
Mon choix de lire Un Dissident, premier livre de François-Régis de Guenyveau, a été motivé par ces mots en quatrième de couverture : « Roman d’anticipation », « façonner l’homme de demain ». Il ne faut jamais croire les quatrièmes de couverture.
Un dissident n’est pas un livre d’anticipation (encore moins de science-fiction) dans le sens où l’action ne se déroule pas dans un futur proche, mais dans notre présent (de 1982 à 2015 à peu près), et si la question du post-humanisme est présente sous la forme d’une évocation de « l’homme augmenté » dans le roman, elle n’est pas explorée et ne sert que de toile de fond. Les amateurs de science-fiction, voire de hard-SF, férus de post-humanisme, des technologies et des questionnements qui s’y rapportent, n’y trouveront pas leur compte.
« Un dissident » est plutôt un roman de fiction introspective. Le prologue s’ouvre sur une jolie évocation de la chorégraphie de Pina Bausch sur le Sacre du Printemps de Stravinski. Cette image accompagnera très efficacement l’histoire, jusqu’à son dénouement. Il s’agit là d’une des belles trouvailles de l’auteur. Le roman s’organise en trois parties.
La première , d’une centaine de pages, s’intéresse à la construction du personnage. Christian Sitel né en 1982 à Estène, village de Provence. Ses parents forment un couple mal apparié. Christian se révèle rapidement un élève brillant, curieux, montrant un intérêt précoce pour les sciences et les mathématiques. Il s’illustre à un concours national et intègre l’Ecole Normale à Paris, puis s’envole pour les Etats-Unis pour y poursuivre des études scientifiques. J’ai trouvé que cette partie était la plus faible du livre. Le style y est aride, précipité, et la construction du personnage tombe souvent dans la facilité.
Le roman commence réellement avec la deuxième partie, d’à peu près 200 pages. Christian est aux Etats-Unis et travaille aux côtés de son parrain au sein de l’entreprise Trans K. Celle-ci s’est spécialisée dans la recherche en génétique et développe le projet d’Homme Augmenté, entendez par là le développement de technologies destinées à propulser l’humanité au-delà de sa condition, de prendre en main son évolution et de l’amener à la post-humanité. Si, malheureusement pour l’amateur d’anticipation, le roman reste très léger en ce qui concerne la description de ce en quoi consistent ces développements, les innovations impliquées, et en gros de quoi il s’agit lorsqu’on parle de post-humanisme, cette partie du roman est la plus réussie. Son intérêt vient des discussions à caractère philosophique entre Christian et son parrain sur les questions politiques et sociétales engendrées par leurs recherches. Une des questions principales abordées est celle du devenir de technologies destinées à prolonger la vie humaine et à la modifier profondément, lorsque celles-ci sont développées par des compagnies privées dans un système capitaliste mondialisé tenu par une classe dirigeante jalouse de ses privilèges. Tout ceci donne lieu à quelques bonnes pages du roman.
Si vous n’êtes pas lecteur habituel d’anticipation moderne, vous trouverez sans doute dans ces pages une réflexion intéressante sur la question très contemporaine du post-humanisme, avec des références philosophiques choisies. Ce qui est dommage, c’est que ces réflexions ne s’appuient pas sur une véritable discussion de ce qu’est le post-humanisme, ou l’homme augmenté. L’auteur reste vague, très général, tout en appuyant sur le côté anxiogène de ces nouvelles technologies. Mais de quoi parle-t-on exactement ? aurais-je envie de lui demander. Si, à l’inverse, vous êtes lecteur averti de SF, le post-humanisme vous connaissez, et sur les questions de relation entre capitalisme et post-humanisme, je vous invite à plutôt vous reporter au roman Accelerando de Charles Stross ou à certaines nouvelles de Greg Egan.
La dernière partie du roman et sa chute, exposée sur une cinquantaine de pages, est celle qui me pose le plus de problèmes. Non pas qu’elle ne soit pas bonne au sens littéraire, elle est même assez bien menée, mais je ne partage pas du tout la proposition de l’auteur. Cette troisième partie débute avec les doutes qui commencent à envahir Christian quant au bien-fondé de ses recherches. Puis arrive la révélation du grand secret de l’histoire, qui va bouleverser sa vie. Normalement, ce twist vous l’aurez déjà vu venir depuis un bon moment. Voire depuis le début du livre. Voire en regardant la couverture. Après avoir lu le roman « A Rebours », Barbey d’Aurevilly avait prédit qu’il ne restait plus à Huysmans que le choix entre la bouche du pistolet et les pieds de la croix. En d’autres termes : le suicide ou le mysticisme. La proposition de Barbey d’Aurevilly avait peut-être un sens dans la société française de la fin du XIXe siècle, elle me parait dépassée au XXIe. C’est pourtant le choix qu’impose François-Régis de Guenyveau à son personnage. Le roman se termine sur cette phrase mise en exergue sur le quatrième de couverture : « Et au moment où il sut qu’il n’était plus vraiment un homme, il le devint ». Si c’est là la proposition de l’auteur de ce que c’est que devenir « humain », je ne suis pas d’accord. Suivant vos inclinations spirituelles, vous serez sensibles ou pas aux dernières pages de « Un Dissident ». Moi pas.
Niveau de lecture : sans difficulté. Les 330 pages du roman se lisent en une journée.
Livre : Un dissident
Auteur : François-Régis de Guényveau
Publication : 2017 chez Albin Michel
Langue : Français
Nombre de pages : 336
Format : papier et ebook