
Troisième et ultime volet de la trilogie Molly Southbourne, L’Héritage de Molly Southbourne a été publié le 10 novembre 2022 dans la collection Une Heure-Lumière chez Le Bélial’. Tade Thompson, auteur de la trilogie et médecin psychiatre dans la vie civile, avait fait une entrée tonitruante dans la célèbre collection avec le premier volume, Les Meurtres de Molly Southbourne, publié en 2019 et avait été récompensé par le prix Julia-Verlanger en 2019 et le Grand Prix de l’imaginaire en 2020. Du point de vue littéraire, sa réussite reposait sur un récit oppressant et horrifique qui offrait plusieurs niveaux de lecture entre la psychologie du passage à l’âge adulte et le rapport à l’étrangeté du corps. Le deuxième volume, La Survie de Molly Southbourne (2020), tout en continuant le récit là où le premier l’avait laissé, proposait un retournement de situation qui, en orientant le récit dans une direction privilégiée, réduisait le champ des possibles dans l’interprétation que le lecteur pouvait faire du texte et, avec elle, les multiples niveaux de lecture qu’offrait Les Meurtres. Tade Thompson faisait ainsi le choix de simplifier un objet dont la complexité faisait à mon avis le charme.
Au moment où je publie cette chronique sur L’Héritage de Molly Southbourne, de nombreuses critiques ont déjà été publiées et les avis sont très partagés. Si certains l’ont trouvé parfait, d’autres expriment une déception. Pour être honnête, voilà un petit moment que je ne comprends pas ce que fait Tade Thompson. J’ai été déçu par Far from the Light of Heaven (2021), et plus encore par le récent Jackdaw (2022) qui avait découragé chez moi l’idée même d’en faire la chronique.
L’accumulation de retours contradictoires peut avoir un effet déformant et, très franchement, cet ultime volet ne mérite pas qu’on torture des pygargues à queue blanche. Il n’est pas si mal, cet héritage, quand bien même, effectivement, la déception s’impose au regard des promesses faites dans Les Meurtres. L’Héritage de Molly Southbourne poursuit l’histoire des mollys et maintenant celle des tamaras rencontrées dans le deuxième volet. Il boucle les boucles, lie les liens, comble les trous, révèle et explique, et n’est pas avare en surprises. L’écriture est nerveuse, le rythme envolé, et l’action déchainée. Le tout se lit en un seul envol.
Mais était-ce vraiment ce dont la trilogie avait besoin ? Si Les Meurtres était de nature à la fois ondulatoire et corpusculaire, riche de ses niveaux de lecture, L’Héritage est l’équivalent d’une réduction du paquet d’onde, cet inexorable moment où tout devient classique. L’Héritage amplifie ainsi le défaut qu’on pouvait déjà relever dans La Survie, à savoir qu’il réduit plus encore les possibilités. Est-ce la légendaire maladresse de l’albatros lorsqu’il doit enfin se poser au sol alors qu’on avait surpris l’élégance de son vol au milieu des brises thermiques et des vents synoptiques ? Trop d’attente de notre part ? On aurait souhaité retrouver la magie du premier volume. L’Héritage en manque, certainement, car d’une certaine manière, Tade Thompson emprisonne son récit. Qui plus est, il opte pour une résolution facile, classique, quand son point de départ ne l’était pas. Il invoque des expérimentations russes, des agences gouvernementales, toute une panoplie d’artifices un peu surannée dont il aurait très bien pu se passer. Mon sentiment est qu’il avait dit ce qu’il avait à dire au sujet de Molly Southbourne dans Les Meurtres, du point de vue psychologique, puis qu’il a changé d’angle pour explorer d’autres thématiques.
Pourtant, il apporte une conclusion et un épilogue à son récit. Il l’emmène vers un autre horizon et fournit, après l’amertume de l’expérience ratée, l’espoir d’un autre dénouement. D’un autre champ de possibilités. Quelque part plus science-fictif. C’est ce que je retiendrai de cet ultime envoi.
D’autres avis : Yuyine, Gromovar, Au Pays des Cave trolls, Ombre Bones, Le Maki, Chut Maman lit,
- Titre : Les meurtres de Molly Southbourne
- Auteur : Tade Thompson
- Publication originale : The Legacy of Molly Southbourne, Tor.com, 17 mai 2022
- Publication française : Une Heure Lumière, Le Bélial’, 10 novembre 2022
- Traduction : Jean-Daniel Brèque
- Nombre de pages : 144
- Support : papier et ebook
Merci pour le lien ! Je fais partie de la team des déçus mais je trouve ton point de vue nuancé plutôt intéressant.
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Je ne l’ai pas encore lu (ni le deuxième) et je reste dans le souvenir de l’étrangeté du premier. J’aime en tout cas beaucoup cette chronique tout à la fois subjective et précise (bon et puis moi dès qu’on me colle un grand oiseau de mer, je marche). Je pense que sus suis plutôt de la team mystère aussi. Je verrai bien…
Y en final del iracundo mar,
en la lluvia del océano
surgen las alas del albatros
como dos sistemas de sal
estableciendo en el silencio
entre las rachas torrenciales,
con su espaciosa jerarquía
el orden de las soledades.
P.Neruda – Vienen los pajaros (Canto General)
(Désolé, j’ai plus ou moins en tête la traduction de Claude Couffon mais elle ne me semble pas accessible via internet).
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Arf… cela ne me motive pas à lire ce dernier tome que j’ai pourtant sous la main. J’avais tellement admiré ce premier tome vif, nerveux, original et violent ! J’avais été intriguée par sa complexité, ses niveaux de lecture, ses innombrables névroses… Je m’étais donc jetée sur le 2ème tome qui m’avait laissée perplexe. Moins subtile, plus convenu, décevant. Là je sais bien ce qui m’attend pour ce dernier tome et ça ne me dit rien qui vaille. Mais bon, ce sera toujours plus satisfaisant à mon sens que les histoires de moine, de robot et de tasses de thé ;-))))
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Le premier était vraiment un coup de maître. Il aurait dû s’en tenir là. A vouloir étirer le récit, il a perdu de sa pertinence amha. Mais comme tu dis, c’est toujours mieux que le thé avec les robots. 😉
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