
Sidérations est le dernier roman en date de l’écrivain américain Richard Powers, publié en septembre 2021 chez Actes Sud dans un tirage à 50 000 exemplaires, hein, quand même. Il est présenté comme une suite au roman L’arbre-monde (éditions du Cherche-midi 2018, prix Pulitzer 2019). Les deux ouvrages peuvent toutefois se lire indépendamment – n’ayant pas lu L’Arbre-monde, c’est ce que j’ai fait – car, si je m’en tiens au résumé détaillé de ce dernier, leur seul lien réside dans les thématiques écologistes abordées. On n’y retrouve ni personnage, ni récit commun. Sidérations est un roman de science-fiction, indéniablement, sous quelque angle qu’on le considère. Mais il montre aussi les caractéristiques habituelles et les limites des romans de littérature blanche lorsque ceux-ci s’emparent des thématiques de la science-fiction, à savoir un traitement que je qualifierai de superficiel de celles-ci.
Nous sommes ici et demain. Ce futur proche est celui auquel, on l’imagine aisément avec l’auteur, l’Amérique de Trump n’aurait échappé si ce dernier avait été réélu. Les noms ont été changés, mais la figure du président tweetant ses humeurs climato-septiques, son populisme raciste, et ses allergies à la presse et aux institutions démocratiques, ne fait pas illusion. Cet avenir immédiat s’est irrémédiablement engagé dans la voie de la dystopie. Le narrateur est Theo Byrne. Il est astrobiologiste à l’Université de Maddison, Wisconsin, et modélise des mondes possibles, des planètes viables ou non, des modèles climatiques. Sa femme Alyssa, activiste de la cause animale, est décédée, quelques années auparavant, dans un accident de voiture. Theo s’occupe seul de leur fils de neuf ans, Robin, qui présente des troubles du comportement. Sa vie sociale à l’école est perturbée par ses crises débouchant parfois sur des réactions violentes envers les autres enfants, lorsqu’il est frustré ou émotionnellement agressé. Robin est neuro-divergeant, quelque part sur le spectre autistique, mais de par son jeune âge aucun diagnostic n’a encore été clairement établi. Ses centres d’intérêts sont entièrement tournés vers la nature à l’état sauvage, est c’est loin des villes, dans les forêts des Smoky Mountains, qu’il trouve refuge et réconfort quand son père Theo l’y emmène pendant les vacances scolaires.
« Elles ont beaucoup en commun, l’astronomie et l’enfance. Toutes deux sont des odyssées à travers des immensités. Toutes deux en quête de faits hors de portée. »
Theo refuse les traitements chimiques qu’on lui propose mais les crises de Robin devenant de plus en plus difficiles à gérer, il va accepter la proposition d’un traitement expérimental. Le neurofeedback décodé repose sur un concept relativement simple à comprendre. À travers des exercices prenant la forme de jeux, il s’agit pour le patient d’aller chercher des images, des souvenirs, pour adapter son ressenti émotionnel et l’aligner avec une cartographie définie (la roue des émotions de Robert Plutchik) sur la base de moyennes préétablies sur des sujets tests. La méthode est un franc succès avec Robin qui apprend à gérer ses émotions et lentement devient un autre enfant. Mais la véritable transformation va s’opérer à partir du moment où il va travailler avec les émotions tirées de la cartographie neuronale de sa mère disparue, elle-même l’un des premiers sujets tests. Le succès toutefois s’accompagne aussi de frustration pour Robin qui de moins en moins comprends que les hommes ne se préoccupent pas comme ils le devraient des atteintes irrémédiables à la nature causées par le réchauffement climatique et la pollution.
Sidérations est une réécriture moderne et militante (du point de vue des thématiques politiques) de Des Fleurs pour Algernon (1966) de Daniel Keyes. L’auteur y fait amplement référence. Il ne s’agit pas ici d’augmenter artificiellement l’intelligence de Robin, elle est déjà élevée, mais de l’aider à mieux maîtriser ses émotions. C’est aussi une ode à la science-fiction, et Theo cite de nombreux romans de SF que sa bibliothèque personnelle (plus de 2000 volumes dit-il) contient. Le récit est entrecoupé de chapitres, très réussis, dans lesquels Theo emmène Robin visiter des planètes théoriques et lointaines sur lesquelles d’autres formes de vie se seraient développées. L’auteur cite Créateur d’étoiles d’Olaf Stapledon. Dans ce (presque) huis-clos entre un père et son fils, Richard Powers livre un roman sensible et émotionnellement marquant, à travers de très belles pages sur l’émerveillement, et le sense of wonder que l’on peut éprouver face à la nature et à l’univers tout entier.
Mon sentiment toutefois est qu’en s’enfermant dans ce (presque) huis-clos, le roman reste très superficiel sur les autres thématiques qui souhaite aborder, comme l’écologie ou la dystopie politique qui se met en place. Ces aspects sont survolés, de manière manichéenne et parfois caricaturale. S’il y a là plus de sentiments que dans The Ministry for the Future de Kim Stanley Robinson, par exemple, il y a ainsi moins, infiniment moins, de développement des idées. C’est souvent le cas lorsque la littérature blanche s’empare des thématiques de la science-fiction. Ce que l’on gagne en émotion, on le perd en créativité. De la même manière, la technologie invoquée du neurofeedback décodé est calibrée pour ne pas effrayer le lecteur peu accoutumé, et l’on reste loin, très loin des explorations de Greg Egan dans le même domaine. Alors bien sûr, oui, le projet est ici différent, mais le lecteur de SF un peu débourré ne manquera pas de le noter.
Ainsi du point de vue des concepts, des idées, en s’appuyant sur un classique de la SF des années 60 – et quand bien même il s’ouvre à des thématiques plus contemporaines – Sidérations n’est pas franchement novateur dans le domaine de la science-fiction. Il reste un beau roman, porté par l’émotion dans cette relation entre un père et son fils, un émerveillement face à l’univers, un désespoir face à l’homme.
- Titre : Sidérations
- Auteur : Richard Powers
- Publication : 22 septembre 2021 chez Actes Sud
- Traduction : Serge Chauvin
- Nombre de pages : 400
- Format : papier et numérique
Miltant, avec un poil de manichéisme et un soupçon de caricature ? je vais passer mon chemin. D’ailleurs j’ai encore tant à lire.
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C’est un peu tout le problème de ce livre qui se veut militant écolo mais ne fait qu’effleurer le sujet en mode « c’est pas bien ce qu’on fait ».
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Je note les réserves mais je le lirai quand même comme c’était prévu. 😉
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Malgré mes réserves sur certains aspects et notamment en comparaison avec des romans, disons, spécialisés, Sidérations est un bon roman qui mérite d’être lu pour ce qu’il est.
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Que veut dire « littérature blanche » ? Ce serait un peu comme les blancs ne savent pas danser ? Si c’est cela, ce livre doit vraiment être neuneu. Vous pourriez m’en dire plus svp ?
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On appelle littérature blanche par défaut la littérature que ne relève pas de la littérature de genre (SF, polar,..)
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Je suis assez d’accord sur l’avis. C’est très léger coté SF, écologie et social. C’est surtout axé sur la relation père/fils et de ce coté là c’est très cliché et pathos.
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Arf dommage. Le précédent était vraiment bon cela dit.
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