L’Odyssée des étoiles – Kim Bo-Young

Dubitatif, je suis. L’Odyssée des étoiles est le premier roman traduit en français de Kim Bo-Young, autrice de science-fiction multiplement primée dans son pays d’origine, la Corée. Découverte aux Etats-Unis par l’incontournable Neil Clarke, elle a été la première autrice sud-coréenne de SF à être traduite et publiée en anglais, d’abord dans les pages de Clarkesworld avec la nouvelle An Evolutionary Myth en 2015, puis chez HarperCollins avec le recueil I’m Waiting for You. Bref, de quoi éveiller un vif intérêt et L’Odyssée des étoiles est un texte que j’attendais avec impatience de découvrir parmi les titres de cette rentrée littéraire.

L’ouvrage est un fixup de trois textes dont les deux premiers, Je t’attends et Je viens vers toi forment une seule et même histoire et se répondent, lorsque le troisième, Ceux qui vont vers le futur, est indépendant. L’ensemble n’est lié que par une idée génératrice d’aventures extraordinaires qui est que voyager à la vitesse de la lumière permet de voyager dans le temps, vers le futur. Je vais immédiatement doucher tes espoirs, cher lecteur à la physique aiguisée, Kim Bo-Young n’officie pas dans le registre de la hard-SF vertigineuse mais est adepte d’une licence poétique qui tend à la nonchalance à l’endroit des sciences. Dans Je t’attends, par exemple, le narrateur voyage à la vitesse de la lumière au sein du système solaire propulsé par une simple voile solaire. Les écarts à la crédibilité scientifique sont si importants que l’autrice prend soin de signaler en notes de bas de page que si les choses ne sont pas ainsi dans notre réalité, elles le sont dans l’univers alternatif qu’elle imagine. Acceptons les termes, et refermons la parenthèse. Les mondes imaginaires et les physiques alternatives parfois donnent lieu à de belles histoires.

L’Odyssée des étoiles donne-t-elle à lire de belles histoires ? C’est là que ça coince un peu. Car si, oui, les histoires sont belles, elles sont aussi un peu faciles et surtout déjà lues maintes fois à une tout autre époque, celle de l’âge d’or de la science-fiction américaine. En voulant nous faire voyager vers le futur, Kim Bo-Young offre aux lecteurs biberonnés à la SF anglosaxonne un voyage vers le passé du genre littéraire.

Je t’attends et Je viens vers toi prennent la forme du roman épistolaire. Deux jeunes gens veulent se marier mais il habite la Terre et elle Alpha du Centaure. Le temps du voyage étant ce qu’il est, ils vont synchroniser leurs montres et pendant qu’elle se dirigera vers la planète bleue, lui profitera du décalage relativiste et fera un petit tour de deux mois dans le système solaire à la vitesse de la lumière afin de ne pas avoir à s’impatienter dans l’attente. Les choses ne se passent pas comme prévu et les deux amoureux ne feront que se croiser à quelques années près, tenter de se rejoindre et se rater encore. Pendant ce temps les siècles passent et la planète change, meurt, renait, etc. Je t’attends est son récit à lui, par les lettres manuscrites qu’il lui écrit, et Je viens vers toi est son récit à elle par le même moyen. L’idée est sympathique au départ et fonctionne plutôt bien, tant qu’on ferme les yeux, mais rapidement s’essouffle et à moins de penser qu’ils sont les deux êtres les plus malchanceux de l’univers, on arrive à se dire qu’ils sont complètement idiots. (Sans même évoquer les aberrations scientifiques car on a accepté de signer une décharge suspensive d’incrédulité qu’il, soyons honnêtes, devient de plus en plus difficile à honorer à mesure que les pages se tournent. Je referme encore une fois la parenthèse.). À la fin, c’est l’amour qui gagne car l’amour est éternel.

Ceux qui vont vers le futur reprend l’idée du voyage à la vitesse de la lumière et propose quatre récits qui décrivent les aventures d’un enfant né au milieu des étoiles (il pourrait s’agir du fils de nos deux amoureux, mais rien ne l’indique dans le texte) et qui devient un voyageur du temps. Il saute les siècles et les millénaires, intervenant sporadiquement tel un dieu dans l’histoire des civilisations humaines qui se succèdent sur Terre, à la poursuite de son but ultime qui est d’atteindre le bout de l’univers. Si le texte propose quelques belles images qui pourraient susciter le vertige, l’effet est contrecarré par le fait qu’on a déjà lu tout ça, autant chez Jack Vance que chez Poul Anderson.

Ainsi, dubitatif je suis quant au choix de ces textes pour faire découvrir l’autrice aux lecteurs français. On ne trouvera pas dans L’Odyssée des étoiles une singularité qui nous permettrait de distinguer une science-fiction différente de celle qui a été produite ailleurs et hier. C’est dommage, d’autant que sa bibliographie semble suggérer que l’autrice a une œuvre autrement plus novatrice que ces récits là. J’ai trouvé intéressant de lire pour la première fois Kim Bo-Young. Mais je vais attendre d’autres textes pour m’émerveiller. Kim Bo-Young est invitée aux Utopiales de Nantes cette année. Ce sera l’occasion de l’écouter parler de son œuvre et peut-être d’attraper l’envie de la découvrir plus avant.


D’autres avis : Le Nocher des livres, le Maki, Sometimes a book, RSFblog,


  • Titre : L’Odyssée des étoiles
  • Autrice : Kim Bo-Young
  • Traduction : Pierre Bisiou et Kyungran Choi
  • Publication : 4 oct. 2023, Rivages, coll. “Rivages imaginaires”
  • Nombre de pages : 272
  • Format : papier et numérique