Children of Memory – Adrian Tchaikovsky

On doit à Adrian Tchaikovsky l’un des romans incontournables de la science-fiction de ce début du XXIe siècle, à savoir Children of Time publié en 2015, et traduit en français sous le titre Dans la Toile du Temps chez Denoël en 2018. Roman d’une grande intelligence, il imaginait une humanité déboussolée par sa propre bêtise et condamnée par la destruction de sa planète d’origine, se lançant dans un programme de terraformation de quelques planètes avec le maigre espoir d’y voir ressurgir la vie intelligente quelques milliers d’années plus tard. Mais rien ne se passe jamais comme prévu et Children of Time faisait le récit d’une de ces expériences, a priori ratée, aboutissant à l’évolution d’une espèce d’arachnide avec l’aide d’un nanovirus sur une planète appelée le monde de Kern. En s’appuyant sur de solides connaissances scientifiques, Adrian Tchaikovsky décrivait minutieusement la provolution (évolution artificiellement provoquée) d’une conscience, d’un langage, d’une science, d’une culture et d’une civilisation selon des termes qui nous sont totalement étrangers. Une véritable altérité. Il récidivait avec autant de succès en 2019 avec Children of Ruin (Dans les profondeurs du temps, Denoël, 2021) dans lequel, suivant la même recette, il décrivait la provolution d’une espèce de céphalopode sur la planète Damascus, alors que sur sa voisine, la planète Nod, les choses tournaient au cauchemar lors de la rencontre d’une forme de vie microbienne parasitique et violemment invasive. Ces deux romans constituaient une formidable aventure à la fois à la fois scientifique et non-humaine, un modèle de hard-SF intelligente et ludique.

Le très prolifique britannique propose avec Children of Memory, paru le 24 novembre 2022, une troisième variation dans cet univers. Nombreux sont les lecteurs, et j’en fais partie, qui attendaient ce nouveau volume, impatients de découvrir quelle nouvelle bestiole allait rejoindre les rangs des créatures conscientes, mais soucieux aussi, peut-être, que l’auteur se laisse aller à la facilité en déclinant à l’infini une formule déjà éprouvée dans deux romans. Que le lecteur se rassure, ou s’inquiète, ce n’est pas le cas. Pour renouveler la série, Adrian Tchaikovsky fait le choix de proposer un récit totalement différent mais qui, selon une logique science-fictive, s’inscrit dans la continuité des explorations précédentes.

Il y a bien une nouvelle espèce animale devenue intelligente qui fait son apparition dans Children of Memory, elle était d’ailleurs annoncée dans le dernier chapitre de Children of Ruin et sa présence ne surprend pas. Si quelques chapitres en flashback reviennent sur son évolution propre, ce n’est pas le propos central du livre et l’auteur survole la question pour s’intéresser à un autre sujet. À la fin du précédent  volume, humains, araignées, poulpes et blob nodien s’étaient alliés pour partir explorer l’univers à la recherche des autres planètes qui avaient été la cible des expériences humaines de terraformation lancées des milliers d’années auparavant, et qui en conséquence pouvaient abriter de nouvelles formes de vie consciente. Nous retrouvons donc les principaux personnages de la saga réunis à bord d’un vaisseau d’exploration en direction de la planète Imir. Sur place, ils découvrent que des humains y ont installé une colonie. Mais celle-ci est au bord de l’effondrement. Après les bestioles, c’est l’humain qui passe sous le microscope d’Adrian Tchaikovsky. Children of Memory a des airs d’Inversion d’Iain M. Banks, d’Un feu sur l’abîme de Vernor Vinge, et plus encore de son propre Elder Race, court roman fort réussi à la frontière des genres, où se confrontent des niveaux de développements technologiques qui jamais ne devraient se rencontrer. Avant de prendre une toute autre direction car, évidemment, il y a un twist qui se déclenche à la moitié du roman.

Litterature.
Meaning what?
Meaning… a thing that a human wrote once that seems tangentially relevant, by context and linguistic pattern analysis, to the topic of our conversation. So I throw it in there to seem clever.

Tout ceci aurait pu magistralement fonctionner. Malheureusement, Adrian Tchaikovsky abandonne entièrement l’aspect hard-SF qui avait soutenu les deux premiers volumes de la série et les ressorts de cette installation laissent à plus d’une occasion de nombreux trous dans un scénario où l’incrédulité n’est plus seulement suspendue, mais désagréablement bousculée. Les contradictions apparentes abondent et les muscles impliqués dans le haussement de sourcil sont mis trop souvent à contribution. L’idée en soi, même si elle n’est pas nouvelle, est bonne d’autant qu’elle est relancée à mi-parcours par ce fameux twist dont je parlais. Mais voilà, si vous avez déjà lu de la science-fiction récente, vous saurez immédiatement décrypter ce twist et devinerez où le roman tente, assez laborieusement, de nous emmener. Là encore, cette autre idée est bonne – quand bien même un certain roman de Greg Egan et une récente novella d’Alastair Reynolds vous auront totalement ruiné la surprise –  mais elle me semble maladroitement mise en œuvre. Adrian Tchaikovsky fait des choix narratifs qui brouillent son propos. Le récit est présenté suivant trois fils narratifs distincts, qui chacun use et abuse des flashbacks pour révéler lentement les tenants et les aboutissants de l’histoire. Cette fragmentation excessive amène à ce que, pendant longtemps, le lecteur ne comprenne strictement rien à ce qu’il se passe. À ce point que l’auteur en prend conscience et que le dernier chapitre est entièrement consacré à une explication détaillée de ce qu’il s’est déroulé jusque-là. Et c’est de mon point de vue le principal problème de ce roman : Adrian Tchaikovsky oublie le principe du show don’t tell, il ne montre pas, il ne fait que dire. Des chapitres entiers sont consacrés à livrer des explications sur le mode « il se passe ceci parce que cela et donc, il advient que… ». Dépouillés de leur rôle d’incarner une histoire, les différents personnages du récit ne portent aucune émotion à destination du lecteur. Ils existent, se meuvent, et agissent selon les injonctions d’un navigateur démiurge qui fait tout pour cacher au lecteur la destination du voyage avant sa conclusion. Et pourtant tout n’est pas si sombre. Il y a de très bons passages. En chemin, Tchaikovsky aborde de très nombreuses thématiques, trop sans doute pour avoir le temps de les discuter véritablement. On croise notamment de belles discussions sur la nature de la conscience – l’une des grandes interrogations de la science-fiction s’il en est – amenant les personnages à revoir leur propre définition de ce qu’est la vie sentiente, aboutissant ainsi à un final qui aurait été savoureux s’il avait été amené avec plus de délicatesse romanesque et de mise en chair. Même si, là encore, d’autres ont déjà fait mieux.

Children of Memory est donc une déception en ce qui me concerne. Le roman repose sur une très bonne idée, qui s’inscrit à mon avis logiquement dans la continuité du parcours entamé dès le premier volume de la série, une idée qu’Adrian Tchaikovsky se devait d’explorer. Et ça c’est formidable. Mais il le fait de manière peu convaincante non seulement en choisissant de ne plus soutenir son propos par un minimum de réalisme scientifique, mais aussi rendant le récit confus par une structure trop lâche et des choix narratifs qui perturbent plus qu’ils n’aident la lecture. Les derniers mots laissant entrevoir la possibilité d’un quatrième volume. Je le lirai évidemment, avec l’espoir que l’auteur retrouve un peu de la flamboyance du premier roman qui a lancé la série.


D’autres avis : même déception chez Anudar,


  • Titre : Children of memory
  • Série : Children of Tile
  • Auteur : Adrian Tchaikovsky
  • Langue : Anglais
  • Parution : 24 nombre 2022, Macmillan
  • Nombre de pages : 496
  • Support : papier et numérique

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