In Xanadu – Lavie Tidhar

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Je vais râler. Inlassablement, le site Tor.com dans sa rubrique all fiction nous propose de découvrir en ligne des nouvelles en langue anglaise d’auteurs souvent renommés, parfois débutants talentueux. C’est le lieu de toutes les expérimentations, là où se dessinent les nouvelles tendances, là où s’annoncent le présent et l’avenir des genres de la SF et de la fantasy. Bref, c’est une mine d’or pour ceux qui comme moi aiment la forme courte. Mais, même dans la nouvelle, et surtout dans la nouvelle, il y a des règles à suivre sinon c’est le chaos qui nous guette.

Le mercredi 6 Novembre 2019 Tor.com a mis en ligne une nouvelle inédite de l’auteur israélien Lavie Tidhar sous le titre In Xanadu. Le récit se déroule sur Titan, à une époque lointaine où l’humanité a colonisé les quelques planètes du système solaire, et où les intelligences digitales ont suivi le mouvement en cachant leurs serveurs dans les profondeurs de la lune de Saturne. La sécurité de ces serveurs est une question d’importance primordiale. Ils assurent le fonctionnement de la Conversation, l’équivalent d’internet en cette époque d’hyper connectivité. Tous les humains sont en effet équipés dès la naissance d’un implant qui leur permet d’être en permanence reliés à la Conversation où qu’ils se trouvent dans le système solaire. Sauf les membres du Banu Qattmir. Ils sont la force armée des Autres, les intelligences artificielles. Leur tâche est de défendre les serveurs de toute intrusion ou tentative de destruction. Eux ne sont pas connectés à la Conversation, ce qui les préserve des vers, virus et chevaux de Troie qui pourraient pénétrer les systèmes digitaux. Nila est une jeune femme qui comme sa mère et sa grand-mère appartient au clan Qattmir. Elle connait 80 façons de tuer un homme. Sauf qu’elle n’a jamais eu à faire à un ennemi ni même à une quelconque menace puisqu’il ne se passe rien sur Titan. Elle se sent enfermée, inutile, et rêve du monde extérieur. Elle se promet de partir. Jusqu’au jour où il se passe quelque chose.

Security through physicality.

Security through redundancy.

Security through obscurity.

Plus que l’histoire contée dans la nouvelle, c’est le monde esquissé par Lavie Tidhar qui immédiatement fascine. Le simple énoncé des trois règles de la sécurité des intelligences artificielles ouvre grandes les fenêtres sur des horizons prometteurs. Avec cette idée fondamentale que la dématérialisation est une illusion. Pourquoi cette nécessité de cacher sur Titan les serveurs ? Qui sont les ennemis des intelligences digitales ? Quels sont les antagonismes ? Que se passe-t-il sur la Terre ? L’auteur dessine un univers qui a une histoire et dont on devine qu’il pourrait s’y dérouler mille et une histoires. Alors quel est le problème ? Le problème est précisément que, plus que l’histoire contée dans la nouvelle, c’est le monde esquissé par Lavie Tidhar qui immédiatement fascine.

J’avais découvert Lavie Tidhar avec la nouvelle Talking to Ghosts at the Edge of the World lue dans le recueil Infinity’s end. Il commettait alors l’erreur de mon point de vue impardonnable d’esquisser un monde, celui-là aussi immédiatement fascinant, mais de ne pas y proposer une histoire complète et pleinement satisfaisante pour le lecteur. Il commet le même crime ici dans In Xanadu qui ressemble à s’y méprendre au premier chapitre d’un livre qui ne sera peut-être jamais écrit. Il n’existe pas plus grande frustration. La vocation d’une nouvelle n’est pas d’être un appel du pied à un potentiel éditeur pour un roman futur. C’est sans considération aucune pour le lecteur qui se retrouve non pas avec une histoire en main mais avec un prospectus publicitaire. Ne faites pas ça, les auteurs, c’est le mal.

La nouvelle de Lavie Tidhar se lit tout de même très bien.


10 réflexions sur “In Xanadu – Lavie Tidhar

  1. Le genre de la nouvelle est très difficile à maîtriser et il n’est pas si rare d’avoir l’impression de lire en fait le début de quelque chose de plus large, une mise en bouche. Et je comprends parfaitement ta frustration à ce sujet.

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      1. L’amatrice de gros pavés à rallonges ici présente (c’est pratique pour tuer les gens) est également souuuvent frustrée par les nouvelles et même les novellas :/ Comme tu dis, quand y’a un univers fascinant qui est esquissé on aimerait au moins avoir un fix up ou un recueil qui permette de l’explorer.

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        1. Après il faut que l’auteur ait envie. J’aime ce qu’Aliette de Bodard a fait avec son univers de Xuya. elle a écrit tout un ensemble de nouvelles et de novella dans cet univers et construit depuis des années une histoire étendue et cohérente au sein de cet univers.

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  2. Je n’ai pas encore lu « In Xanadu », mais les références à la Conversation rattachent manifestement cette nouvelle à l’univers Continuity de l’auteur (voir : https://lavietidhar.wordpress.com/tag/the-continuity/). Dans Central Station, roman fix-up situé dans cet univers, la Conversation y est décrite comme « Billions of humans, uncounted billions of digitals and machines, all talking, chattering, sharing at once. Images, text, voice, recordings, all-immersive memcordist media, gamesworlds spill-over » (chapitre FIVE : Strigoi) Les individus non connectés pour une raison ou une autre à la Conversation (à l’exemple d’Achimwene, le bouquiniste) sont considérés comme des handicapés. Central Station, sorti en 2016, est un de mes tout meilleurs souvenirs de lecture de cette année et mériterait largement, à mon avis, une traduction française. C’est un univers que je trouve fascinant et qui me rappelle Les Seigneurs de l’Instrumentalité. Revers de la médaille : on est un peu perdu quand on aborde un tel univers par hasard à travers une nouvelle. C’est un aspect du problème sur lequel Lavie Tidhar doit manifestement travailler.

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