A Rocket for Dimitrios – Ray Nayler

Il y a quelques jours, je vous parlais de la nouvelle The Disintegration Loops de Ray Nayler. Comme je l’annonçais dans ma chronique, celle-ci a une suite, A Rocket for Dimitrios, publiée sous la forme d’une novella dans le magazine Asimov’s science fiction en janvier/février 2021. Les fibres de verre ont dû porter mon cri à travers la grande toile mondiale car l’auteur a depuis mis en accès libre et gratuit sa novella sur son site (ainsi que deux autres textes éligibles pour le prix des lecteurs d’Asimov’s). Vous pouvez ainsi la lire en suivant ce lien.

Ce texte, deux fois plus long que le précédent, nous ramène à l’univers uchronique de Sylvia Aldstatt dans lequel, pour rappel, la chute d’un OVNI dans le désert ouest américain en 1938 (l’année où Orson Welles terrorisait l’Amérique en contant sur les ondes de la CBS La Guerre des mondes de H.G. Wells) a donné accès aux Etats-Unis à une science alien qui a provoqué un brusque bond technologique mis à profit lors de la seconde guerre mondiale. En 1958, Roosevelt siège toujours dans le bureau ovale et aucun pays au monde n’est en mesure de rivaliser avec l’oncle Sam, ce qui n’empêche pas certains alliés ou ennemis d’avoir des idées, quand même.

« The French hesitated for about two days, just to show they weren’t our puppets. Smoked a Gauloise and walked around being moody, I suppose. Then they caved and signed the resolution like they always did. »

 L’histoire se déroule en 1958, quelques mois après The Disintegration Loops. Sylvia Aldstatt et Alvin, son supérieur à l’OSS, sont envoyés sur les rives du Bosphore dans le Protectorat d’Istanbul. Les Turcs, alliés des américains à l’ONU, ont repêché le cadavre d’un mystérieux criminel grec du nom de Dimitrios Makropoulos (en référence au roman A Coffin for Dimitrios d’Eric Ambler). D’après les services turcs, cet homme tentait de vendre au plus offrant la localisation d’un second OVNI qui se serait échoué quelque part en Europe. Si cette découverte venait à tomber entre de mauvaises mains, ou n’importe quelles mains, cela remettrait en cause l’ordre du monde et l’hégémonie américaine. Sylvia va devoir à nouveau faire appel à ses talents de pilote de la LOOP, cette technologie alien qui lui permet d’interroger les morts, pour retrouver l’artefact avant les russes.

Les choses se compliquent donc et prennent de l’ampleur. Le terrain de jeu s’accroit à mesure que les relations internationales s’enveniment. Respectant les règles implicites de l’uchronie, l’auteur fait appel à des personnages historiques dont il réévalue les rôles à la lumière des changements qu’il impose de manière fictionnelle à la société. Notamment, Ray Nayler met au premier plan des personnages féminins. Hedy Lamarr, dont mention était faite dans The Disintegration Loops, et qui intervient cette fois-ci directement dans A Rocket for Dimitrios. Mais aussi, et surtout, Eleanor Roosevelt qui, fidèle aux combats de justice qui animèrent la personne historique, entre ici en scène pour s’opposer à la dérive morale du pays à la tête duquel se trouve son mari.

Avec A Rocket for Dimitrios, Ray Nayler continue de bâtir son monde uchronique et explore les conséquences de son hypothèse de départ, à savoir celle d’un saut technologique brutal dans l’entre-deux guerres. Dans la nouvelle Father, qui utilise les mêmes bases d’histoire fiction et qu’on peut donc rattacher à cet univers, ces conséquences étaient à l’échelle d’une famille et de la relation entre un père et son fils avec l’arrivée dans les maisons américaines d’une technologie très avancée. The Disintegration Loops s’intéressait à l’existence d’une femme, jeune étudiante en psychologie, se trouvant par la force des choses enrôlée au sein de l’OSS pour enquêter post-mortem sur des crimes impliquant la sécurité nationale.  A Rocket for Dimitrios change de cadre et nous plonge dans les remous internationaux que la domination technologique d’un seul pays provoque inévitablement à l’échelle du monde. Comme c’est souvent le cas dans les nouvelles de l’auteur, le récit se déplace vers l’Europe. C’est assez peu courant pour être noté et particulièrement plaisant pour les lecteurs européens de lire de la science-fiction américaine qui ne s’intéresse à ce qui se passe en dehors des frontières des états de l’union.

Tout récit de science-fiction présente deux aspects : l’un est spéculatif, l’autre est une métaphore du présent. Ici, l’uchronie science-fictionnesque sert de loupe grossissante pointée sur les déséquilibres et les dérives observables dans notre monde réel. Là encore, il est important de se souvenir du parcours personnel de l’auteur, qui depuis vingt ans travaille pour la diplomatie américaine en Europe de l’est, pour saisir pleinement la démarche et les inspirations à ses textes. C’est un aspect que j’aime beaucoup chez cet auteur. Son œuvre, en plus de sa dimension profondément humaine, révèle texte après texte un continuel questionnement géopolitique et un positionnement qui la rend unique.

À nouveau, j’insisterai sur le fait que si tous ces textes peuvent se lire de manière indépendante, l’ensemble tisse une toile globale qui rend la lecture des écrits de l’auteur très plaisante. Ray Nayler tisse à nouveau des liens avec le reste de son œuvre. Le Protectorat d’Istanbul est par exemple le lieu d’action de différents textes, dont The Ocean Between the Leaves. Les références croisées abondent. À ce point qu’on se prendrait presque à rêver de la publication d’un recueil mettant tout cela en perspective…


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