A Threnody for Hazan – Ray Nayler

Je ne doute pas que vous commenciez à trouver le temps long entre deux chroniques de nouvelles de Ray Nayler sur L’épaule d’Orion, n’est-ce pas ? Voilà un mois très exactement que je n’avais pas parlé de cet auteur. La dernière fois était pour le formidable Eyes of the Forest. Pas d’inquiétude, je suis encore loin d’avoir fait le tour de toutes les nouvelles qu’il a publié ces quelques dernières années.

Le texte dont je vous parle aujourd’hui est A Threnody for Hazan, publié dans le numéro de mars-avril 2018 de la revue américaine Asimov’s Science Fiction. La nouvelle est en accès libre sur le site de l’auteur en suivant ce lien. Le mot anglais threnody se traduit par thrène en français. Il s’agit d’une complainte funèbre, sous forme littéraire, composée à l’occasion de funérailles et ayant pour but de rappeler les événements importants de la vie du défunt. On pourrait donc traduire le titre par Oraison pour Hazan. Le texte s’ouvre sur une citation de Shakespeare, tirée de Macbeth, acte 5 scène 3, dont je vous mets ci-dessous la traduction de François Guizot :

« Ne peux-tu donc soigner un esprit malade, arracher de la mémoire un chagrin enraciné, effacer les soucis gravés dans le cerveau, et, par la vertu de quelque bienfaisant antidote d’oubli, nettoyer le sein encombré de cette matière pernicieuse qui pèse sur le cœur ? »

Une réponse à cette question posée par Macbeth est donnée par Ray Nayler dans A Threnody for Hazan. Dans une interview donnée pour Asimov’s, Ray Nayler parle du processus d’écriture et des diverses inspirations, un mélange de lectures et de faits contemporains, qui l’ont amené à écrire cette histoire. Je vous laisse les découvrir si cela vous sied. A Threnody for Hazan s’intéresse à un trope de la littérature de science fiction qui est le voyage dans le temps, ou plutôt que le voyage, l’exploration du passé.

La nouvelle se déroule sur les rives du Bosphore, dans un lieu imaginaire et futuriste appelé le Protectorat d’Istambul, dont il est fait régulièrement mention dans les écrits de l’auteur, comme dans la nouvelle The Ocean Between the Leaves ou Winter Timeshare, par exemple. Là, se trouve l’Institut dont les financements privés et autres partenariats avec le secteur public permettent le développement d’une recherche de pointe dans des domaines aussi différents que la neurologie ou la notion de temps en mécanique quantique. Ce sont ces deux thématiques qui vont amener à la possibilité d’observer le passé. Chez Ray Nayler, le voyage dans le temps n’existe pas. Il est impossible d’aller vers un avenir qui n’existe pas. Le présent est la pointe de la flèche du temps. Le passé lui-même n’existe que dans une simultanéité globale. Ce qui s’est déroulé, se déroule, là, maintenant. C’est cela qui rend le passé observable. Mais il faut pour cela être en mesure de projeter une conscience à travers la simultanéité, ce qui est rendu possible par la création d’un connectome, d’un tissu artificiel reproduisant le tissu neuronal et sur lequel on peut momentanément charger la conscience d’un individu. Cette voie de recherche est bien sûr très rapidement entourée de garde-fous et d’interdits mais c’est pourtant dans celle-ci que se lance, secrètement, le professeur Hazan.

Scandal surrounds her name. Secretive, calculating, manipulative: Hazan was all these things.

Pour les lecteurs français de la collection Une heure-Lumière chez Le Bélial’, ou tout simplement pour les lecteurs de Ken Liu, il rappellera beaucoup dans ses prémices la novella L’homme qui mit fin à l’histoire, souvent citée comme le meilleur texte publié dans ladite collection. Il y est aussi question d’observation du temps. Ken Liu en tire un récit qui s’intéresse aux conséquences politiques et sociales d’une telle invention et d’une réflexion sur la nature subjective de l’Histoire.

Ce n’est pas l’ambition visée par Ray Nayler qui, dans ce texte intimiste, s’intéresse aux conséquences personnelles d’une observation directe de l’Histoire à travers la personne d’Hazan. Son histoire est racontée par le professeur Baris Burakgazi qui en tant que collègue, ami, complice et amant, a vécu cette histoire aux premières loges et est le plus à même d’en faire le récit. L’histoire d’Hazan à tout de celle d’une descente aux enfers, et dresser un parallèle avec Lady Macbeth est aisé. Pour des raisons familiales, Hazan est obsédée par la part sombre de l’Histoire, celle qui n’est jamais racontée, celle qui s’est vécue dans des ruelles sans issues parcourues par ceux qui n’ont pas survécu. Elle est persuadée que c’est là que se cache une vérité historique à découvrir, une part d’humanité, et se plonge dans la seconde guerre mondiale. Mais qu’il y a-t-il à apprendre des guerres et des morts ?

Maybe I just need a break. Can you take a break from being human?

Ray Nayler s’interroge sur le revers de l’Histoire et le devenir des anonymes qui traversent les conflits armés sous les fourches caudines de l’oubli, sur le sens même du récit et de notre capacité à l’absorber. Là encore, avec A Threnody for Hazan, l’auteur nous livre un texte poignant et intimiste.


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