Nouvelles – Tome 1 – Frank Herbert

C’est peu de dire que Frank Herbert est une des figures tutélaires de ce blog. Entre les pages consacrées d’une manière ou d’une autre à Dune, la révision de la traduction de l’ensemble du cycle, et les chroniques de ses autres romans, Frank Herbert occupe une place de choix sur l’Epaule d’Orion. L’auteur disparu en 1986 a marqué comme peu la science-fiction par son cycle le plus célèbre, mais aussi celui du Bureau des sabotages, ou par des romans tels que Destination vide ou encore La Ruche d’Hellstrom qui ont très largement contribué à populariser le genre. Son œuvre s’inscrit à un moment charnière de l’histoire de la science-fiction, qui marque la transition entre l’Âge d’or des années 50 et la New Wave des années 70. Il est assez parlant à cet égard que Dune fut initialement publié entre 1963 et 1965 dans Astounding sous la direction de John W. Campbell et que Le Messie de Dune le fut en 1969 dans Galaxy sous la direction de Frederik Pohl.

Comme la plupart des auteurs issus de l’Âge d’or, Frank Herbert fut aussi un novelliste publiant ses premiers textes de science-fiction dans des revues telles qu’Astounding. C’est cet aspect de l’œuvre que les éditions Le Bélial’ ont décidé de mettre en lumière en publiant une intégrale en deux volumes des nouvelles du maître d’Arrakis. Le premier tome, sobrement mais judicieusement intitulé Nouvelles – Tome 1, est sorti le 25 mars 2021, et couvre la période 1952 à 1962, soit très exactement juste avant la publication de Dune. (Le tome 2, Nouvelles – Tome 2, couvrira la période 1964 à 1979 et est attendu en août 2021.) Durant cette décennie, Herbert publie son premier roman sous forme de série dans Astounding, Le Dragon sous la mer. Ses autres productions sont les nouvelles qui se trouvent toutes réunies de manière chronologique dans ce volume, établi sous la direction ferme mais bienveillante de Pierre-Paul Durastanti qui a en outre assuré la révision de la traduction de l’ensemble des textes. (Les connaisseurs repéreront les petites perles de langage qui font le style Durastanti.)

Le volume regroupe 19 nouvelles et romans courts, dont deux textes sont inédits en français (La Planète des rats porteurs et Cessez-le-feu). Les autres sont apparus dans diverses anthologies, recueils, revues ou sous forme de fix-up (dans Le cycle des Saboteurs chez Mnémos pour Tracer son sillon, et dans Et l’homme créa un dieu chez Jean-Claude Lattès pour La Voie de la sagesse, Chaînon manquant, Opération Meule de foin, et Les Prêtres du Psi).

La lecture chronologique de ces textes met en lumière l’évolution de l’écrivain en dix années d’activité. Ne soyons pas idolâtre, les premiers textes ne sont franchement pas terribles. Dans l’introduction tirée du recueil The Best of Frank Herbert (1975), l’auteur le reconnait lui-même : on voit les coutures. Plus encore, les textes de cette époque sont très nettement inspirés des écrits classiques de l’Âge d’or et on y voit l’influence de Vance dont il deviendra plus tard l’ami personnel. Cela étant, le recueil réserve quelques surprises. Si on trouve des traits d’esprit dans nombre de ses textes, y compris dans le cycle de Dune (même si parfois la traduction a pu effacer cet aspect) Frank Herbert n’est pas un auteur particulièrement connu pour son sens de l’humour. Et pourtant, le lecteur découvrira ici plusieurs nouvelles dont l’humour est le ressort.

Mais le vrai tournant, me semble-t-il, se fait à partir de la nouvelle Le Rien-du-tout (1956), septième texte de ce volume. À partir de là, on voit progressivement se dessiner l’univers personnel de Frank Herbert. Il y a tout d’abord des inventions technologiques futuristes, qu’on retrouvera à l’identique jusqu’à 30 ans plus tard dans la fin du cycle de Dune. Et il y a surtout les thématiques autour desquelles il va construire par la suite l’ensemble de son œuvre, que ce soit la psychologie, la critique des gouvernements et de la religion, la bureaucratie, la mémoire collective… et même déjà la prescience !

C’est particulièrement vrai pour les quatre textes La Voie de la sagesse, Chaînon manquant, Opération Meule de foin, et Les Prêtres du Psi qui composent le fix-up Et l’homme créa un dieu, à ce point que ce dernier a parfois abusivement été présenté comme un préquel à Dune. Ce qui devient évident à la lecture de ce premier volume, c’est qu’Herbert expérimentait. Il testait des idées dans ces textes courts, puis les développait pleinement par la suite dans ses romans. On trouvera ainsi les racines de nombreuses thématiques abordées dans Dune ainsi que dans le Bureau des Sabotages. Ce qu’on lit, c’est de fait la naissance d’une œuvre.

Pour ma part, j’ai été très surpris par une nouvelle en particulier que je ne connaissais pas et qui est Essayez de vous souvenir. L’histoire raconte la venue d’extraterrestres sur la planète Terre et les efforts d’équipes internationales de linguistes qui tentent désespérément de communiquer avec eux, sous le regard impatient de militaires qui n’ont qu’une envie, celle de la violence. La ressemblance avec la (magistrale) nouvelle L’histoire de ta vie de Ted Chiang est stupéfiante.

En conclusion : Sans que ce soit indispensable pour aborder ce recueil, on gagnera à connaître l’œuvre de Frank Hebert car on la voit naître dans ses moindres détails, nouvelle après nouvelle. Et c’est passionnant. J’attends le tome 2 avec une vive impatience, monsieur Durastanti !


D’autres avis  : De l’autre côté des livres,


  • Titre : Nouvelles – Tome 1
  • Auteur : Frank Herbert
  • Traduction : (et révisions) Pierre-Paul Durastanti
  • Illustration : Manchu
  • Publication : le 25 mars 2021, sous la direction de Pierre-Paul Durastanti, éditions Le Bélial’
  • Nombre de pages : 480
  • Format : papier et numérique

2 réflexions sur “Nouvelles – Tome 1 – Frank Herbert

  1. Après lecture, et à mon humble avis, la nouvelle « Essayez de vous souvenir » ressemble beaucoup plus au film de Denis Villeneuve (attentat, chantage, géopolitique, héroïne salvatrice, etc.) qu’à la nouvelle de Ted Chiang (éternalisme, énonciation expérimentale, etc.). Mais ce n’est probablement qu’une question de degrés. Merci pour le conseil.

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