
En Août 1938, la revue américaine Astounding Science-Fiction (ASF) publie la novella « Who Goes There » de Don A. Stuart, nom de plume de John W. Campbell Jr, éditeur de ladite revue. (Elle a été récemment publiée sous le titre La Chose dans la collection Une Heure Lumière chez Le Bélial’.) Ce texte a marqué les esprits au point d’être adaptée au cinéma à trois reprises dont en 1982 par John Carpenter sous le titre The Thing. Mais en 1938, c’est un certain Alfred Elton van Vogt qui tombe dessus dans un kiosque à journaux et décide de devenir auteur de science-fiction. Après un premier texte refusé par Campbell, A.E. van Vogt réussit à faire accepter « Black Destroyer » qui fait la couverture du volume 23, n°5 de numéro de Juillet 1939 d’ASF. Contenant aussi la nouvelle « Trends » d’Isaac Asimov, ce numéro est considéré par certains comme l’acte de naissance de l’Âge d’or de la science-fiction aux Etats-Unis. Si Campbell est l’architecte de cette période, van Vogt en est l’un des principaux artisans.
« Black Destroyer » est le premier texte d’une série de quatre nouvelles publiées entre Juillet 1939 et Mai 1950, avec « Discord in Scarlet », « M33 in Andromeda » et « War of Nerves ». Ces textes seront remaniés par l’auteur par souci de cohérence et regroupés dans le roman The Voyage of the Space Beagle publié en 1950. A.E. van Vogt est avant tout un nouvelliste et il se fera une spécialité de combiner plusieurs de ses textes courts pour en faire un long. Il a lui-même créé le terme qui désormais définit le procédé : fix-up. La traduction française du titre, La Faune de l’espace (1952), ainsi que le nom du vaisseau spatial Space Beagle qui devient le Fureteur, effacent la référence au HMS Beagle, le navire de la Royal Navy à bord duquel le naturaliste anglais Charles Darwin effectua le voyage d’exploration scientifique de cinq ans, de 1831 à 1836, qui lui a permis de développer sa célèbre théorie sur l’évolution des espèces. Autorisons-nous une critique : bien que les écrits de van Vogt furent populaires en France, les traductions de ses textes s’accompagnent souvent d’une perte de sens. Dans le cas présent, la référence au voyage de Darwin est une clef de lecture du texte.
Le Fureteur est chargé d’une mission d’exploration interstellaire de cinq ans à la rencontre de mondes et de formes de vie inconnues. A bord de cette grosse sphère métallique, près de mille hommes, scientifiques de différentes spécialités et militaires, constituent un équipage entièrement humain et masculin. Le personnage principal, Elliott Grosvenor, cherche à développer et imposer une nouvelle discipline cognitive. Il s’agit du nexialisme, une approche unificatrice et encyclopédique des connaissances qui vise à l’intégration des sciences sociales et naturelles. Persuadé que l’avenir de l’humanité en dépend, il met tout en œuvre pour prouver que le nexialisme est à même de résoudre les problèmes aussi bien d’ordre humain, comme les conflits politiques et sociaux qui ne manquent pas d’apparaître à bord du vaisseau, que relatifs aux découvertes faites lors de l’exploration de l’univers. Le roman se divise en quatre parties qui reprennent les nouvelles d’origine et correspondent chacune à la rencontre d’une forme de vie extraterrestre et à ses conséquences. La première est le Zorg, une sorte de gros chat intelligent trouvé sur une planète désolée, qui réussit à s’introduire à bord du vaisseau et dévorer quelques-uns de ses occupants. Ensuite les Rims, une espèce aviaire couverte de plumes qui utilise une forme de télépathie pour entrer en communication avec les humains. Mais cela aura un effet hypnotique désastreux sur l’équipage du Fureteur. La troisième espèce est l’Ixtl, une créature sanguinaire qui recherche des hôtes vivants pour y pondre ses œufs. Enfin, vient Anabis, être gazeux en perpétuelle expansion à la recherche de sources d’énergie pour satisfaire son inextinguible faim. À chaque fois, le nexialisme fournira un angle d’analyse original et Elliott Grosvenor sauvera la situation. Le nexialisme constitue l’idée forte, pour reprendre le terme de Campbell, au centre du texte, mais c’est aussi la faiblesse du livre. Si A.E. van Vogt montre un vrai talent à imaginer les différentes formes de vie qui constituent la faune de l’espace – et c’est bien là qu’est tout l’intérêt du roman – il peine à convaincre sur cette science qu’il associe à un progrès humain. On n’y croit jamais et le nexialisme ressemble à s’y méprendre à une pensée magique. Encouragé dans cette voie par Campbell qui commence à l’époque à se passionner pour les pseudosciences, il entreprendra un projet similaire dans le cycle du Ā avec la Sémantique Générale.
Moins connu que Le monde des Ā, La Faune de l’espace a pourtant eu une grande influence sur la science-fiction. Les Trekkies qui nous lisent auront reconnu dans la mission du Fureteur celle qui dirigea l’Enterprise pour son voyage de cinq ans là où aucun homme n’est jamais allé, dans la première série Star Trek écrite par Gene Roddenberry. La nouvelle « Discord in Scarlet » et son Ixtl ont inspiré le film Alien (1979), et van Vogt poursuivit en justice la 20th Century Fox pour plagiat.
La faune de l’espace est un classique de l’Âge d’or de la SF. Il constitue une source d’inspiration pour le space opera d’aventure qui explore la galaxie à la rencontre d’autres formes de vie. Mais à l’instar du cycle du Ā, il souffre du penchant de son auteur et de son éditeur pour les pseudosciences. Comme c’est le cas pour de nombreux écrits de van Vogt, le passage des ans ne lui a pas été très favorable, et l’on pourra s’interroger de savoir s’il constitue une lecture indispensable au XXIe siècle, au-delà de la curiosité historique. En comparaison, d’autres auteurs de l’âge d’or tels que Heinlein, Simak ou Vance montrent une bien meilleure résistance au temps.
[Une première version de cet article a été publiée dans le numéro 98 de la revue Bifrost.]
- Auteur : A.E. van Vogt
- Titre : La Faune de l’espace
- Titre original : The Voyage of the Space Beagle (1950)
- Traduction : Jean Rosenthal
- Dernière edition VF : J’ai lu, coll. « Science Fiction », 2011
- Nombre de pages : 320
- Format : poche
Je ne peux m’empêcher de trouver une ressemblance entre nexialisme et dianétique… Hubbard était déjà ami avec Van Vogt?
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Le premier article sur la dianétique a été publié dans les pages d’Astounding en 1950, la même année que The voyage of the Space Beagle. Ce n’est donc pas très surprenant.
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Pas sûre de lire ce roman mais j’aime bien le côté dépassé de certains romans de SF, les pseudosciences (plutôt désuètes)… A voir, en tout cas, je me le suis noté.
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Ton article est très intéressant ! Des infos comme le clin d’oeil du nom du vaisseau en vo, etc.. ça ajoute énormément à la compréhension et au plaisir de lecture. Le côté fix-up me tente énormément, mais j’ai un peur, comme tu le dis, que l’ensemble ait mal vieilli ^^’. Dans tous les cas, je me le note :).
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Je l’ai lu il y a bien bien longtemps — pas sûre que le roman ait bien vieilli en effet…
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Ah van Vogt : J’ai découvert la SF avec lui. Je pensais acheter un policier (Les fabriquant d’armes) il y a 45 ans. Depuis j’ai découvert Herbert, Heinlein, Hamilton (Edmond et Peter), Nick Harkaway grâce à ce site que je recommande chaudement.
Je suis content de redécouvrir sur des sites comme celui-ci ou d’autre des critiques de livres qui m’ont fait rêver.
Un grand merci.
Un coup de cœur à vous conseiller : Robert Jackson Benett (C’est que du bon, et pas seulement les Maitres enlumineurs. Il est doué)
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De Robert Jackson Bennett, pour le moment, j’ai lu : American Elsewhere, Les Maîtres enlumineurs, et Vigilance. Tout aimé !
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Sa série des cités divines (non traduite à ce jour) n’est pas mal non plus. Je suis en train de lire Company Man (en VO) : C’est sombre. Je n’ai pas encore lu Vigilance,
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