Une revue : Anticipation, la revue des futurs possibles

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Je vous parlais récemment de l’excellente collection Parallaxe chez Le Bélial’ qui s’intéresse aux rapports qu’entretiennent science et science-fiction et fait œuvre de vulgarisation. Le directeur de la dite collection est l’astrophysicien Roland Lehoucq qui préside le festival des Utopiales de Nantes où cette même rencontre est mise à l’honneur chaque année à travers un programme de conférences de haut-vol. Le succès de fréquentation du festival, avec une année record à plus de 100 000 entrées en 2019, montre l’intérêt que le public porte à ce dialogue entre scientifiques, journalistes et écrivains. Etant moi-même scientifique et lecteur de science-fiction, le sujet m’intéresse naturellement et j’accueille avec joie toute initiative favorisant l’intimité de ces deux passions. C’est donc aux Utopiales, comme une évidence, que j’ai eu le plaisir, un verre d’eau minérale à la main, de rencontrer Jeanne L’Hévéder et Marcus Dupont-Besnard. Les deux journalistes présentaient Anticipation, la revue des futurs possibles dont ils sont les créateurs. Anticipation est une revue à périodicité irrégulière qui compte à ce jour deux numéros publiés en Juin 2018 et Septembre 2019.

Par son format et une mise en page qu’on qualifierait volontiers d’ascétique, voire d’austère  – notamment dans sa première installation – elle évoque dans la forme plus un livre qu’un magazine. Ce n’est pas pour me déplaire. Sa lecture se fait d’ailleurs comme celle d’un livre, comme un tout, et non comme une série d’articles hétéroclites qu’on parcourt nonchalamment. Non, il faut montrer un peu d’attention pour absorber l’ouvrage. Le contenu prend la forme d’entretiens questions/réponses et mise sur la pluralité des points de vue pour apporter un regard global sur un thème directeur par numéro.

Le numéro 1 aborde la question du transhumanisme sous le titre Transhumanisme, la science va-t-elle modifier l’espère humaine ? On sait la fascination de la science-fiction pour la question, mais de quoi s’agit-il ? Qu’appelle t’on transhumanisme ? Le volume s’ouvre sur une interview hallucinante de Natasha Vita-More, philosophe autoproclamée du transhumanisme et présidente d’Humanity+, principale organisation internationale œuvrant à la diffusion du transhumanisme. L’arrogance dont elle fait preuve à travers cet échange suffirait à vous convaincre des dangers du transhumanisme. Heureusement, les entretiens suivants avec Anders Sanberg, chercheur en neuroscience computationnelle,  Oskar Azmann, chirurgien prothésiste, et Cristina Lindenmyer, psychanalyste, permettent de replacer les choses un peu plus sereinement et définir de quoi on parle.  Jeanne et Marcus (on se tutoie ?) invitent aussi les acteurs du domaine culturel au débat – c’est bien le but que de provoquer dans l’espace d’une centaine de pages ces rencontres – avec Jean-François Dugas, directeur exécutif du jeu Deus Ex et Alain Damasio qu’on ne présente plus. Damasio, qui bien sûr se place du côté de ceux qui pointent du doigt les dangers du transhumanisme, a un discours que j’ai trouvé très intéressant sur le sujet. Non pas que je sois moi-même viscéralement anti-transhumaniste, je pense qu’il y a du bon dans ce futur possible, mais ses arguments s’entendent et font sens. Même surprise du côté de Natacha Polony que je ne m’attendais pas à être aussi intéressante sur ce sujet. Comme quoi. On referme l’ouvrage sur un entretien avec Raphaël Granier de Cassagnac qui revêt sa toque d’auteur de science-fiction pour nous parler de son roman Thinking Eternity et qui rappelle que le rôle des auteurs de SF est d’alerter sur les dérives possibles sans forcément apporter des solutions. Un premier numéro tout à fait passionnant donc.

Le numéro 2 s’intéresse à la conquête spatiale : L’odyssée spatiale, irons-nous vivre loin de la Terre ? Ce deuxième numéro bénéficie d’un casting de très haute volée et est encore plus passionnant que le premier. L’ouvrage s’ouvre sur des entretiens avec Thomas Pesquet, qui a conquis l’espace, puis Marion Montaigne, qui a dessiné la très chouette BD Dans la combi de Thomas Pasquet. Derrière, Didier Schmitt, directeur des programmes d’exploration humaine et robotique de l’ESA,  et Bernardo Patti, directeur des opérations de l’ISS et du programme d’exploration à l’ESA, nous expliquent la place de l’Europe dans la course à l’espace, et le contenu de ses programmes. La troisième partie ouvre la discussion aux auteurs de science-fiction, avec notamment Becky Chambers et Laurent Genefort qui nous parlent de leur vision d’une vie dans l’espace. Finalement, on aborde les questions pratiques de la construction d’installations dans l’espace, de la médecine liée aux problématiques des séjours prolongés dans cet environnement pour lequel nous ne sommes ni adaptés ni adaptables. Avec pertinence, la sixième partie aborde la question de Mars, car c’est là et non ailleurs que se situe l’horizon proche, et peut-être le seul, de l’exploration spatiale humaine. Là encore, les difficultés sont énormes. Le mot de la fin est honnête, lucide. La Terre doit être préservée.

Même si vous ne l’avez pas demandée, je vous donne mon opinion personnelle sur la question posée dans le titre de la revue : irons-nous vivre loin de la Terre ? Non, nous n’irons pas. L’humanité ne sortira même pas des limites du système solaire. Simplement, le bilan énergétique est défavorable à la réalisation de nos rêves et les réalités physiques et biologiques sont défavorables à notre vie. De ce point de vue, je suis sur la même ligne pessimiste que Kim Stanley Robinson dans son roman Aurora. Et si quelqu’un se lance vers les étoiles, ce ne sera pas un humain. Un transhumain peut-être ?

Alors, Anticipation, bien ou pas ?

Si les sciences et la science-fiction vous intéressent, je vous recommande chaudement de jeter un œil, voire deux, à la revue créée par Jeanne L’Hévéder et Marcus Dupont-Besnard. Les deux journalistes ont réalisé là un travail d’un sérieux remarquable. Les sujets sont creusés, argumentés et présentés sous différents points de vue, parfois contradictoires, pour livrer au lecteur une vision globale de la thématique choisie. Bravo !


7 réflexions sur “Une revue : Anticipation, la revue des futurs possibles

  1. Je me rappelle qu’on en avait parlé aux Utos. Contente de voir que la qualité est au rendez-vous. Si seulement, je ne débordais pas déjà de trucs à lire je me laisserais tenter.

    Sinon : « C’est donc aux Utopiales, comme une évidence, que j’ai eu le plaisir, un verre d’eau minérale à la main » –> alors-là, chapeau hein, tu viens de détruire un mythe : celui du café autour des discussions qui ont lieu avant midi et celui de la bière autour des discussions qui ont lieu après midi. Je ne suis pas sûre que les Utos se relèvent indemnes.

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