
Le 15 janvier dernier, alors que nous vivions encore dans un monde insouciant, je vous parlais de Zima Blue, une belle nouvelle bleue d’Alastair Reynolds, tirée du recueil Beyond the Aquila Rift publié chez Gollancz en 2017 et qui regroupe vingt nouvelles et novellas. C’est dans ce même recueil que j’ai lu une novella de 150 pages tout à fait remarquable : Diamond Dogs. Celle-ci a été originellement publiée en 2003 dans l’ouvrage Diamond Dogs, Turquoise Days, qui regroupent deux novellas, et a été traduit par Sylvie Denis et publié en français sous le même titre en 2006 chez Pocket.
Diamond Dogs s’inscrit dans le cycle des Inhibiteurs (2000-2018) pour lequel Alastair Reynolds est principalement connu. Toutefois il n’est guère nécessaire d’avoir lu le cycle ou même d’en avoir entendu parler pour lire la novella car tout ce qu’il est utile de savoir y est expliqué. En cela, Diamond Dogs peut constituer une bonne porte d’entrée dans le cycle et l’œuvre de l’auteur. Dans l’univers du cycle, l’humanité s’est largement répandue dans la galaxie, mais elle est seule. L’univers est vaste, froid, largement inhospitalier et invariablement vide de toute présence autre que les quelques colons humains qui s’y promènent. Reynolds apporte une réponse au paradoxe de Fermi « où sont-ils tous » sous la forme radicale « ils sont tous morts ». Et pour cause, ils se sont joyeusement entretués il y a à peu près un milliard d’années. La recherche des traces de formes de vie intelligente du passé est l’un des thèmes centraux du cycle des Inhibiteurs.
« Child Rowland to the dark tower came.
His word was still « Fie, foh, and fum,
I smell the blood of a British man. »King Lear, Act 3, scene 4 – Shakespeare
Au moyen de sondes automatisées envoyées aux confins de la Galaxie il y a des centaines d’années, Roland Childe a découvert un artefact manifestement construit par une ancienne civilisation avancée sur une planète autrement totalement déserte. Le nom Roland Childe est inspiré du poème Childe Roland to the Dark Tower Came (1855) de Robert Browning, lui-même inspiré d’une tirade du Roi Lear de Shakespeare. L’artefact en question est ainsi une tour aveugle et immense, 250 m de hauteur, non pas posée sur la planète mais suspendue en lévitation à quelques mètres du sol. Son pourtour est jonché des corps morcelés d’explorateurs malchanceux. La tour est un labyrinthe qui fait chèrement payer ceux qui échouent à résoudre l’une des nombreuses énigmes qui permettent de passer d’une salle à l’autre et de gravir les étages vers le sommet. C’est là un challenge que Roland Childe ne peut refuser et il va rassembler un équipage de personnages plus baroques les uns que les autres pour tenter de prendre la tour. L’auteur pose un scénario en trois actes, qui évoque une tragédie grecque, avec une mise en place, une confrontation puis une résolution dramatique.
Alastair Reynolds reprend le thème classique du labyrinthe mortel, et on ne peut s’empêcher de penser au film Cube de Vincenzo Natali (1997) dans lequel les personnages sont les prisonniers d’un labyrinthe constitué de pièces aux pièges mortels. Mais Diamond Dogs est une sorte d’anti-Cube, prenant le contre-pied du film. Cube explorait (maladroitement) le thème du Huis-Clos de Jean-Paul Sartre « l’enfer, c’est les autres ». Dans Diamond Dogs, l’enfer, c’est soi-même. Sous cet aspect, Diamond Dogs se rapproche de la novella Walking to Aldebaran d’Adrian Tchaikovsky qui, elle aussi, explore le thème du labyrinthe. Ici les personnages parcourent volontairement et librement le labyrinthe mortel. Le labyrinthe est toujours autant physique que psychologique. Le labyrinthe est un parcours initiatique, le lieu et le témoin d’une transformation personnelle et spirituelle. Sous la plume d’Alastair Reynolds, cette transformation va être radicale. La tour propose des énigmes mathématiques qui rapidement dépassent les capacités d’un humain de base, mais aussi impose des contraintes physiques qui vont demander de s’adapter, jusqu’à l’absurde.
Le propos est terrifiant, le récit efficace, la narration tendue. Diamond Dogs est une novella très réussie qui mêle habilement thèmes classiques (le labyrinthe comme parcours initiatique et transformateur, la folie des passions) et thèmes science-fictifs (civilisations extra-terrestres, transhumanisme).
D’autres avis : Olivier Girard dans Bifrost, Lorhkan, Un papillon dans la Lune, Artemus Dada,
Un très très bon souvenir de lecture également. Une novella gothique à la sauce hard-Sf saisissante.
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J’avais bien aimé ces 2 textes avec une préférence pour celui-ci. Mais il faut dire que le cycle des Inhibiteurs et plus que top. Dommage que les deniers tomes ne soient pas traduits en français.
Et une participation supplémentaire pour le projet Maki… 😀
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