Eyes of the Forest – Ray Nayler

Continuons, si vous le voulez bien, notre exploration des textes de Ray Nayler. Je vous ai déjà amplement parlé de cet auteur à travers des chroniques de quelques une de ses nouvelles publiées depuis trois ans dans les principaux magazines spécialisés anglosaxons, mais je suis encore loin d’en avoir fait le tour. S’il ne compte pour le moment qu’une petite vingtaine de textes relevant de la SF, ses textes sont régulièrement salués par la critique, reprises dans diverses anthologies, et sélectionnés dans les recommandations de lecture. Encouragé par ces retours positifs, l’auteur montre une productivité qui nous promet de belles lectures à venir. En France, il vient d’être traduit et publié pour la première fois dans la revue Bifrost (n°105) qui a la réputation, non usurpée, d’être particulièrement sélective.

Ray Nayler a récemment rendu accessible sur son site, Eyes of the Forest, une nouvelle publiée initialement dans le numéro de mai/juin 2020 de The Magazine of Fantasy and Science Fiction. Il s’agit de la nouvelle la plus orientée hard-SF que j’ai lue sous sa plume et, sans vouloir faire de classement car j’ai aimé tous les textes que j’ai lus à ce jour, peut-être la plus impressionnante du point de vue de l’émerveillement provoqué à l’évocation d’un monde étranger, du sense of wonder.

Le sujet au cœur d’Eyes of the Forest est la biosémiotique, c’est-à-dire une branche de la biologie qui étudie les processus mécaniques et chimiques qui peuvent être interprétés comme des processus de communication, voire comme un langage, dans le monde animal ou végétal. Le roman Semiosis de Sue Burke publié en 2019 chez Albin Michel Imaginaire aborde aussi la thématique mais avec une facilité scénaristique reposant sur l’intelligence extrêmement développée d’une sorte de bambou qui permet la communication avec de colons humains sur une planète étrangère comme elle se ferait avec n’importe quelle forme d’intelligence extraterrestre. On retrouve le même procédé chez Adrian Tchaïkovsky dans les deux romans Dans la toile du temps et Dans les ruines du temps. L’auteur britannique y imagine la provolution (l’élévation vers l’intelligence) d’espèces animales par manipulation génétique, jusqu’à l’acquisition du langage symbolique.

Rien de tel chez Nayler, qui choisit une voie plus difficile mais aussi plus gratifiante si on s’en sort. Et il s’en sort magistralement. On rapprochera plus justement le texte de Ray Nayler de la nouvelle Plus vaste qu’un empire d’Ursula K. Le Guin dont la thématique centrale est la symbiose entre une planète et les créatures qui y vivent.

Dans Eyes of the Forest, Ray Nayler imagine l’installation d’une colonie humaine sur une planète couverte d’une immense forêt. Les descriptions qui en sont données rappelleront sans doute aux lecteurs la luxuriante Pandora du film Avatar (2009) ou encore la zone X du roman Annihilation de Jeff VanderMeer. Il s’agit d’une jungle exubérante, intensément étrangère, et les images que Nayler en donne sont particulièrement marquantes. C’est un monde extraordinaire que l’auteur livre à notre imagination et l’émerveillement qu’il provoque est garanti.

Mais cette forêt est mortelle pour qui s’y aventure. À ce point que les humains ont été contraints de vivre pendant des générations enterrés dans des grottes aménagées dans le sous-sol de la planète et à n’en sortir que rarement. Si bien, dit Nayler, qu’ils n’ont jamais appris à vivre sur cette planète. Ils n’ont jamais développé la symbiose nécessaire. Seuls quelques individus, formés pour, s’aventurent dans la forêt, protégés par des combinaisons très particulières, et assurent les liens d’échanges entre les différentes communautés humaines. Ce sont les « wayfinders ». C’est une occupation particulièrement dangereuse et beaucoup y perdent la vie. Pourtant, il n’existe pas de prédateurs a proprement parlé sur la planète, et on n’y meurt toujours, et très surement, que par erreur, par incompréhension de son environnement, par incapacité à communiquer avec lui. (Je me demande si l’auteur s’est déjà rendu en Amazonie… car c’est le sentiment que j’ai tiré d’un séjour très formateur.)

La nouvelle s’ouvre sur un drame. Sedef, jeune apprentie, est « attaquée » par un buisson. Sa formatrice, dont le surnom de wayfinder chèrement acquis est « Mauled by mistake » (Mutilée par erreur), a été grièvement blessée en la sauvant. Cela va être au tour de Sedef de sauver la vie de sa protectrice, mais pour cela elle va devoir survivre dans la forêt plus de quelques heures et apprendre à communiquer avec elle. Je n’en dirais pas plus car la découverte de ce qui va se passer constitue le plaisir de cette lecture et le cœur même de la thématique qui tourne autour d’un message unique : « l’important n’est pas comment tu perçois la forêt mais comment elle te perçoit ».

Que ce soit par son traitement finement mené de la biosémiotique, son exploration du monde extraterrestre sur lequel elle se déroule, par la peinture des personnages et de leur lutte pour la survie, par le message qu’elle porte, tout cela en quelques pages et jusqu’à sa dernière phrase, Eyes of the Forest est un joyau, une nouvelle vraiment brillante. Il faut lire Ray Nayler.


Un autre avis : Gromovar,


[English version] Let’s continue, if you wish, our journey through Ray Nayler’s texts. I’ve already told you about this author through reviews of some of his short stories published in the last three years in the main specialized magazines, but I am still far from being done. If he has only some twenty SF texts published so far, his stories are regularly praised by the critics, included in various anthologies, and selected in reading recommendations. Encouraged by such positive returns, the author shows a productivity that promises us interesting in near future. In France, he has just been translated and published for the first time in the magazine Bifrost (n°105) which has the reputation, not usurped, of being particularly selective.

Ray Nayler has recently made available on his site, Eyes of the Forest, a short story originally published in the May/June 2020 issue of The Magazine of Fantasy and Science Fiction. It is the most hard-SF oriented short story I’ve read from him and, without wanting to rank it because I’ve liked all the texts I’ve read so far, perhaps the most impressive in terms of sense of wonder.

The subject at the heart of Eyes of the Forest is biosemiotics, a branch of biology that studies mechanical and chemical processes that can be interpreted as communication processes, even as a language, in the animal or plant world. The novel Semiosis by Sue Burke (2018) also tackles the theme but with a scenaristic facility based on the extremely developed intelligence of a kind of bamboo that allows communication with human colonists on an alien planet as it would with any form of extraterrestrial intelligence. We encounter the same idea in Adrian Tchaikovsky’s two novels Children of Time and Children of Ruins. The British author imagines the uplift (the elevation to intelligence) of animal species by genetic manipulation, until the acquisition of symbolic language.

Nothing like that in Nayler’s work, who chooses a more difficult but also more gratifying pathway if one pulls it off. And he does pull it off masterfully. Ray Nayler’s story can be more favorably compared to the short story Vaster than Empires by Ursula K. Le Guin which central theme is the symbiosis between a planet and the creatures which inhabits it.

In Eyes of the Forest, Ray Nayler imagines the installation of a human colony on a planet covered with an immense forest. The descriptions given will undoubtedly remind readers of the lush Pandora in the Avatar movie (2009) or the X-zone of Jeff VanderMeer’s novel Annihilation. This is an exuberant, intensely alien jungle, and Nayler’s images of it are particularly striking. It is an extraordinary world that the author delivers to our imagination, and the sense of wonder is guaranteed.

But this forest is deadly for those who venture into it. So much so that humans have been forced to live for generations buried in caves built into the planet’s underground and rarely come out. So much so, says Nayler, that they never learned to live on this planet. They never developed the necessary symbiosis. Only a few individuals, trained for, venture into the forest, protected by very particular suits, and make exchanges between the various human communities possible. They are the « wayfinders ». It is a particularly dangerous occupation and many lose their lives. However, there are no predators on the planet, so to speak, and one always dies there, very surely, only by mistake, by misunderstanding of one’s environment, by incapacity to communicate with it (I wonder if the author has already been to the Amazon… because it is the feeling I got from a very formative stay).

The novella opens with a drama. Sedef, a young apprentice, is « attacked » by a bush. Her trainer, whose hard-won wayfinder nickname is « Mauled by mistake », was seriously injured while saving her. Now it’s Sedef’s turn to save her protector’s life, but to do so she has to survive in the forest for more than a few hours and learn to communicate with it. I won’t say more because the discovery of what is going to happen is the pleasure of this reading and the heart of the theme that revolves around a single message: « the important thing is not how you see the forest but how it sees you ».

Whether it is by its finely conducted treatment of biosemiotics, its exploration of the extraterrestrial world on which it takes place, by the painting of the characters and their struggle for survival, by the message it carries, all this in a few pages and up to its very last sentence, Eyes of the Forest is a jewel, a really brilliant short story. It is necessary to read Ray Nayler.


4 réflexions sur “Eyes of the Forest – Ray Nayler

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.