
Quel étrange roman que celui-là. Présenté comme un précurseur de la science-fiction européenne – il l’est certainement – La Maison aux mille étages de l’auteur tchécoslovaque Jan Weiss a été publié en 1929, a été traduit et publié en France une première fois en 1969. Il est réédité dans la toute nouvelle collection Le Rayon Imaginaire chez Hachette Heroes à l’occasion de la rentrée littéraire. Depuis sa création en octobre 2021, la collection se donne pour ambition de faire redécouvrir un fond historique avec la réédition d’œuvres marquantes, comme par exemple Frankenstein ou le prométhée moderne, sous une nouvelle traduction d’Elisabeth Vonarburg) et de proposer des nouveautés, comme Les dix mille portes de January d’Alix E. Harrow, qui a lancé la collection, ou Analog/Virtuel de Lavanya Lakshminarayan que j’avais beaucoup aimé. La Maison aux mille étages s’inscrit dans la politique de réédition, portée à nouveau par une nouvelle traduction.
S’il n’invente pas la dystopie politique (je serais par ailleurs bien incapable de retracer l’histoire du genre), La Maison aux mille étages précède de quelques années les grands romans de science-fiction que souvent on cite en exemple : Le Meilleur des mondes d’Aldoux Huxley (1932), 1984 de Georges Orwell (1949) ou encore Fahrenhheit 451 de Ray Bradbury (1953). Précurseur donc, mais aussi monstrueusement clairvoyant sur l’histoire du XXe siècle.
La Maison aux mille étages fait le récit d’un point de vue subjectif de l’éveil de Petr Brok (Pierre Brok dans l’ancienne traduction), amnésique, au sein d’une tour de mille étages sans porte ni fenêtre. Il y découvre une humanité réduite à l’état d’esclavage enfermée dans un univers sous contrôle, le Mullerdôme, entièrement créé et dirigé par un tyran, l’industriel richissime Ohisver Muller. Petr Brok a une mission : retrouver et libérer une infortunée princesse qui a été enlevée à son père et faite prisonnière dans la tour ( !) et mettre fin aux agissements d’Ohisver Muller.
Le contraste est saisissant entre l’apparente naïveté du récit et de ses personnages et la radicalité dystopique de l’univers que décrit Jan Weiss : esclavage économique, société de surveillance généralisée, dérive absolue d’un monde capitaliste où l’économie remplace toute valeur morale, omniprésence de la publicité et surconsommation. Dans les étages de la tour, les inégalités sociales sont institutionnalisées et savamment entretenues par le système despotique mis en place par Muller, comme dans toute dictature moderne, et si la révolte gronde, la répression policière est tout aussi brutale. Jan Weiss va même jusqu’à prédire l’horreur des chambres à gaz.
La Maison aux mille étages est un roman étrange. C’est une hallucination fiévreuse, labyrinthique, et cauchemardesque où le personnage principal se rêve héros en quête de justice. On y retrouve certaines saveurs des films de Fritz Lang ou du théâtre de Bertolt Brecht. Certainement précurseur dans le genre et surprenant par sa clairvoyance, son intérêt reste toutefois principalement historique, en cela que la dystopie politique est devenue un genre majeur aux mille romans en science-fiction et qu’on trouvera dans des romans plus récents une approche certainement plus parlante et plus en adéquation avec les enjeux et les exigences de notre époque. À choisir, et dans le même registre dystopique, j’ai grandement préféré la lecture d’Analog/Virtuel de Lavanya Lakshminarayan, publié dans la même collection, tant pour ses qualités romanesques que pour la modernité de ses inventions et ses observations sur notre époque.
- Titre : La Maison aux mille étages
- Auteur : Jan Weiss
- Traduction : Eurydice Antolin
- Publication : 31 août 2022, coll. Le Rayon imaginaire, Hachette Heroes
- Nombre de pages : 256
- Support : papier et numérique
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