Ormeshadow – Priya Sharma

Chaque nouvelle sortie dans la collection Une Heure-Lumière est une fête. La collection créée en 2016 par Le Bélial’ propose des textes courts, souvent récompensés par des prix prestigieux (Hugo, Locus, Nebula,…), en science-fiction, fantasy et fantastique, genres littéraires qui constituent l’imaginaire. Sur l’épaule d’Orion, on (c’est à dire moi) en arrive même à penser que c’est la collection la plus excitante qui soit dans nos taxonomies préférées parce qu’elle remplit au sein de l’édition française une fonction essentielle qui est de publier des novellas, forme intermédiaire entre la nouvelle et le roman, habituellement délaissée sous nos latitudes, mais aussi et bien sûr pour la qualité des textes qu’elle propose – quand bien même les goûts et les couleurs imposent des préférences vers tel ou tel autre de ces textes. Et puisqu’on parle des coups et des douleurs, la collection s’ouvre début avril à un nouveau titre : Ormeshadow de Priya Sharma. Et c’est pas trop la fête.

(Profitez de cette pause dans votre lecture pour admirer la couverture d’Aurélien Police.)

Ormeshadow est ce que je qualifierai de roman naturaliste qui s’offre le luxe d’aller chercher dans la fantasy une échappatoire lorsque le réel n’en offre plus. De la même manière que Gardner Dozois convoquait la science-fiction dans Le Fini des mers, autre titre de la collection Une Heure-Lumière. Bien que très différents, le parallèle que l’on peut faire entre ces deux textes dans l’appel qu’ils font à l’imaginaire est saisissant.

Ormeshadow est un roman d’apprentissage dans la douleur et la cruauté. L’action se déroule à l’ère victorienne dans l’Angleterre rurale. Le jeune Gideon quitte la ville de Bath et la civilisation lorsque son père perd son emploi. Il suit ses parents qui se retranchent dans la ferme familiale d’Ormesleep dans la vallée d’Ormeshadow. Là vit l’oncle Thomas, avec sa femme Maud et ses enfants. C’est pour le jeune Gideon une descente aux enfers. Là tout n’est que pauvreté, souillure et cruauté. L’oncle Thomas est un tyran domestique thénardien, modèle d’un patriarcat brutal et paysan par lequel s’exprime la haine de toute forme d’élévation que ce soit à travers l’éducation ou la moindre pensée à un ailleurs.  

L’ailleurs, Gideon le trouve dans l’amour qu’il porte à son père et les histoires que celui-ci lui raconte sur l’origine de sa famille et de la vallée d’Ormeshadow. La petite ville a en effet poussé à l’ombre d’un massif rocheux qui, lui dit son père, serait en fait un dragon endormi sur un trésor. Mais la réalité possède un poids que les légendes n’ont pas et lorsque le père vient à disparaître, le fils se trouve seul dans l’ombre d’un oncle. Il en viendra à réaliser à quel point les adultes « ont désaxé leurs enfants à force de cruautés aléatoires et d’indifférence ».

Priya Sharma propose une fin cathartique, à la manière du film Dogville de Lars von Trier, mais sa précipitation ne nous permet pas de totalement y croire. Elle autorise toutefois à refermer le livre le cœur un peu plus léger alors qu’un peu plus tôt l’envie de balancer au bout d’une corde commençait à se faire sentir. Ormeshadow est la peinture cruelle d’une humanité dure et douloureuse et qui, dans son rapport au monde, supplie l’imaginaire de bien vouloir nous sortir de là.

La novella a remporté les prix Shirley Jackson 2019 et British Fantasy 2020.


D’autres avis : Gromovar approved, Au pays des Cave Trolls, Yuyine,


  • Titre : Ormeshadow
  • Auteur : Priya Sharma
  • Traduction : Anne-Sylvie Homassel
  • Publication : 8 avril 2021, coll. Une Heure-Lumière, Le Bélial’
  • Nombre de pages : 172
  • Format : papier et numérique

18 réflexions sur “Ormeshadow – Priya Sharma

  1. C’est sûre que tu ne nous vends pas trop du rêve là ! 😀 J’ai un recueil d’elle quelque part dans ma PàL. Je vais aller y jeter un oeil, voir si le style me plait.
    Etk, je suis bien d’accord avec toi sur le manque de novellas en France. J’en lis pas mal en anglais et c’est un format que j’aime beaucoup.

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    1. Ah c’est sûr que ça rigole pas beaucoup à Ormeshadow. C’est le premier texte que je lis de l’autrice, je ne saurais donc pas juger de son style, mais ici je l’ai trouvé précis et juste dans l’évocation des dits et des non dits. Très adapté à l’histoire qu’elle avait à raconter.

      Aimé par 1 personne

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