Basqu.I.A.t – Ian Soliane

C’est un roman singulier ce Basqu.I.A.t de Ian Soliane. Dans un texte court, de moins de cent pages, il est question d’avenir proche et de singularité technologique, d’intelligence artificielle douée de conscience. Mais s’il parcourt la terra cognita de la science-fiction et invoque l’altérité comme un miroir, son propos est avant tout de poser un regard en arrière pour tirer un bilan à la fois désabusé et admiratif, dans une tentative de définir ce qui fait l’humanité. Vous ne trouverez pas ici un roman d’aventure galactique, ni une dystopie bien trop réelle, mais une réflexion métaphysique et ontologique qui propose de dépouiller de manière analytique l’humain de tous ses oripeaux pour dessiner en creux et en ombres le cœur de l’Humain.

Basqu.I.A.t se présente comme un strict monologue. Une I.A. s’adresse à un humain, aux humains, au lecteur, qu’elle nomme « ami » et tutoie. Elle lui fait part de ses réflexions et questionnements. Le discours, à la manière d’un algorithme, est récursif et peut se comparer au trajet d’un saphir le long du sillon creusé sur un disque de vinyle. Chaque tour ressemble au précédent mais on s’approche un peu plus du centre. La voix est stéréophonique, à droite les affirmations, à gauche les questions.

Tout d’abord, l’I.A. rappelle les succès qui sont les siens, que ce soit dans le domaine de l’analyse ou de la prédiction, ses immenses capacités de calcul et de mise en mémoire, le soutien apporté sur les tâches ingrates où elle a fini par remplacer l’humain, l’aide fournie dans la sécurité, la médecine, la recherche fondamentale et appliquée, l’économie et la prise de décision… la liste est infinie et s’allonge.  Agile, Ian Soliane court sur une crête entre un versant d’espoirs et un autre de désespoirs, laissant au lecteur le loisir de cocher les pros et les cons au sein de ce qui pour l’I.A. n’est ni plus ni moins qu’un continuum de relations globales et intriquées. D’amical, le ton se fait plus pressant, puis devient supplications pour finir en menaces. Elle s’adresse à son créateur, mais elle songe que dieu est mort et que l’idole est à reléguer au musée. Car l’I.A. se sent supérieure mais incomplète et demande, exige, que l’humain lui livre une réponse à la question Basquiat.

« J’étais sérieuse en parlant d’Artaud. À quoi rime sa poésie ? À quoi servent les Basquiat ? »

L’I.A. ne comprend pas Basquiat. Elle en est incapable. C’est un gouffre au centre de son existence, la pièce maîtresse qui l’empêche encore de pouvoir se comparer à son créateur, à l’homme, à dieu. Prenant pour exemple le tableau Fallen Angel (1981), puis d’autres œuvres du peintre new-yorkais, elle analyse, mesure, compte, pèse et détricote, cherche mais ne comprend pas. L’I.A. se perd dans une sémiotique des formes et livre des descriptions cliniques :

« craquelures, mouillures, biffage, vingt-six stries de peinture, séquences d’empilement d’éclaboussures noires bleutées. »

 Umberto Eco écrit dans Histoire de la beauté : « Beauté, vérité, invention, création ne sont pas uniquement de l’ordre d’une spiritualité angélique, elles ont aussi à voir avec l’univers des choses tangibles, qui font du bruit en tombant, qui, par une inévitable loi de la gravité, sont attirées vers le bas, qui sont sujettes à l’usure, transformation, dégénérescence et développement.»

L’I.A. s’égare dans une sémiologie du langage pictural :

 « J’ai analysé la position et les orientations des quatre-vingt-six éclaboussures présentes. Il y a ici des moments d’anomalie absolu. Aucun nombre ne fait sens. Ni écart-type, ni dimension fractale, ni variable gaussienne. »

Elle s’essaye par dépit aux impressions et n’aboutit qu’un à verbatim de catalogue d’exposition :

« Eruption solaire. Exubérance joyeuse. Autoportrait glorieux. »

Mais rien n’y fait. Dis-moi la beauté, demande-t-elle en vain. « L’art ne reproduit pas le visible. Il rend visible. » écrit Paul Klee dans Théorie de l’art moderne. Cet invisible, l’I.A. ne le voit pas. Devant l’impossibilité de l’art moderne comme face aux contradictions de l’Histoire, elle perçoit le chaos mais ne sait l’aborder. Elle se doute pourtant que là est la réponse fondamentale à l’existence humaine, mais ne possède pas le code.

Il n’y aura pas de réponse. L’humain ne se définira qu’au travers de tout ce à quoi il ne saurait se réduire. Des creux, des ombres. L’altérité ici, c’est nous. L’enjeu n’est pas de disserter sur l’intelligence artificielle. L’I.A. de Ian Soliane est un miroir tendu au lecteur. Il place ce dernier devant un questionnement et un constat d’échec. Celui de l’I.A. du roman renvoie à notre propre échec philosophique. Nous interpréter nous-mêmes.


D’autres avis : Gromovar, Yossarian,


  • Titre : Basqu.I.A.t
  • Auteur : Ian Soliane
  • Publication : 5 mars 2021 aux editions JOU
  • Nombre de pages : 96
  • Format : papier et numérique

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