La Fabrique des lendemains – Rich Larson

Dans les arts littéraires, la science-fiction est une fabrique de lendemains, avec ce pluriel qui qualifie la diversité présente plus que la quantité à venir. Se pose alors la question « Qui sort du lot ? » à laquelle Ellen Herzfeld et Dominique Martel, anthologistes légendaires de la collection « Quarante-Deux » des éditions Le Bélial’, répondent : Greg Egan hier, Ken Liu aujourd’hui, Rich Larson demain. Il s’agit là plus que d’un jeu de comparaisons, il s’agit de positionner un auteur sur le théâtre des opérations. Rich Larson est jeune et a l’imagination fertile À 28 ans, il a déjà publié près de 200 nouvelles. Il est aussi peu connu chez nous. La publication d’un recueil entier de ses nouvelles, La Fabrique des lendemains, chez Le Bélial’ est un geste de découvreur de la part de l’éditeur toujours à la pointe du genre. De mon côté, écumant régulièrement les magazines spécialisés anglosaxons à la recherche des perles rares, ou simplement curieux des nouvelles tendances, j’ai eu l’occasion de vous parler de Rich Larson à de nombreuses reprises sur ce blog. Je le considère comme l’un des meilleurs nouveaux talents de SF à l’heure actuelle avec Ray Nayler.

Rich Larson écrit principalement de la science-fiction, mais ses horizons sont variés, allant de l’horreur, parfois, au cyberpunk, souvent, sur Terre ou dans les étoiles. Pour constituer le recueil, il a fallu trier, choisir, afin de guider le lecteur à travers le foisonnement de sa production. La composition du sommaire, c’est-à-dire l’agencement des nouvelles, participe au travail de mise en cohérence d’un univers qui, à chaque instance, gagne en ampleur, creuse plus profond le sillon. La traduction ciselée de Pierre-Paul Durastanti participe pleinement à cette mise en cohérence. Elle tisse les liens et déploie la trame.

De fait, les 28 textes présentés forment un ensemble, une vision d’avenir, où les récits se suivent et se répondent, directement pour certains, thématiquement pour d’autres. Ce n’est d’ailleurs pas dans les thématiques abordées que l’on trouvera le plus d’originalité puisque celles-ci ne sont ni plus ni moins que les briques de base qui font la science-fiction d’aujourd’hui : réseaux connectés, technologies invasives, modifications génétiques et biomécaniques jusqu’à l’outrance. L’auteur nous propose un avenir sombre où la chair et le silicium font rarement bon ménage, où, comme chez Greg Egan, on livre sa conscience aux implants, où, comme chez Peter Watts, on se défonce par ennui aux virus mortels. L’originalité et la qualité de l’auteur se trouvent dans la manière. Les écrits de Rich Larson se distinguent par leur point de vue. Les récits sont à hauteur d’homme, et si les personnages évoluent dans des univers complexes, c’est à travers eux que le lecteur y accède. Tout est dans la précision des gestes, dans la qualité de l’observation, dans le récit de l’humain dans sa justesse. Lorsque Rich Larson parle d’un soldat du futur, modifié, immortel, il ne conte pas ses exploits guerriers, mais raconte l’enfant qu’il a été et les souffrances subies, ses traumatismes et sa rédemption. S’il parle de machines ou d’intelligences artificielles, c’est par leurs interrogations face à l’intangible du monde. Le recueil aurait pu s’intituler L’humanité retrouvée. Ces textes possèdent une humanité qui souvent manque en SF. Je ne dirai pas que toutes les nouvelles se valent. Les plus courtes sont souvent les moins intéressantes. Mais il y a dans ce recueil des fulgurances bouleversantes : « Indolore », « De viande, de sel et d’étincelles », « On le rend viral ». Et que dire du magistral « Innombrables lueurs scintillantes » qui convoque le meilleur d’Adrian Tchaikovsky et de Ted Chiang ?

Le talent de Rich Larson est de nous convaincre que ce futur il ne l’a pas imaginé, mais il en a été le témoin, il l’a senti, il l’a vécu. De manière poignante. Lire La Fabrique des lendemains donne le sentiment d’assister à la naissance d’un immense auteur de SF en devenir.

[Une première version de cet article a été initialement publiée dans le numéro 101 de la revue Bifrost en janvier 2021.]


D’autres avis : Apophis, Gromovar, Le Chroniqueur, Soleil Vert, Nevertwhere, Yossarian, Un dernier livre, Ombrebones, Feygirl,


  • Titre : La Fabrique des lendemains
  • Auteur : Rich Larson
  • Publication : octobre 2020, Le Bélial’, coll. « Quarante-deux »
  • Traduction : Pierre-Paul Durastanti
  • Nombre de pages : 512
  • Format : papier et numérique

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