
Ursula Le Guin s’est éteinte à 88 ans en Janvier dernier, à Portland dans l’Oregon. Considérée comme la plus grande autrice de SF nord-américaine, plusieurs fois mentionnée pour le Nobel de littérature, déclarée Légende Vivante par la librairie du congrès pour sa contribution exceptionnelle à l’héritage culturel américain, elle n’a jamais vraiment été reconnue en France en dehors du cercle des amateurs de SF. Evidemment aussi, hein ? Quelle idée d’écrire de la fantasy ou de la SF, un de ces genres mineurs, créant des mondes imaginaires comme autant d’expériences sociales alors que susurrer les lamentations amoureuses d’une bourgeoise adultère lui aurait acquis la reconnaissance éternelle de quelques académiciens garants du bon goût et des belles lettres.
Les explorateurs fuyaient la réalité ; c’étaient des inadaptés, des cinglés.
Ursula Le Guin, combien de divisions ? 20 romans, 150 nouvelles, 5 prix Hugo, 6 Nebula, 19 Locus.
C’est sous la supervision de Pierre-Paul Durastanti que les éditions Le Bélial, qui aiment les mondes imaginaires comme autant d’expériences sociales et moins les lamentations amoureuses des bourgeoises adultères, ont choisi de faire paraître le mois dernier Aux douze vents du monde, recueil de 17 nouvelles d’Ursula Le Guin initialement publié en 1975 sous le titre The Wind’s Twelve Quarters. Nous leur en sommes éternellement reconnaissant de nous donner l’occasion de lire, ou relire, la plume de l’auteure, emplie de bon goût et de belles lettres.
Car ce qui marque à la lecture de ce recueil, la démonstration fut-elle nécessaire, c’est qu’il est possible d’écrire de la fantasy ou de la SF en écrivant bien. Voire même très bien. Ursula Le Guin, c’est avant tout une écriture. Ce recueil est une leçon de style, que ce soit dans la manière de livrer les informations, de construire le monde, aussi bien que dans l’art du dialogue. Et là ça remet un peu tout le monde à sa place.
Les amateurs de hard-SF à particules intriquées ou de fantasy dragonesque n’y retrouveront pas leur panier garni de douceurs acidulées, Ursula Le Guin n’entre pas dans les sous genres et se définit elle-même comme romancière tout simplement.
Enfin, ça c’est ma définition de la science-fiction le lundi. Le mardi, il m’arrive d’en changer.
Dans ces nouvelles, la frontière est fluide entre fantasy et SF. Ce qui est intéressant avec Ursula Le Guin, c’est la manière dont elle traite de sujets sociaux tels que la question du genre, la sexualité, le rapport à l’étrangeté de l’étranger, une approche du féminisme, questions évidemment fertiles à l’époque de l’écriture de ces nouvelles et bien sûr toujours aujourd’hui. C’est un traitement de l’intérieur. Je parlais plus haut d’expériences sociales, et c’est bien de cela dont il s’agit dans ces textes. Elle conte l’humain et ses rapports à autrui, elle conte l’altérité.
Par inclinaison, et câblage interne, je suis plus sensible aux textes tirant le plus vers la SF et mes nouvelles préférées dans ce recueil sont de celles qui se rapportent au Cycle de l’Ekumen (ou Cycle de Hain pour être plus proche de la VO), auquel s’attache son roman le plus célèbre La Main Gauche de la Nuit. Avec pour moi deux très beaux textes : Neuf existences et Plus vaste qu’un empire qui est tout simplement sublime. On devine au passage l’influence que Le Guin a pu avoir sur des auteurs comme Peter Watts, qui aussi provoque dans ses écrits des expériences sociales qu’il pousse loin dans le domaine de la hard-SF. Je pense notamment à son roman Vision Aveugle pour lequel on peut clairement voir une filiation avec la nouvelle Plus vaste qu’un empire.
Si je n’ai pas trouvé un intérêt égal à toutes ces nouvelles, c’est dans tous les cas un ensemble de textes riche et passionnant qu’Aux Douze Vents du Monde nous donne à lire. Une très belle entrée dans l’univers, et sous la plume, d’Ursula Le Guin.
D’autres avis de lecteurs : sur Quoi de neuf sur ma pile, Nevertwhere, sur l’Albedo.
Livre : Aux Douze Vents du Monde
Auteur : Ursula Le Guin
Publication originale : 1975 (The Wind’s Twelve Quarters)
Traduction : 2018 chez le Bélial
Nombre de pages : 416
Format : papier et ebook
Ne connaissant pas du tout Le Guin, tu dirais que c’est une bonne entrée en matière?
J’aimeAimé par 1 personne
Je connaissais très peu Le Guin, et je dirais que c’est une très bonne entrée en matière ! Ca m’a donné envie envie d’aller creuser ses écrits de SF.
J’aimeAimé par 1 personne
Ok vendu! Un petit retour bientôt
J’aimeJ’aime
Clairement, si quelqu’un a besoin d’un argument pour le convaincre de lire ce livre, son nom est « Plus vaste qu’un empire ». Une belle inversion des stéréotypes de la SF de premier contact, d’ailleurs. Excellente critique ! (et je trouve que tes intros sont de plus en plus à la fois finement ciselées et hilarantes, bravo ! 😀 ).
J’aimeAimé par 1 personne
C’est clair. Je ne la connaissais pas cette nouvelle, elle est absolument magistrale. (et merci !)
J’aimeAimé par 1 personne
Tsk, pourtant un certain dieu égyptien l’a mentionnée (dans un article te citant, d’ailleurs) il y a quasiment un an (bon, ok, en deux lignes, mais n’empêche, l’Inquisition Apophienne est à deux doigts de te rendre visite pour vérifier ta connaissance des écrits sacrés, là…).
J’aimeAimé par 1 personne
….. (là j’ai lancé un sort d’invisibilité. Tu ne peux pas me voir. Je ne suis plus là. Je n’ai même jamais existé.)
J’aimeAimé par 1 personne
Pour tout te dire, je ne raffole pas vraiment d’Ursula Le Guin.
Déjà, par câblage interne, comme tu dis : je n’ai pas réussi, jusqu’ici, à accrocher à ce qu’elle me proposait (je pense, ici, au cycle de Terremer, plus exactement au sorcier de Terremer).
Ensuite, son style non plus ne m’a pas conquis.
Enfin, j’ai eu l’occasion de me procurer (à la Dimension Fantastique, une librairie à Paris à métro Poissonières) un petit essai, le Langage de la Nuit, essais sur la SF et la Fantasy.
Bien qu’il y ait des convergences entre sa pensée et la mienne (sur certains aspects purement littéraires), force est de constater que je diverge très fortement avec son progressisme militant. Sans compter ses opinions très (trop?) tranchées sur ce qui ne lui convient pas : les comics, , son avis sur la finance, sa foi en la psychanalyse, et son dédain pour ce qui n’est pas assez progressiste à son goût. Cela me refroidit quelque peu.
J’ai peut-être tort, cela dit, de ne pas vouloir lui donner une seconde chance?
J’aimeAimé par 1 personne
En effet je me souviens de ce que tu avais écrit à ce sujet. Essaye au moins la nouvelle Plus vaste qu’un empire. Elle vaut vraiment le coup.
J’aimeAimé par 1 personne
Je radote, alors !
Je veux bien lui laisser sa chance, il est dommage de rester sur une mauvaise première impression…
Sinon, sur un autre registre, le Bélial’ fait un super boulot. Un gros bravo !
J’aimeJ’aime
J’avais depuis quelques temps envie de relire La Main Gauche de la Nuit, Les dépossédés, Le nom du monde est forêt et finir le reste du Cycle de l’Ekumen, tu me pousses donc à mettre ce recueil dans ma déjà lourde liste guinienne. Vil tentateur !
J’aimeAimé par 1 personne
C’est pour ton bien !
J’aimeJ’aime
de toutes façons, je l’aurai un jour, alors iniutile de me faire saliver autant sur le recueil d’une grande dame que j’apprécie vraiment!
J’aimeAimé par 1 personne
Très chouette papier, très sympa à lire. Merci [-_ô] !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci !
J’aimeJ’aime
Bon, je ne doutais pas trop que ça serait bon et qu’il me faudrait le lire, mais j’en suis convaincu de plus belle ! En tout cas bel hommage à cette grande, très grande, dame qu’est Ursula Le Guin. 😉
J’aimeAimé par 1 personne
J’avais déjà lu la plupart des textes de ce recueil dans d’autres publications (notamment son livre d’or de la SF) mais j’ai hâte de me plonger dedans. En plus l’ouvrage est doté d’une belle bibliographie, ça c’est chouette !
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, je n’en ai pas parlé dans mon commentaire, mais la bibliographie qui accompagne le recueil est remarquable et sans aucun doute un très gros bonus pour les amateurs de Le Guin.
J’aimeJ’aime
En effet, la sf et la fantasy sont les parents pauvres de la littérature française. Je lirai 🙂
J’aimeJ’aime
Je recommanderais facilement « L’autre côté du rêve ». On peut y lire ce que produit notre humanité, en filigrane. Un roman remarquable et percutant.
J’aimeAimé par 1 personne