La Cité des nuages et des oiseaux – Anthony Doerr

Nous nous émerveillons ces temps-ci, et de ce côté de l’atlantique, de l’intérêt que semblent soudainement porter quelques auteurs de littérature dite blanche à la science-fiction et à l’imaginaire en général. Face à cette dichotomie entre les genres entretenue avec ferveur par les acteurs présents de part et d’autre du grand rift littéraire national, et gardée par une critique officielle qui montre le zèle d’un cerbère terrorisant les vivants qui voudraient aller s’encanailler aux enfers, les américains doivent se marrer. Si tant est qu’ils aient jamais existé, il y a longtemps que les verrous ont chez eux sauté et il y a toute une génération d’auteurs contemporains qui considère que la littérature ne s’encombre pas des genres et use des libertés créatrices offertes par la science-fiction ou le fantastique pour écrire des histoires et penser le monde. Ça donne des prix Pulitzer et un ancien président qui tous les ans publie une liste de recommandations dans laquelle on trouve toujours de la SF. Cela dit, ne boudons pas, puisque la collection Terres d’Amérique chez Albin Michel s’est donné pour mission de faire découvrir aux lecteurs français ce qui, à mon avis, se fait de mieux en matière de littérature générale de nos jours.

Ce qui nous amène au sujet de ce billet, à savoir à La Cité des nuages et des oiseaux, nouveau roman d’Anthony Doerr (récipiendaire du prix Pulitzer en 2015 pour Toute la lumière que nous ne pouvons voir). Passons tout de suite à la conclusion : c’est pour lire ce genre de livres qu’on a appris un jour l’alphabet à l’école. C’est un excellent roman et, encore une fois, de la très grande littérature.

Prenant la forme de récits enchâssés, La Cité des nuages et des oiseaux rappelle Cloud Atlas de David Mitchell ou Gnomon de Nick Harkaway. On pourra aussi penser à Le Nom de la rose d’Umberto Eco puisqu’il y est question d’un livre perdu, retrouvé, copié, reperdu et transmis d’une époque à l’autre, servant de fil d’Ariane entre les siècles.

« Le conte grec aujourd’hui disparu La Cité des nuages et des oiseaux d’Antoine Diogène, qui relate le voyage d’un berger vers une ville céleste, date probablement de la fin du premier siècle de notre ère. Un résumé byzantin du IXe siècle nous apprend que le récit débutait par un bref prologue dans lequel Diogène s’adressait à sa nièce souffrante […] Mêlant les ingrédients du conte merveilleux, de la quête insensée, de la science-fiction et de l’utopie satirique, la version abrégée de Photios nous laisse penser qu’il s’agissait d’un des récits les plus fascinant de l’Antiquité. »

La Cité des nuages et des oiseaux raconte les histoires, de la naissance à la mort, de cinq personnages parcourant trois époques distinctes – une passée, une présente et la dernière future – et dont le seul lien, de prime abord, est la fascination qu’ils portent pour un texte antique imaginé par Anthony Doerr et inspiré à la fois de Les Oiseaux d’Aristophane, de l’Histoire vraie de Lucien de Samosate et de Les Merveilles d’au-delà de Thulé d’Antoine Diogène. (Le titre original du roman d’Anthony Doerr est Cloud Cuckoo Land, qui fait référence à Aristophane et à l’expression anglaise désignant un territoire utopique et fantaisiste où l’impossible serait possible.)

Le passé raconte l’histoire d’Anna et de Omeir, deux jeunes gens projetés malgré eux dans l’Histoire, chacun d’un côté de la grande muraille de Constantinople en 1453 lors de la prise de la ville par les armées ottomanes de Mehmed II.

Le présent couvre une partie du XXe siècle et le début du XXIe et raconte l’histoire de Zeno, qui traverse la guerre de Corée dans un camp de prisonnier où il s’éprend d’un soldat anglais qui lui transmet sa passion du grec ancien. Mais un jour de 2020 à Lakeport dans l’Idaho, à 86 ans, il croise le chemin de Seymour, jeune homme neuroatypique dont l’extrême sensibilité à la destruction de l’environnement autour de lui l’amène à commettre l’irréparable.

Le futur raconte la vie de Konstance, adolescente vivant à bord d’une nef générationnelle qui a quitté une Terre polluée pour voler à destination de Beta Oph2. Née à bord, elle n’a jamais connu la Terre. Elle ne connaîtra pas non plus Beta Oph2, le temps du voyage dépassant plusieurs vies humaines.

« Je sais pourquoi les bibliothécaires t’ont lue ces vieilles histoires : si elles sont bien racontées, celui qui les écoute reste en vie aussi longtemps que dure le récit. »

De ces histoires individuelles, magnifiquement construites, magnifiquement racontées, profondément saisissantes, je ne dirai rien de plus, vous laissant découvrir chacune des aventures extraordinaires que ces cinq personnages ordinaires ont à vivre. À travers cinq vies, mêlant récit historique, récit contemporain et science-fiction, c’est l’humanité entière que raconte Anthony Doerr. La Cité des nuages et des oiseaux est un livre sur la vie et la mort. C’est un livre sur le temps, ce qu’on en fait dans l’espace d’une vie, et ce qui dépasse nos vies. C’est aussi un livre qui embrasse avec sensibilité et considération de nombreuses thématiques contemporaines : racisme, homophobie, violence sociale et précarité, aliénation et société de consommation, écologie et guerres, préoccupations de notre époque et de celles à venir, en faisant le pari de la complexité et de la nuance tout en évitant le pathos – allant même jusqu’à envisager la possibilité d’une rédemption. La Cité des nuages et des oiseaux est simplement un grand livre.

« Ainsi font les dieux, ils tissent les fils du désastre à l’étoffe de nos vies, afin d’inspirer un chant pour les générations futures. »


D’autres avis : Gromovar,


  • Titre : La Cité des nuages et des oiseaux
  • Auteur : Anthony Doerr
  • Traduction : Marina Boraso
  • Publication : 14 septembre 2022, coll. Terres d’Amérique, Albin Michel
  • Nombre de pages : 704
  • Support : papier et numérique

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