Au bal des absents – Catherine Dufour

Catherine Dufour est un ectoplasme. Ou un fantôme, ou un truc du genre : choisissez le terme qui vous semble le plus approprié pour désigner ce genre d’entité immatérielle que vous invitez à entrer chez vous un soir par mégarde puis qui reparait, infréquemment au début, puis plus souvent. Vous vous en étonnez d’abord. Quand vous pensez la saisir, elle vous traverse sans un regard, ne laissant derrière elle qu’un filet d’air glacé. Mais avant que vous ne vous en rendiez compte, elle est installée, hante votre bibliothèque et les pages de votre blog.

Au bal des absents est le second livre de Catherine Dufour publié à la rentrée avec le recueil de nouvelles L’Arithmétique terrible de la misère. On y retrouve le personnage de Claude, croisée dans la nouvelle L’Immaculée conception (dans L’Accroissement mathématique du plaisir, Le Bélial’, 2008) et la référence, loin d’être anodine, a son importance dans le récit. Qu’on se rassure – quoi qu’il n’y ait rien de rassurant là-dedans – il n’est pas nécessaire d’avoir flippé en lisant la nouvelle pour flipper en lisant le roman. Oui, car avec Au bal des absents Catherine Dufour fait dans le récit horrifique. Il s’agit même là d’un hommage au genre, avec un habile détournement de ses fondamentaux.

Claude a désormais quarante ans. Elle a perdu son dernier emploi pour raisons économiques. La raison économique est comme un spectre qui hante les couloirs du monde social et dévore les gens en ne recrachant à la rue que la peau, les poils et les os. Claude erre au RSA comme une âme en peine dans l’attente de perdre aussi son appartement. Une opportunité soudaine vient lorsqu’un juriste de Philadelphie lui propose d’enquêter sur la disparition d’une famille américaine en Normandie. Claude n’hésite pas. Qu’importe qu’elle ne soit pas enquêtrice, qu’importe que son intérim de quelques mois à la préfecture de police de Bobigny ne concernait que les PV, qu’importe ce que l’employeur a cru lire dans son CV, ce qui importe, là et maintenant, c’est de saisir les 1000 euros offerts avant, et les mille euros promis après. Tous frais payés, Claude loue sur Airbnb « Le Logement de Tante Colline » (il y a un jeu de mot, je vous laisse le trouver) à Montigny-en-Fresnois, dernière villégiature connue de la famille américaine disparue. Sur place, à la page 20 du roman, Claude découvre un manoir hanté.

« C’est gentil, quand même, un enfant à la maison. »

Au bal des absents est un roman futé qui se saisit des topos de la littérature fantastique pour en faire une allégorie sociale. La première réaction, fort raisonnable, de Claude est de fuir. Mais les nuits d’automne sont froides à l’arrière de sa voiture de location posée au milieu de la campagne normande. Claude décide donc de faire de cette maison la métaphore de sa vie. C’est qu’elle commence sérieusement à fatiguer de subir les aléas d’une vie qui semble furieusement vouloir lui nier l’existence. Claude n’a pas l’intention de se laisser enterrer vivante. Elle nomme l’entité qui la hante Colombe Flenche-Rian, du nom de sa conseillère à Pôle emploi, sa bête immonde, sa raison économique. Elle va user des stratégies propres à la recherche d’emploi pour définir des objectifs, des moyens et se former à la chasse aux fantômes. Tout y passe, le binge-watching de films d’horreur, la littérature de genre, les web hallucinés, le sel et l’eau bénite. Elle n’est plus à ça près Claude. Pendant des semaines, des mois, elle va vivre dans sa voiture, subissant le froid et la faim, mais elle va écumer les ressources de la médiathèque du coin, et fomenter sa revanche contre Colombe Flenche-Rian.

La maison hantée, grand thème classique de l’épouvante domestique, symbolise traditionnellement l’aliénation familiale et représente le piège dans lequel la femme se trouve historiquement enfermée. En mettant à profit tous les clichés du genre, Catherine Dufour renverse la lecture classique pour faire de la maison hantée une critique sociale, de l’exorcisme un outil de libération féminine. L’horreur sera cathartique.

Hommage référencé au genre horrifique, Au bal des absents est un roman dufourien jusqu’au bout des griffes. L’autrice s’accapare les lieux communs et les digère, les tourne en ridicule, les dégomme un à un, puis les détourne à son profit pour en tirer un conte social et féministe du XXIe siècle, à tendance énervé et revanchard. Catherine Dufour, parfois, elle fait un peu peur. Un pur plaisir lecture.


D’autres avis : Le Dragon Galactique,  Au Pays des Cave Trolls, Gromovar, Le monde d’Elhyandra, Un Papillon dans la Lune, Les lectures du Maki, Weirdaholic, Yuyine,


  • Titre : Au bal des absents
  • Auteur : Catherine Dufour
  • Publication : 10 septembre 2020, Seuil, coll. « Cadre noir »
  • Nombre de pages : 224
  • Format : papier et numérique

8 réflexions sur “Au bal des absents – Catherine Dufour

  1. Je viens de finir cet OLNI (objet littéraire non identifiable). Moi qui ne lis pas ou si peu de livre d’horreur, je les trouve trop stéréotypés. Mais j’ai lu la nouvelle où l’on fait la connaissance de Claude récemment. Du coup, j’ai fait acheter « le bal des absents » par la bibliothèque du village après lecture des critiques de mes blogueurs favoris ; histoire que pour une fois ils sortent un peu des sentiers habituels. La lecture m’a complètement dérouté avant que je comprenne ou l’autrice s’en allait. Il y a d’abord le démontage des classiques du genre, la déchéance sociale de Claude provoquée par un système inhumain. Il y a certes quelques longueurs et surtout une répétition de certaines actions qui alourdit un peu le texte, mais dont on comprend la nécessité sur la fin. C’est comme un bon bon vin, sur le coup tu le trouves pas mal, mais sans plus, puis ses qualités se développent et tu l’apprécies de plus en plus au point de le mettre dans tes favoris.

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