
Kerstin Hall est une jeune autrice sud-africaine, originaire de Cap Town, qui signe avec Star Eater son premier roman. Elle avait auparavant publié la novella The Border Keeper (2019), que j’avais lue, appréciée, et chroniquée sur ce blog. Reprenant le thème classique de la catabase*, Kerstin Hall y démontrait une imagination exubérante à travers la construction d’un monde à la beauté sauvage, quand bien même je regrettais un scénario brouillon et une trame qui manquait un poil d’originalité. Le titre était toutefois prometteur et la vivacité de la plume de l’autrice me faisait attendre avec impatience ce nouveau texte. Je ressors déçu de cette lecture.
Star Eater est une dark fantasy se déroulant sur le monde d’Aytrium, un bout de terre flottant dans les airs et par conséquent isolé et protégé de ce qui l’entoure depuis plusieurs siècles. Le principe est magique et son perpétrateur n’est autre que la figure quasi-divine du dévoreur d’étoile (le star eater du titre). La société d’Aytrium est dominée par un ordre religieux exclusivement féminin, des sœurs qui seules sont capables d’exercer la magie. Mais ce pouvoir a une sombre origine, et son prix est élevé. C’est dans la chair de leurs mères, artificiellement maintenues dans un état d’inconscience entre la vie et la mort, que les nonnes trouvent la source de leur art. Ainsi, chacune doit se livrer régulièrement à la cérémonie du renouvellement, qui consiste à se porter au chevet du corps de sa mère, d’en prélever un bout de chair, et de l’ingérer. Afin de perpétuer l’ordre, ces femmes doivent se reproduire avec des hommes et donner naissance à des filles (les rejetons mâles sont systématiquement éliminés). Mais chaque naissance est aussi une condamnation à mort, car la fille un jour dévorera la mère. Lors de l’acte, les mâles reproducteurs sont infectés et, en quelques mois, sont condamnés. Ils se transforment physiquement, pourrissent et deviennent de dangereuses créatures affamées de chair humaine et immortelles. Avant que cela ne se produisent, ils sont jetés par-dessus bord. Littéralement. Les sœurs ne peuvent ainsi avoir de relation avec l’autre sexe en dehors de ce sacrifice imposé par leur condition. En d’autres termes, Star Eater parle de nonnes magiciennes, bisexuelles et cannibales, qui transforment en zombies les hommes avec lesquels elles s’accouplent. Je ne plaisante pas.
Le récit suit Elfreda, jeune acolyte, qui se trouvera plongée dans les méandres d’un complot politique opposant différentes factions au sein de l’ordre et une résistance civile qui mettrait bien un terme à la domination des bouffeuses de chair. Puisqu’il s’agit d’un récit de fantasy, on n’échappe pas à quelques tropes du genre, comme celui de l’élue, car oui, Elfreda est une élue, une occurrence rare porteuse de la capacité de régénérer le pouvoir magique vacillant de l’ordre.
Star Eater n’est jamais convaincant et rate à peu près toutes les marches. En prenant un peu de recul sur le récit, on distingue bien dans la brume quelques schémas sur la condition féminine, le droit de disposer de son corps, la nature de la religion et du pouvoir politique, le colonialisme… mais tout ceci n’est qu’effleuré et le lecteur doit faire preuve de volonté pour élever l’image jusqu’à la métaphore. Dans le détail, le monde créé par Kerstin Hall est tel Aytrium : il tient en l’air magiquement, sans pilier de fondation, sans contexte ni explication aucune pour soutenir la suspension d’incrédulité du lecteur. Le récit fait l’impasse sur trop d’éléments pour que l’architecture du roman acquiert la solidité nécessaire à sa tenue au long des 450 pages qui le constituent. Si l’ordre des sœurs évoque sous de nombreux aspects le Bene Gesserit de Dune, ou plutôt sa version maudite des Honorées Matriarches, au cœur du récit se trouve l’antagonisme entre la magie qu’elles exercent et l’horrible prix à payer. Seulement voilà, si ce prix est élevé, les pouvoirs magiques qu’il confère ne sont pas à la hauteur du sacrifice, et on peine à y trouver justification. Lesdits pouvoirs sont de deux sortes : la possibilité d’imprimer dans l’esprit d’autrui une compulsion, c’est-à-dire l’envie de réaliser un acte suggéré, et la production d’un filin invisible façon… spiderman. Vous voyez l’arc de mes sourcils s’élever plus haut dans le ciel qu’Aytrium lui-même ? Je ne sais pas moi, il y avait peut-être mieux à faire sur des prémices aussi sordides. C’est très honnêtement le système de magie le plus ridicule qu’il m’ait été donné de lire dans un roman. Après on va encore dire que je suis trop critique envers ce genre de l’imaginaire qu’est la fantasy… Le plus douloureux, cependant, est de voir Kerstin Hall, dont je pense véritablement qu’elle peut produire un texte de qualité, ramer à contre-courant tout au long de son roman pour essayer d’en tirer quelque chose. Cette fois-ci, malheureusement, le courant est trop fort.
* J’ai lu Gnomon, j’ai du vocabulaire.
- Titre : Star Eater
- Autrice : Kerstin Hall
- Publication : 22 juin 2021 chez Tordotcom
- Nombre de pages : 448
- Format : électronique (disponible en version papier le 1’ septembre 2021)
Oh non… 🥺 Je me faisais une telle joie de le lire ! Bon, je vais attendre un peu que les émotions passent et je verrai bien 😊. Merci pour ton retour !
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