
Il y a des romans qui rencontrent leur kairos accidentellement, parce qu’ils entrent en collision frontale avec l’actualité. Ce moment leur offre une soudaine mise en profondeur qu’ils n’auraient pas forcément trouvée l’instant d’avant. La crise mondiale que nous vivons actuellement en raison d’une pandémie virale – confinant la population en intérieur, interdisant les regroupements et les contacts avec l’autre, fermant les cinémas et les salles de concert, ne laissant comme fenêtre ouverte sur le monde que nos écrans, et forçant les artistes à se produire dans des salles vides pour retransmettre leur concert sur Facebook – crée ce moment pour le roman A Song for a New Day de l’Américaine Sarah Pinsker.
En Juin 2015, la revue Asimov’s a publié la nouvelle Our Lady of the Open Road de Sarah Pinsker. Vous pouvez lire ce texte (en anglais) en ligne sur le site de l’autrice en suivant ce lien. Il raconte les déboires de la chanteuse Luce qui s’évertue à parcourir les routes dans son van pourri pour trainer son groupe de rock de gig en gig à une époque où les performances Live sont remplacées par des shows virtuels grâce à une technologie de projection holographique qui permet de « vivre » une expérience complète depuis son canapé. La nouvelle a obtenu le prestigieux prix Nebula. Sarah Pinsker a décidé de revenir sur cette idée et d’étoffer son histoire dans son premier roman A Song for a New Day, sorti chez Berkley le 10 septembre 2019.
Le futur est proche, demain par exemple, et nous sommes aux États-Unis. Luce Cannon est une chanteuse de rock qui profite d’un certain succès. Tout le monde a déjà entendu au moins une fois son tube Diamond and Blood. Alors qu’elle est en tournée avec son groupe, une série d’attaques terroristes fait des centaines de victimes. Par mesure de sécurité, le gouvernement demande aux lieux publics de fermer à travers tout le pays. Il y a là comme une réminiscence de ce qui est arrivé en France lors des attentats du 13 Novembre 2015. Luce et son groupe décident toutefois de jouer le concert programmé le soir pour ceux qui ont bravé la peur et se sont tout de même déplacés. Ce sera le dernier concert live joué officiellement car, quelques mois après les attentats, alors que l’activité culturelle et musicale s’apprête à reprendre, le monde entier est touché par une épidémie qui met la population sous confinement total. Vous l’aurez compris, c’est là qu’avec seulement quelques mois d’avance le roman de Sarah Pinsker se fait prophétique.
Dix ans plus tard, les lois exceptionnelles, et provisoires, sur le confinement sont toujours en place. Les rassemblements publics sont interdits et la plupart des gens travaillent depuis chez eux. C’est le cas de Rosemary qui vit dans la ferme de ses parents et travaille pour le service qualité de Superwally, une compagnie de commerce qui vous livre par drone en une heure et fournit nombre de prestations à d’autres compagnies, comme la mise à disposition d’environnements virtuels. La connexion à ces environnements se fait grâce à une capuche (hoodie) qui permet une immersion totale. La grande majorité des gens est désormais connectée et les interactions physiques entre personne évitées et mal vues. Les restaurants sont équipés de cabines individuelles qui permettent de s’isoler, ainsi que les trains ou les bus. La peur gouverne. Rosemary n’a pas connu le monde de Luce, celui du « être ensemble » car elle était encore trop jeune lorsque l’épidémie a frappé. Parmi ses clients, elle a la compagnie StageHoloLive qui fournit à ses abonnés l’accès à des concerts virtuels à un moment où les concerts publics sont tout bonnement interdits par la loi. Suite à un service rendu, StageHoloLive permet à Rosemary d’assister à son premier concert virtuel. Impressionnée par l’expérience, elle décide de postuler chez la compagnie qui lui propose de devenir recruteuse de talents.
Musiciens, vous existez si vous êtes signés par StageHoloLive. Sinon, vous croupissez dans le réseau underground à jouer devant 20 personnes avec le risque permanent d’être arrêté. C’est là que nous retrouvons Luce qui désormais exerce de manière illégale en faisant tourner dans le sous-sol de sa maison un club où elle accueille quelques groupes locaux tout en s’y produisant elle-même. C’est là aussi que le chemin de Rosemary va croiser celui de Luce, pour le meilleur ou pour le pire.
“Fear is a virus. Music is a virus and a vaccine and a cure.”
Sarah Pinsker est elle-même musicienne, chanteuse et guitariste dans le groupe Stalking Horses avec plusieurs albums publiés. Elle sait de quoi elle parle et j’ai trouvé la peinture qu’elle fait du milieu underground de la musique, avec un côté punk assumé, très réaliste et convaincant. C’est un aspect du livre qui personnellement me parle, car j’ai fréquenté ce milieu. La rencontre entre Luce et Rosemary est la collision entre deux univers qui ne peuvent pas se comprendre. Rosemary n’a jamais vécu autrement qu’isolée dans sa chambre et les espaces virtuels, et fait des crises de panique dès qu’elle se retrouve au milieu d’un groupe de personnes. Pour Luce, la musique n’existe pas sans la pleine physicalité de la rencontre entre l’artiste et son public. Vous le devenez, cela ne va pas bien se passer entre les deux femmes.
A Song for a New Day aurait pu rester cela, un roman d’anticipation, un peu punk et féministe, prêchant sur les conséquences sociales de la technologie qui nous isole toujours un peu plus et nous coupe du vécu organique de l’existence humaine. Et c’est déjà bien. Mais, comme je le disais en introduction, sa rencontre avec l’actualité qui est la nôtre en fait beaucoup plus. En évitant d’être un roman de SF stupidement post-apocalyptique comme on va sans doute en bouffer par brouettes entières dans les mois et années à venir, mais en approchant le sujet par la bande, par le prisme de la musique, incidemment le roman de Sarah Pinsker se fait très pertinent sur notre avenir proche. J’ignore ce que j’en aurais pensé si je l’avais lu il y a quelques semaines ou lors de sa sortie. Je l’aurais sans doute trouvé sympathique. Lu aujourd’hui, confiné, je le trouve percutant et profond. C’est un roman pour l’après, quand nous serons sortis de la crise du coronavirus, lorsqu’il nous faudra penser à la société dans laquelle on va vouloir vivre.
A Song for a New Day a remporté le prix Nebula dans la catégorie meilleur roman.
D’autres avis : Gromovar,
Titre : A Song for a New Day
Auteur : Sarah Pinsker
Editeur : Berkley (10 septembre 2019)
Langue : Anglais
Nombre de pages : 384 pages
Langue : Anglais
Ok, c’est assez SUR-réaliste comme histoire. Dans un autre contexte, je foncerais, mais je vais attendre un peu, que le confinement cessse par exemple, ou une envie subite de lire un roman sur la situation vécue (généralement, je veux vivre autre chose que ma vie, lol).
J’aimeAimé par 1 personne
Je t’avouerai que j’étais un peu mal à l’aise au début de ma lecture. Puis, c’est ce mal à l’aise qui a fait que le roman a fonctionné pour moi. Je pense que si on ne la vivait pas, cette histoire de confinement paraitrait assez artificielle dans le roman. Sauf que…
J’aimeAimé par 1 personne