réaction raisonnable aurait impliqué l’utilisation d’un lance-flamme.  La nouvelle est choquante. Et donc plutôt bonne si on apprécie le genre.

– Irrational Numbers d’Adrian Tchaikovsky

Anne Rigolo est mathématicienne à l’université Hart Gilman College de Providence (tada !). Elle met au point une transformation mathématique extrêmement complexe qui consiste à développer les équations dans d’autres dimensions, puisque celles-ci n’ont aucune limite en mathématiques pures. Dans un premier temps, la méthode semble permettre de résoudre les problèmes les plus complexes. Tout d’abord adulée par la communauté, elle est ensuite rejetée lorsqu’un autre mathématicien montre que les équations résolues n’ont plu aucun sens si on les ramène dans nos dimensions habituelles. Ses découvertes vont toutefois attirer l’attention d’un autre être qui a des serviteurs particuliers. Une nouvelle particulièrement réussie.

– New Build d’Adam Gauntlett

Lors de la restauration d’un ancien bâtiment au cœur de Londres, un ancien pub, est découverte une pièce fermée dont les murs sont entièrement recouverts de plâtre. Cette pièce est dégagée et réhabilitée. Quelque temps plus tard, une série de meurtres va être commise dans le quartier, accompagnée de l’apparition d’étranges graffitis sur les murs. Les créatures invoquées dans cette nouvelle ne sont pas une création de H.P.L. mais de Frank Belknap. Il s’agit aussi de mes créatures préférées dans l’univers étendu du Mythe.

– The Branch Line Repairman d’Adrian Tchaikovsky

Vous vous souvenez de l’accusation portée par Gandalf au sujet des nains dans les mines de la Moria ? Ils ont creusé trop profondément ! C’est aussi ce qui est arrivé dans le métro de Londres. L’historien Patrick Chillet, travaillant sur l’histoire du métro, va découvrir l’inquiétante réalité des travaux effectués sous la station Paddington. Tchaikovsky fait là une utilisation très intéressante d’une des créatures les plus connues du bestiaire lovecraftien, sur fond de message politique et en la présentant de manière pleine d’empathie.

– Devo Nodenti de Keris McDonald

Peggy Anne Connings a un animal de compagnie un peu particulier. Elle est archéologue. 50 ans auparavant, elle a fouillé un temple dédié à Nodens, le dieu celte, le Seigneur du Grand Abîme. Exploitée et abusée par son chef, elle va vouloir se venger. Mais toute vengeance porte à conséquence. La nouvelle embarque énormément de références, mieux trouvées les unes que les autres, comme par exemple l’anneau de Sylvianus qui a inspiré Tolkien, et la malédiction qui lui est associée. C’est une superbe nouvelle. (Et un sacré animal familier qui plairait sans doute beaucoup à Alexis Flamand !)

– Season of Sacrifice and Resurrection d’Adrian Tchaikovsky

L’histoire est celle d’un docteur en paléontologie qui se lie d’amitié avec un technicien de laboratoire d’étrange origine étrangère, Cieven « Kevin » Slovornik. Tous deux travaillent dans un musée de nuit. Kevin a un secret, et le partagera avec le narrateur. Sous son côté un peu « Une nuit au musée » la nouvelle est toutefois bien écrite et engageante. Encore une fois, les monstres n’en sont pas, sous la plume de Tchaikovsky.

– Prospero and Caliban d’Adam Gauntlett

Paulinus Sigurdsun est naufragé en pleine mer des Sargasses, à la recherche d’autres navires échoués dans cette mer couverte d’un épais tapis d’algues. Il découvre un autre rescapé, qu’il nommera mister American, et qui ne parle qu’en citations de Shakespeare. Quand tout à coup, surgit à l’horizon un navire aux voiles noires. Peu d’intérêt.

– Moving Targets d’Adrian Tchaikovsky

Derwent et Nzeogu sont policiers à Edmonton. Ils dirigent la prise d’assaut d’une soirée sauvage dans un entrepôt, à la recherche de dealers de drogues. Leur enquête n’aboutit à rien car aucun des participants n’a de trace de stupéfiant sur lui ni même dans le sang, alors qu’ils sont tous clairement défoncés. La poursuite de l’enquête va toutefois les amener dans un bidonville géré par le gouvernement, à la poursuite d’un homme qui possède un dangereux secret. Tchaikovsky fait appel là à une étrange technologie dévoilée dans un des textes de Lovecraft par un inventeur, qui n’est autre que le grand-oncle d’un des personnages de la nouvelle. Celle-ci est vraiment bonne.

– The Play’s the Thing de Keris McDonald

On finit le recueil avec la nouvelle la plus singulière. Elle se déroule en 1902. Arthur Richmond est envoyé par sa compagnie chez un client qui habite une bien étrange maison, Lithly House, afin d’y retrouver les pièces manquantes. La maison a la particularité de changer de structure en permanence. Sa mission ne va pas être de tout repos. L’atmosphère de cette nouvelle est très réussie, et l’exploration de la maison est assez somptueuse. Arthur Richmond lui-même cache un petit secret. Là encore, c’est un texte qui contient de très nombreuses références à diverses œuvres.

Lire un second avis sur Quoi de neuf sur ma pile.


Livre : The Private Life of Elder Things
Auteurs : Collectif (Adrian Tchaikovsky, Adam Gauntlett et Keris McDonald)
Publication : Septembre 2016
Langue : Anglais
Nombre de pages : 219
Format : ebook et papier


5 réflexions sur “The Private Life of Elder Things – Adrian Tchaikovsky

  1. Il faudra, décidément, que je me penche sérieusement un jour sur ce mouvement des « lovecrafteries » !
    Autant certaines revisites ne me tentent pas trop (réécrire Lovecraft pour y mettre plus de femmes ou de noirs me paraît un exercice intéressant, mais les bonnes intentions ne suffisent pas à éveiller en soi l’envie d’acheter), autant ce petit recueil titille quelque chose en moi.

    Je note, aussi, que tu sembles un peu moins apprécier la plume d’Adam Gauntlett (que je ne connais pas).

    J’ajoute ce recueil à ma liste infinie des choses que je veux acheter.

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  2. Nous en avions déjà discuté, cette antho était dans ma liste d’achats potentiels, mais là elle est remontée dans l’ordre de priorité. J’avoue être très attiré par les nouvelles New Build et surtout Irrational Numbers (par contre, il aurait dû appeler son héroïne Maldacena 😉 ). Merci pour ta critique, je sais ce que je dois lire (et critiquer) dedans et ce que je peux laisser tomber.

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