Twelve Tomorrows – Collectif

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Ce matin j’ai avancé ma montre d’une demi-heure pour voir ce qu’il se passait dans le futur et ma cafetière m’a demandé mon numéro de carte de crédit.

Si vous êtes déjà passé sur ce blog, même sur un malentendu, il ne vous a pas échappé que je considère hautement l’art de la nouvelle dans la littérature de science-fiction. Le magazine dédié aux nouvelles technologies du célèbre Massachusetts Institute of Technology, le MIT Technology Review, a lancé en 2011 la série des Twelve Tomorrows qui propose le temps de quelques textes courts d’explorer les implications des nouvelles technologies sous la plume d’auteurs de science fiction. Ces textes sont donc fermement ancrés dans les connaissances scientifiques contemporaines et contemplent un avenir proche. Ce principe est plus ou moins bien respecté par les contributeurs.

À la suite des numéros de 2011, 2013, 2014 et 2016, la livraison de 2018 est donc le cinquième volume de cette série. Il a été édité par le journaliste scientifique Wade Roush et onze auteurs y ont contribué : Elizabeth Bear, SL Huang, Clifford V. Johnson, J. M. Ledgard, Liu Cixin, Ken Liu, Paul McAuley, Nnedi Okorafor, Malka Older, Sarah Pinsker, et Alastair Reynolds. Comme dans toute anthologie, certains textes sont bons et d’autres de moindre intérêt. Revue de détail :

The woman who destroyed us – SL Huang

La nouvelle qui ouvre le recueil s’intéresse au thème du transhumanisme sous une perspective psychologique proche des écrits de Greg Egan sur le sujet, à ce point que j’aurais pu croire la nouvelle écrite par ce dernier.

Le Dr Laura Chen est devenue une icône en poussant la recherche sur les implants cerébraux plus loin que tout autre spécialiste du sujet. La Deep Brain Surgery (DBS) est une technique qui consiste à implanter dans le cerveau une interface programmable qui permet de délivrer dans certaines zones cibles de courtes impulsions électriques pour répondre à ce que l’implant interprète comme des signaux anormaux. Ces implants sont utilisés pour corriger certaines affections handicapantes de la personnalité, comme les troubles du déficit de l’attention, la bipolarité, etc. Laura Chen a elle-même subi une DBS à l’époque où la technique était encore peu développée. Depuis, elle a étudié le domaine et en est devenue spécialiste. Brisant les cadres éthiques alors en vigueur, elle s’est faite implanter de nouvelles électrodes pour pouvoir agir à loisir sur différentes parties de son cerveau et reprogrammer de manière complexe son implant, manipulant sa personnalité.

Maggie a un fils Henry qui a subi une BDS. Elle estime que sa personnalité a été changée, qu’il n’est plus son fils mais un autre, possédant son visage. Des années plus tard, il travaille comme chercheur assistant pour le docteur Chen. Elle-même ancienne ingénieure en électronique, Maggie projette de s’en prendre au Dr Laura Chen et de désactiver son implant pour montrer au monde que ces implants changent plus profondément les gens que les discours officiels ne veulent bien le reconnaître. Pour cela, elle approchera la femme du docteur Chen.

La nouvelle est intelligente et, tout comme les écrits d’Egan, n’est en rien un manifeste antiscience mais une réflexion sur le potentiel positif et négatif de ce type de nouvelles technologies. La fin montre que la technologie n’est que l’outil et non l’objet.

Okay, Glory – Elizabeth Bear

Elizabeth Bear  a choisit la voie humoristique pour s’intéresser aux maisons connectées. Brian est un milliardaire un peu excentrique qui a fait fortune dans les nouvelles technologies. Aimant plus que tout son intimité, il s’est fait construire une maison expérimentale, isolée dans les montagnes au centre des Etats-Unis. Sa demeure est une sorte de forteresse pouvant résister à un certain niveau d’agression, chimique ou cinétique, et qui est entièrement gérée par une IA faible, Glory, somme toute pas plus maligne que celles que proposent Google ou Amazon. Tous les appareils, de la cafetière à la télévision, en passant par la porte du garage, les lumières et le frigo, sont connectés. Mais voilà qu’un beau matin des hackers prennent le contrôle de la maison et offrent de ne lui rendre sa liberté qu’en échange de 150 millions de dollars. Glory, devenue légèrement parano et persuadée d’un danger extérieur, a décidé d’assurer la sécurité de son occupant en l’enfermant, pour son bien. La forteresse s’est transformée en prison sans possibilité de contacts extérieurs. La nouvelle est présentée comme un journal qui va égrainer les jours pendant près de 2 mois avant que Brian ne trouve le moyen de se sortir de là. C’est sympathique, et amusant.

Byzantine Empathy – Ken Liu

A l’inverse, le troisième texte du recueil n’a rien de drôle. C’est du Ken Liu et avec lui on rigole rarement. Sonia et Jianwen furent amies et coturnes dans une université américaine de la Ivy League. Toutes deux ont des idées bien arrêtées et divergentes sur l’aide humanitaire. Sonia se veut rationnelle dans son approche et travaillera des années après leur rencontre pour l’ONG américaine Réfugiés Sans Frontières. Jianwen est plus idéaliste et foncièrement anti-institutions. Elle va développer une plateforme anonymisée de financement coopératif sur laquelle les donneurs peuvent choisir quelle cause soutenir en utilisant des crypto-monnaies. Que cela soit pour envoyer un médecin en zone de guerre ou y envoyer des armes. Le chemin des deux femmes va à nouveau se croiser à l’occasion d’un conflit armé aux frontières du Myanmar et de la Chine. L’utilisation de la réalité virtuelle va changer la donne en permettant aux utilisateurs du monde entier de « vivre » les drames humanitaires, de voir la cruelle réalité des conflits, empêchant ainsi une rationalisation de l’empathie. Dans le ton, ce texte évoque la novella L’Homme qui mit fin à l’histoire du même auteur. Comme toujours, Ken Liu évite le manichéisme et fournit des arguments aux deux parties. Le texte s’organise en une succession de chapitres qui alternent la voix des deux femmes. Le texte devient alors une réflexion sur l’humanitaire, l’impérialisme, l’utilisation des images et la propagande. Les deux dernières lignes anéantissent tout espoir.

Chine Life – Paul McAuley

Paul McAuley propose une histoire se déroulant dans un futur lointain et dystopique dans lequel l’humanité se bat pour survivre sur une planète dévastée par un réchauffement climatique global et contre des ennemis dont on saisit mal ce qu’ils sont. L’auteur fournit très peu d’information et on peine à saisir de quoi il s’agit. Le worldbuilding est abominable et le texte incompréhensible en l’état. Mais surtout, je ne vois pas ce que cette nouvelle vient faire dans ce recueil car il n’est jamais question de technologie existante ou de technologie tout court. Un texte médiocre qui s’avère être une n-ième expérience décevante avec cet auteur.

Fields of Gold – Liu Cixin

Liu fait du Cixin. Si vous avez lu la trilogie Remembrance of Earth’s Past  de l’auteur, vous savez dans quel genre d’histoires tordues et sombres vous allez entrer.

Alfred Miller a fait fortune dans l’industrie pharmaceutique. Après 50 ans de travaux, il a mis au point une drogue, appelée Winter, permettant de ralentir le métabolisme du corps humain et de le plonger dans un état d’hibernation profond. Miller refuse de mettre sa découverte à la disposition du grand public, la réservant à l’exploration spatiale, pour permettre aux équipages de survivre à de longs voyages. Les programmes spatiaux n’ont jusqu’ici permis que d’aller sur la Lune, et l’invention de Miller n’a aucune utilité dans l’état actuel des choses. Miller consacre le reste de sa fortune à développer un programme visant Mars mais doit rapidement se résoudre à ne viser que l’orbite lunaire et un retour sur Terre. Il meurt dans un accident de voiture avant de pouvoir tester sa fusée,  Fields of Gold.  À peine dix heures après l’annonce de sa mort, la fusée décolle avec à son bord sa fille Alice. Suite à un problème technique dans l’allumage des moteurs, elle rate l’orbite lunaire et part sans espoir de retour vers les confins du système solaire. Elle a une réserve de Winter qui peut lui permettre de tenir 20 ans, en dormant par intermittence, afin d’attendre une éventuelle mission de secours. Son aventure est retransmise en directe sur le net, via la réalité virtuelle qui permet à tous de se croire à l’intérieur du Fields of Gold qui dérive à travers le système. Mike, comme des millions de personnes à travers le monde va ainsi suivre pendant 20 ans Alice. La fin est inattendue, fidèle aux écrits de l’auteur. Un très bon texte.

Resolution – Clifford V. Johnson

Resolution est une nouvelle graphique. Nous sommes au milieu du XXIe siècle et 8 ans auparavant l’intelligence artificielle a été découverte. Avec son aide l’humanité est sur le point de créer une société utopique parfaite. Jusqu’au jour où Beth reçoit un message urgent d’un ancien collaborateur de l’équipe avec laquelle elle a pu inventer l’IA. La nouvelle présente un intérêt très limité, et est remarquablement mal dessinée.

Escape from Caring Seasons – Sarah Pinsker

Zora et Anya se sont installées dans un des cottages du Caring Seasons, une communauté pour personnes âgées optimisée pour offrir à ses clients le meilleur accompagnement possible : chaque personne est équipée d’une puce qui suit en temps réel ses données physiologiques, chaque cottage est munie d’une IA (faible) qui aide, conseille, et suit l’activité de ses habitants, et la communauté est sécurisée, entre des murs, des caméras surveillant chaque recoin. Au centre du village, un hôpital dernier cri accueille ses patients. Un algorithme évalue les états de santé et décide des meilleurs soins disponibles. Après un mois d’hospitalisation, l’algorithme décide qu’il n’est pas encore temps de laisser Anya sortir, en dépit des requêtes de Zora. Voulant contacter son avocat, ou sa fille, elle découvrira que l’IA de la maison bloque ses appels, pour la préserver de toutes sources de stress. Zora va alors décider de fuir Caring Seasons. Aucune des nouvelles que j’ai lues à ce jour de Sarah Pinsker ne m’a laisser un souvenir marquant. Il est de même avec celle-ci. Le plus gros reproche que je lui ferai est qu’il ne s’agit que d’un début d’histoire. La nouvelle s’arrête brutalement, sans résolution. Dispensable donc.

The Heart of the Matter – Nnedi Okorafor

Nnedi Okorafor s’intéresse dans cette nouvelle à l’impression d’organes. Le docteur Eze est américano-nigérianne. Elle a été formée aux Etat-Unis pour devenir l’une des spécialistes mondiales de la transplantation cardiaque. A l’invitation du président nigérian Funmi nouvellement élu, elle est devenue le chef de son staff médical personnel. Et elle s’apprête à lui transplanter un cœur imprimé, artificiellement développé en Chine à partir de cellules de son cœur originel dans une matrice de cellules végétales.  Dans un pays encore soumis aux croyances et à la peur des sciences, beaucoup estiment que c’est de la sorcellerie, que le président ne sera plus le même, que son cœur battra pour la Chine et non plus son pays. De plus, depuis 2 ans qu’il est au pouvoir, le président Funmi s’est fait de nombreux ennemis en combattant la corruption au Nigeria.  Le jour de la transplantation sera l’occasion d’une tentative de coup d’état pour éliminer le président affaibli. Sur une idée de départ intéressante, le conflit entre science et croyance, Nnedi Okorafor produit malheureusement un texte assez faible. Le coup d’état dans son déroulement est le plus ridicule coup d’état de toute l’histoire des coups d’état. Pourtant ce ne sont pas les exemples qui manquent et qui auraient pu inspirer un récit un poil plus crédible.

Different seas – Alastair Reynolds

Dans Different Seas, Alastair Reynolds imagine le futur de l’assistance téléphonique… longue distance. Lilith a accepté de faire le convoyage du Dolores de Valparaiso à Quito. Le Dolores est un clipper (un trois mâts de gros tonnage utilisé pour le transport de marchandise) entièrement automatisé. Une tempête solaire va mettre en rade (pun intended) non seulement les systèmes de contrôle électroniques du navire, mais aussi la plupart des systèmes en orbite, les systèmes de communication, de navigation, les réseaux de distribution de courant électrique, et quelques engins spatiaux. Ce n’est pas la fin du monde, mais un ou deux jours un peu chaotiques. Global Workspace propose à Lilith une assistance sous la forme d’un robot humanoïde téléguidé à distance par un opérateur lointain. Cet opérateur, c’est Kyleen. Les rapports entre les deux femmes sont au départ assez froids. Mais une fois les réparations sur le bateau faites, Lilith va en apprendre un peu plus sur qui est Kyleen et où elle se trouve. J’aime bien l’idée, et la révélation finale. Mais je trouve la nouvelle déséquilibrée par l’immensité sidérale du gouffre qui existe entre la situation de Lilith à bord du Dolores et la réalité des choses pour Kyleen. L’histoire aurait été plus convaincante sans cet abîme. Mais enfin, la prochaine fois que vous avez au téléphone un service client, posez-vous quand même la question de savoir où votre assistant se trouve et ce qu’il vit. Cela peut relativiser vos soucis.

Disaster Tourism – Malka Older

Lorsqu’un tremblement de Terre de forte magnitude frappe le New Hampshire, Zelda entre en action. Zelda est pilote de drones pour une compagnie basée à Tokyo et spécialisée dans la reconnaissance de zones touchées par des catastrophes. Elle et ses collègues fournissent les premières images du désastre et tente de localiser d’éventuels survivants. Les drones survolant la région tombent rapidement les uns après les autres. Quelque chose les détruit. On apprend alors qu’un laboratoire de recherche sur de nouveaux types de virus hautement adaptables se trouvait au centre de la zone affectée par le tremblement de terre. Des « agents » ont été libérés et personne ne sait comment ils s’adaptent, ni quel danger ils représentent. Au cours d’un vol Zelda pense avoir aperçu un survivant. Si le fond est un classique de SF catastrophe, le point de vue éloigné porté par Zelda est intéressant et fournit au texte une base de réflexion. Toutefois, comme dans le cas du texte de Sarah Pinsker, il s’agit plus d’un début d’histoire que d’une nouvelle pleinement satisfaisante. La fin est abrupte et frustrante, donc.

Vespers – J.M. Ledgard

Quintinus est une machine construite par l’homme, une intelligence. La cinquième à avoir été envoyée hors du système solaire en 2168 vers l’étoile Trappist-1 (cette naine ultra-froide a été découverte en 2015 et se situe à 39 années lumière de la Terre). Cela fait 28808 ans qu’elle est partie et il lui reste encore 70690 années de voyage. Cela fait aussi 28716 ans qu’elle a perdu contact avec la Terre. Sans ce contact, Quintinus s’est donné une personnalité et, inspirée par les mythes antiques qu’elle transporte dans sa mémoire, philosophe sur sa solitude et sa propre nature. C’est plutôt pas mal, mais cela ne mène nulle part. Sans doute parce que ce texte est extrait d’un roman à paraître.

Au final, seuls quatre textes sortent du lot : ceux de SL Huang, Elizabeth Bear, Ken Liu et Liu Cixin. En ce qui me concerne, le bilan est un peu léger pour un recueil de onze textes. Je ne regrette toutefois pas de l’avoir lu et vais me pencher sur les numéros précédents.


Disponible sur Amazon.fr : Twelve Tomorrows


Titre : Twelve Tomorrows
Série : Twelve tomorrows (5)
auteurs : Collectif (Elizabeth Bear, SL Huang, Clifford V. Johnson, J. M. Ledgard, Liu Cixin, Ken Liu, Paul McAuley, Nnedi Okorafor, Malka Older, Sarah Pinsker, et Alastair Reynolds.)
Editeur : Wade Roush pour MIT Techonology Review
Publication : 25 Mai 2018
Langue : anglais
Nombre de pages : 276
Format : ebook et papier


5 réflexions sur “Twelve Tomorrows – Collectif

  1. Cette anthologie me tentait énormément au moment de sa sortie, mais elle n’étais pas (encore) disponible en ebook. J’ai cru alors que le livre n’était qu’en format papier. Donc en plus de ta chronique intéressante je vais pouvoir le faire entrer dans ma PAL.

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