La Forêt Sombre (The Dark Forest) – Cixin Liu

darkforest

La Forêt  Sombre (The Dark Forest) de Cixin Liu fait suite à Le Problème à Trois Corps. Je n’avais que modérément apprécié le premier volume, le trouvant inutilement long, bancal dans ses propositions d’un point de vue science-fictif, peu convaincant dans sa dimension « théorie du complot », malgré de belles pages d’un point de vue purement littéraire.  Mon avis sur La Forêt Sombre est à l’opposé : j’ai été passionné par cette lecture.

Le Problème à Trois Corps n’apparaît après coup que comme une longue (très longue) introduction, ne servant qu’à placer l’humanité dans une situation compliquée. Par misanthropie, la scientifique Ye Wenjie avait, de manière délibérée, provoqué la mise en route d’un processus extérieur qui va amener dans  400 ans à la disparition de l’espèce humaine sur la planète Terre. Ni plus, ni moins.  A la fin du premier tome, la situation est assez désespérée.  L’humanité a été trahie, elle doit faire face  au problème de sa complète éradication à court terme. En outre, la partie est truquée. Plus aucun développement théorique en science fondamentale n’est possible et il va donc falloir faire avec l’état limité des connaissances actuelles. En raison de la nature de la menace à laquelle l’humanité  doit faire face, le secret est impossible. Toute décision prise est immédiatement connue par la faction adverse.  Enfin, une organisation secrète et complotiste travaille activement à la perte de l’humanité. (J’espère que vous me pardonnerez ces ellipses plus facilement que vous ne m’auriez pardonné de trop en dire.)

Right now, the greatest obstacle to humanity’s survival comes from itself.

La résolution du problème va être le thème de ce second volume.  L’humanité se trouve en suspens entre les événements passés ayant mené à cette situation, et l’attente angoissante de la catastrophe annoncée. Au passage, nous avons là tous les éléments d’une tragédie antique. Cela me rappelle particulièrement la plus ancienne pièce de théâtre qui nous soit parvenue, Les Perses d’Eschyle.  Et comme dans toute tragédie grecque qui  se respecte, il y a un coryphée, la voix de la cité, dont le rôle est ici joué par l’organisation des Nations Unies.  Appelant au sursaut salvateur, en parallèle au développement d’une flotte armée internationale, les NU vont mettre en place un programme dont le principe est de désigner quatre individus, scientifiques et politiques, dénommés Wallfacers  (Colmateurs en VF)  et qui vont se voir confier la lourde tâche d’imaginer indépendamment les uns des autres une solution au problème. Eux seuls connaîtront la finalité de leur plan, afin que le secret soit gardé, et ne doivent en révéler que certains détails mineurs pour sa mise en oeuvre. Leur sont donnés des pouvoirs exceptionnels et un accès à toutes les ressources des Nations Unies, qui exerceront tout de même un contrôle sur l’avancée des choses et veilleront aux bonnes dépenses.

La pièce que nous joue Cixin Liu est divisée en trois actes. Les deux premiers se situent dans notre avenir proche, soit 3, 8, 12 et 20 ans après la Grande Crise, événement dont on apprendra la nature au cours du roman. Le premier acte est la mise en place du programme, et nous allons suivre les quatre wallfacers dans leur efforts créatifs. Ou pas. L’un deux, Luo Ji, qui devient graduellement le personnage principal du roman, ne fait rien mais profite outrageusement des avantages qui lui sont donnés par sa fonction pour s’aménager une petite vie tranquille et insouciante, loin du monde. En tout cas dans un premier temps. Car il faut admettre que la tâche qui leur est confiée relève de ce que l’école de psychologie de Palo Alto avait nommé un Double-Bind, une double contrainte. Il s’agit d’une injonction irréalisable dès lors qu’elle est énoncée, comme « sois spontané » par exemple. Cela mène inévitablement à l’échec et  place invariablement le sujet dans un  état de souffrance morale. Je ne sais pas si Cixin Liu est familier avec le concept mais c’est en tout cas très exactement ce qu’il va illustrer dans son roman.  Le deuxième acte montrera l’échec inévitable des stratégies mises en œuvre, notamment en raison de l’action des complotistes qui développent en parallèle au projet Wallfacers, le projet Wallbreakers qui a pour but de réduire à néant les efforts des NU.

SI j’avais trouvé long le premier tome, je ne me suis pas ennuyé une seule ligne avec le second. Cixin Liu donne à lire un propos profond, une vraie réflexion sur l’humanité, ses forces et ses faiblesses face à la promesse d’une catastrophe inévitable. Le récit va connaître des temps d’espoir et de revers, d’optimisme et de défaitisme. Toute la palette des réactions possible va être vécue par les nombreux personnages qui constituent cette fresque humaine.  Encore une fois, à la manière d’une tragédie antique. Il y a de très belles pages de littérature dans ce roman, et je pointerai aussi la qualité des dialogues. Certains mécanismes toutefois se répètent, et reviennent de manière si récurrente qu’on ne peut s’empêcher d’y voir un manque d’imagination de l’auteur, à tort, car les choses s’expliquent comme l’illustration du concept de la forêt sombre qui donne son nom au livre, et dont on ne comprendra la signification qu’à la fin.

First: Survival is the primary need of civilization. Second: Civilization continuously grows and expands, but the total matter in the universe remains constant.

Puis arrive le troisième acte…

Un grand saut dans le temps, et nous sommes projetés en  l’an 205 après la Grande Crise. A ce moment, c’est un tout autre roman qui commence. Pour l’amateur de hard-SF que je suis, c’est Noël à Disneyland. Une explosion grandiose de SF à tous les étages, et un  rythme qui ne décroit jamais. Précédemment mis en hibernation puis réveillé, Luo Ji retrouve le meilleur personnage de la série, le policier Shi Qiang. La relation qui va se nouer entre les deux est un des points forts du livre. Shi Qiang, depuis le premier tome, incarne une forme de pragmatisme dont le lecteur a besoin pour naviguer à travers le roman. Les deux hommes sont plongés dans une société futuriste complètement transformée et sûre de sa victoire à venir. Je n’en dis pas plus pour vous laisser la surprise, mais c’est un feu d’artifice. Cet acte final, de quelque 200 pages, est un monument de SF. Non seulement la société et les technologies décrites sont fascinantes, mais l’histoire elle-même emporte le lecteur dans un tourbillon, où de multiples fois encore va s’illustrer, de façon parfois extrême, le concept dit de la forêt sombre. Une fois comprise, j’ai trouvé cette idée brillante et brillamment illustrée à travers le roman. La prise de conscience s’accompagne d’ailleurs d’une envie de revenir en arrière et relire les événements sous ce nouvel éclairage. Notons que ce concept fournit aussi une réponse peu commune au paradoxe de Fermi. Une réponse qui fait froid dans le dos.

 “Dark. It’s so fucking dark,” the captain murmured, and then shot himself.

La Forêt Sombre est un roman sombre, très sombre. Mais la fin fournit une résolution, car résolution il y a, des plus lumineuses. Et après 500 pages de désespoir, cela fait un bien fou que de revenir à la lumière. Grâce à ce second tome, j’ai finalement compris le roman de Cixin Liu. C’est un roman de SF brillant et intelligent, dont je ne peux que recommander la lecture. Même si le nombre de pages peut décourager, cela en vaut vraiment la peine.  Ce n’est pas au premier tome qu’il fallait donner le Hugo, mais à celui-là ! Le troisième tome, Death’s End, a été traduit en français sous le titre La mort immortelle et je ne vois vraiment pas où il va pouvoir aller à partir de là. Suite au prochain épisode.

cixin liu

D’autres avis de lecteurs : Apophis, Blog-O-Livre


Livre : The Dark Forest (La Forêt Sombre)
Série : Remembrance of Earth’s Past (2/3)
Auteur : Cixin Liu
Publication : 2008 (Chine) 2015 (US) 2017 (France)
Traduction : 2017 par Gwenaël Gaffric chez Actes Sud
Nombre de pages : 720
Format : papier et ebook


15 réflexions sur “La Forêt Sombre (The Dark Forest) – Cixin Liu

  1. Bonjour et merci pour cette chronique ! Je viens juste d’achever La forêt sombre et je suis enthousiasmé à la fois par l’ambition, le souffle et la complexité de cette œuvre. Je plonge maintenant avec délectation dans La mort immortelle. A mon sens, cet auteur mérite tout à fait d’intégrer le panthéon des grands auteurs de science-fiction, juste à côté de Frank Herbert (dont je viens de voir au cinéma, avec plaisir, le Dune de Denis Villeneuve) ou Isaac Asimov (auquel Liu Cixin se réfère d’ailleurs dans Le problème à trois corps). Alors pas d’hésitation, laissez-vous tenter par le voyage !

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