
Le moment est important dans une rencontre. Prenez, par exemple, une activité comme la lecture. Pour chaque livre – mis à part ceux qui ne mériteront jamais une microseconde de notre attention – il doit exister un moment pour que la rencontre se passe au mieux. À moins d’avoir une approche dépassionnée et purement analytique de la littérature, à ce moment va correspondre un état d’esprit, une humeur, qui permettra un intérêt pour le livre tenu en main, ou pas.
Ainsi, lorsque j’ai lu Un Psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers en septembre dernier, j’étais de bonne humeur. Ça m’arrive. Et pour le coup, j’ai apprécié ce premier opus des Histoires de moine et de robot. Le livre était dédicacé à « ceux qui ont besoin de souffler ». Avais-je besoin de souffler ? Non, pas particulièrement. Mais j’ai apprécié la balade. Becky Chambers nous embarquait ailleurs et dans un autre temps, en direction d’une utopie planétaire, post-industrielle, et éco-responsable, libérée des tracas, apaisée et harmonieuse. Une vision idyllique du futur. Dex, un moine traversant une petite crise existentielle, partait s’isoler en quête de sens et faisait en chemin la rencontre d’Omphale, un robot qui lui cherchait aussi du sens dans son existence. C’était doux, aimable, calme.
Je ne suis pas dans le même état d’esprit aujourd’hui. Plus grognon envers l’univers, l’humanité et moi-même. Il semble que ce n’était pas pour moi le moment de lire le second tome, Une prière pour les cimes timides. Ce nouvel opus ne réserve pourtant, pour ainsi dire, aucune surprise. Il est la suite directe d’Un Psaume. Becky Chambers rejoue la même partition. Cette fois-ci, Dex emmène Omphale à la rencontre de la civilisation à sa demande. L’autrice, à nouveau, nous invite à prendre le temps de nous émerveiller du monde et de chaque petite chose de la vie, à réfléchir à ce qu’est le bonheur, derrière une question toute simple : de quoi avons-nous besoin ? Si Omphale et Dex poursuivent leur quête, autour d’eux tout le monde est beau, tout le monde est gentil, et TOUT VA BIEN. Et moi ça m’énerve.
« J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! » Les chants de Maldoror, comte de Lautréamont, chant premier.
Ça m’énerve parce que je crois dans la fonction cathartique de la littérature, et des arts en général. Si la tragédie antique a le goût du sang, ce n’est pas parce que les grecs étaient tous des psychopathes en puissance, c’est au contraire parce que la civilisation a besoin d’exposer ses démons, de se purger de ses mauvaises passions. Les utopies, comme chez Ursula Le Guin ou chez Ada Palmer, sont crédibles lorsqu’elles se confrontent à leur part d’ombre. C’est là ce qu’il manque à Une prière pour les cimes timides. Certes, je comprends ce que tente de faire Becky Chambers, ou le hopepunk en général : nous amener dans une zone de confort chaleureuse et optimiste, pour faire une pause et soulager nos épaules du poids du monde. À l’occasion, éventuellement, ça fonctionne et on se passe un temps de catharsis. Mais pas tout le temps. Et le souci avec le temps, c’est qu’il est court.
Si vous avez l’envie de vous plonger dans une lecture doudou, vous savez quoi faire. Si comme moi vous aspirez à parcourir des chemins moins évidents et plus escarpés, alors vous saurez aussi quoi faire.
D’autres avis : Ombrebones, Le Nocher des livres,
- Titre : Une prière pour les cimes timides
- Série : Histoires de moine et de robot
- Autrice : Becky Chambers
- Traduction : Marie Surgers
- Publication : 9 mars 2023, L’Atalante
- Nombre de pages : 110
- Support : papier et numérique
Je comprends ton point de vue et je trouve ça super intéressant à lire. D’ailleurs c’est ta chronique qui m’a fait me dire tiens je vais le sortir de ma liseuse pour voir, comme quoi 🤷 et j’ai bien aimé d’ailleurs même si c’est paradoxal parce que je suis très pessimiste envers l’humanité de manière générale. Faut pas chercher ma logique…
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Merci pour ton retour, je trouve que ton point de vue est intéressant et je le comprends totalement ! Quoiqu’il en soit, il faudra que je découvre Becky Chambers par moi-même. Parfois, j’ai besoin de lectures doudous et je pense que, à ce moment-là, ce sera pour moi une belle découverte =)
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